HomeA la uneLUTTE CONTRE LE CORONAVIRUS AU BURKINA

LUTTE CONTRE LE CORONAVIRUS AU BURKINA


Dans le message ci-dessous parvenu à notre rédaction, Alain Zoubga, par ailleurs ex-ministre de la Santé et médecin spécialiste en santé publique, donne son point de vue sur la prise en charge médicale du coronavirus au Burkina. Tout en félicitant l’équipe de recherche qui mène un travail remarquable, il dit avoir des appréhensions. Lisez plutôt !

« Dans un communiqué de presse publié il y a quelques jours, le ministre en charge de la recherche scientifique a annoncé le « Lancement de (02) deux essais cliniques conduits par des chercheurs burkinabè contre le coronavirus ». Incontestablement, cette annonce est importante pour la santé publique en général et la recherche en santé tout particulièrement. Dans ce contexte compliqué de notre situation sanitaire nationale, je salue cette initiative tout en apportant les observations ci-après :

1-Avant d’aborder la 1ère étude relative à la chloroquine, je porte un regard rapide sur la deuxième étude qui, me semble-t-il, au-delà de sa pertinence, présente un caractère plus innovateur qui mérite d’être souligné. En effet, cette étude (APIVIRINE) à base de plante (phytomédicament) met en valeur la pharmacopée africaine. Le communiqué de presse mentionne bien que l’APIVIRINE est déjà efficace sur plusieurs virus depuis 20 ans et s’en félicite. Toutes mes félicitations à l’équipe de recherche du Burkina mais les éléments dont je dispose ne me permettent pas de me prononcer objectivement sur le fond de cette étude. Toutefois, les nouvelles informations reçues montrent qu’il s’agit d’une molécule découverte par une équipe de recherche du Bénin dirigée par le Pr Valentin AGON, sous l’autorité des ministères en charge de la recherche, de la santé et celui de l’industrie de ce pays voisin. Encore une fois mes félicitations aux acteurs de cette étude, en particulier au Pr AGON et à son équipe au Bénin. Malheureusement, le communiqué publié ne mentionne rien de tout cela, ce qui a pu faire croire à certains de nos concitoyens qu’il s’agit d’une molécule découverte par des chercheurs burkinabè. Et s’il est vrai que nous déplorons ce manque de clarté voire d’éthique dans le cadre d’une coopération scientifique entre deux pays de la sous-région, nous nous félicitons de cette belle initiative qui démontre que la science est universelle, ce qui suppose une coopération scientifique empreinte de confiance mutuelle dans une transparence communément observée.

2-L’autre étude (CHLORAZ), quant à elle, retient particulièrement mon attention par le fait qu’elle porte sur la chloroquine associée à l’Azitromycine, étude déjà réalisée par d’autres équipes de recherche en dehors de notre pays. Cette étude annoncée au Burkina se fera dans un contexte particulier de pression extrême pour les raisons suivantes :
-C’est, de toute évidence, une étude commanditée par l’autorité politique.
-Elle doit répondre à une situation d’urgence en termes de demande et de besoins au vue de l’état de santé actuel du pays.
-Des études semblables existent avec des résultats connus de tous dans le monde.
Quant aux objectifs poursuivis, à savoir« évaluer l’efficacité et la sécurité de la chloroquine… »,« la possibilité de conduire une détection active des contacts au sein de la communauté » et « la réinfection des cas déjà identifiés », ils sont appréciables. Malheureusement, une grosse polémique internationale a éclaté autour de cette démarche initiée ailleurs avant le Burkina et elle impacte les différentes réactions au niveau national sur l’étude annoncée.
Au terme de cette étude, il est fort probable d’aboutir principalement à deux grandes conclusions, l’une semblable à celle obtenu ailleurs notamment par le Pr Didier Raoult à Marseille, l’autre opposée aux conclusions des travaux de ce même auteur.
Mais ce qui me semble plus délicat, c’est qu’au regard du contexte sanitaire actuel et du climat général marqué par la peur et les frustrations, nos chercheurs courent le risque d’être mal compris, quelles que soient leurs conclusions.

1- En effet, si l’équipe des chercheurs burkinabè aboutit aux mêmes résultats que ceux déjà connus et utilisé ailleurs avec satisfaction, des voix se feront entendre pour dénoncer une certaine volonté de faire traîner les choses retardant ainsi les soins à apporter aux malades, alors que de nombreux citoyens étaient auparavant bien convaincus par ces résultats. L’opposition entre ceux qui accusent les autres de brûler les étapes et ceux qui dénoncent une perte de temps sera encore plus vive mais en défaveur de notre équipe de recherche. Et certains pourront dire, tout ça pour ça sinon pour rien ! En effet, ce sera un énorme gâchis et des pertes de vies que l’on aurait pu sauver depuis quelques jours!

2-Et si notre recherche « nationale » aboutissait à des conclusions totalement opposées voire mitigées, il y a de fortes chances que le grand public et même des scientifiques ne soient pas convaincus par ces résultats. Ainsi ils pourront se demander si le Burkina dispose de capacités de meilleure qualité (experts, plateaux techniques des laboratoires, expérience dans ce domaine…) pour espérer faire mieux que ce qui est obtenu ailleurs. Assurément pas et c’est un deuxième risque de désaveu non négligeable!

3-Troisième risque pas très évident mais probable et qui peut aboutir à une certaine « instrumentalisation » de mes collègues chercheurs. En effet, quand l’un de nos décideurs actuels me dit qu’il est « tranquillos » car selon lui, c’est aux scientifiques de leur indiquer la direction à suivre, cela peut signifier que « la balle est dans le camp des chercheurs ». Alors si jamais ça tourne mal, les Burkinabè tourneront leurs regards vers ces derniers et dès lors il se posera un véritable problème de confiance entre les chercheurs et nos concitoyens.

L’évolution du Covid-19 au Burkina est très préoccupante comme le confirment les dernières données en notre possession à la date du Samedi 28 mars avec 207 cas confirmés. Nous étions tous dans l’expectative mais à partir du seuil de 100 cas franchi il y a quelques jours, l’on pouvait s’y attendre. Si le pourcentage de guérison est appréciable, le taux de mortalité reste assez élevé. Néanmoins, l’espoir que la courbe s’inverse reste tout de même permis. Alors, il faut agir encore et encore. Et que faire donc?
Au regard de tout ce qui précède, je suis favorable à l’administration de la chloroquine associée à l’azitromycine aux cas confirmés. Des pays le font déjà. Parmi eux, on note, entre autres, le Sénégal qui table sur un premier groupe de 96 cas confirmés, le Maroc, la France avec un 1er groupe de 24 passe à un groupe de 80 patients. Il faut le faire maintenant pour sauver des vies. La question des effets secondaires au centre des doutes ne doit pas bloquer notre démarche car la chloroquine ou nivaquine est une très vieille molécule utilisée depuis des années avec succès, même si, comme tout médicament, les conditions de sa prise par les malades, peuvent provoquer des effets secondaires lesquels sont presque tous déjà connus. En clair, l’on pourrait passer des essais cliniques à la phase expérimentale sur des malades puis à une phase de généralisation sous certaines conditions :
– S’inspirer des expériences des autres pays, en réadaptant les protocoles qui ont déjà la preuve de leur efficacité ailleurs et ce pour tenir compte de nos spécificités propres avant de les appliquer.
– Ne soumettre à ce traitement que des cas confirmés.
-S’assurer d’une surveillance médicale effective au cours du traitement avec l’association chloroquine+Azitromycine
-S’assurer que la molécule qui sera utilisée est de bonne qualité, afin d’éviter les molécules de contrefaçon.
Concernant les tests cliniques déjà entamés, leurs résultats viendront probablement confirmer ceux déjà connus ailleurs, ce qui va nous conforter dans nos choix pratiques sur le terrain.
Par ailleurs, toujours en rapport avec l’hydroxy-chloroquine, on note parmi les mesures prises par l’Autorité, la mise en quarantaine des stocks de chloroquine dans le pays. Cette mesure de l’ANRP ne me semble pas judicieuse car elle perturbe d’avantage le système d’approvisionnement pharmaceutique national. En effet, elle est à l’origine de la multiplication de centres de ventes illicites, de la fraude à partir de pays voisins comme le Mali et la Côte-d’Ivoire. Il me semble qu’il suffisait de prendre certaines dispositions (Ex : ne délivrer sous aucun prétexte la chloroquine que sur prescription médicale/ordonnance médicale) sous forme de directives à l’endroit des pharmaciens et des médecins prescripteurs, tout en faisant passer des messages de sensibilisation à l’endroit du grand public.  Encore une fois, je suis d’avis que toute hésitation est suicidaire. Du reste, notre constat est que les premières mesures prises par le gouvernement, tout en étant adaptées, ont été mises en place avec un retard notable et à cela s’ajoutent les poches de résistance au sein des communautés notamment dans la ville de Ouagadougou.  Aujourd’hui, sur un plan plus général, nous sommes d’avis que l’Etat burkinabè sera contraint de réviser son plan de riposte estimé à 11 milliards de FCFA afin de le consolider face aux données nouvelles qui apparaissent chaque jour, surtout au plan économique, social voire politique.  La présente tribune que je présente se veut être une idée de proposition, une simple contribution citoyenne car, en définitive, le dernier mot reviendra aux équipes de recherche et aux décideurs politiques du pays.

Ouagadougou, le 27 mars 2020
Dr Alain Dominique ZOUBGA
Ancien ministre de la Santé
Médecin spécialiste en santé publique
Officier de l’Ordre National »


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