HomeA la uneMARCHE DES FEMMES ET SUSPENSION DE L’AIDE DE LA Belgique AU BURUNDI : Nkurunziza saura-t-il lire ces signes des temps ?

MARCHE DES FEMMES ET SUSPENSION DE L’AIDE DE LA Belgique AU BURUNDI : Nkurunziza saura-t-il lire ces signes des temps ?


La contestation contre un troisième mandat de Pierre Nkurunziza ne faiblit pas au Burundi. Bien au contraire, l’on a le sentiment que le mouvement va s’amplifiant, avec de plus en plus de voix qui s’élèvent pour dénoncer sans fioritures la forfaiture du président burundais. Hier encore, des jeunes sont descendus dans la rue, beaucoup plus nombreux, malgré l’ultimatum du Conseil national de sécurité pour l’arrêt du mouvement « insurrectionnel ». Avant eux, ce sont des femmes qui avaient bravé l’interdition, le dimanche 10 mai dernier, pour se prononcer contre ce troisième mandat et demander l’arrêt des tueries de leurs enfants et de leurs maris. Ainsi, l’étau semble se resserrer autour du président burundais, même si tout porte à croire que le dictateur s’est mis des œillères pour mieux avancer. Comme quoi, le pouvoir rend aveugle, surtout ceux qui n’ont pas la sagesse de comprendre qu’il est un moyen de régulation de la vie sociopolitique d’un pays au profit du peuple, et non un instrument d’oppression de ce même peuple.

Il faudrait voir derrière la sortie de ces femmes le degré de gravité de la situation

Pour en revenir à la marche des femmes, elle pourrait s’inscrire dans le sens du mysticisme qui entoure certaines de leurs actions. En effet, quand les gardiennes du foyer, les porteuses et donneuses de la vie, en viennent à sortir de leur cuisine pour poser des actes forts sur la place publique, cela est souvent mauvais signe pour celui à l’encontre de qui ces actes sont dirigés. On a encore en mémoire la révolte des femmes à Bamako, en mars 1991, contre le dictateur malien Moussa Traoré, pour crier leur ras-le-bol de la tuerie de leurs enfants. On se souvient aussi de la marche des femmes d’Abobo en Côte d’ivoire, en mars 2011, contre le régime de Laurent Gbagbo, au plus fort de la crise postélectorale. Et plus récemment, on ne saurait oublier la marche des femmes en octobre 2014 au Burkina Faso, qui avaient sorti leurs spatules contre Blaise Compaoré, comme ultime avertissement pour la renonciation à son projet funeste de tripatouillage de la Constitution à son seul profit. Tout cela n’avait pas fait reculer tous ces satrapes, mais leurs régimes aussi étaient passés à la trappe.
Faut-il s’attendre au même scénario au Burundi où l’autre moitié du ciel a sorti la hache de guerre contre le président Nkurunziza ? En tout cas, rien n’est à exclure, d’autant plus que les mêmes causes produisent souvent les mêmes effets. Et dans le cas d’espèce, le pasteur président semble résolument engagé dans le même chemin que ses illustres prédécesseurs. Aussi, s’il ne revient pas à la raison, Nkurunziza risque de s’attirer de très graves ennuis qui provoqueront son déshonneur. Car, au-delà de la symbolique, il faudrait voir derrière la sortie de ces femmes burundaises, le degré de gravité de la situation et le drame qui se joue en ce moment dans ce pays dont on sait qu’il se remet d’une éprouvante guerre civile qui avait opposé les deux ethnies majoritaires du pays, les hutu et les tutsi.
Et comme généralement ce genre de sorties n’intervient que quand la situation a atteint un niveau suffisamment grave, il y a lieu de croire que c’est aussi le cas actuellement au Burundi. Et Nkurunziza aurait tort de ne pas en tenir compte. D’autant plus que son acte vise ni plus ni moins qu’à assassiner les accords d’Arusha, obtenus au prix de mille et un sacrifices, et qui consacrent la paix entre les frères ennemis hutu et tutsi.

C’est parce qu’il a la ferme conviction qu’il tient les cartes en main que Nkurunziza se refuse à toute concession

Au demeurant, que faut-il comprendre de l’attitude des policiers qui, obéissant jusque-là au doigt et à l’œil au dictateur en faisant preuve d’une brutalité excessive contre les manifestants, n’ont pas daigné porter la main sur ces femmes ? Eux qui ont sorti leurs grenades lacrymogènes, mais n’ont pas osé les lancer sur ces femmes qui, pourtant, bravaient une interdiction ? Est-ce pour conjurer le mauvais sort ou pour préserver ce qui peut encore l’être de leur image désastreuse ? Quoi qu’il en soit, cette différence de traitement des manifestants ne saurait passer inaperçue. Et le fait, pour ces femmes d’avoir franchi la ligne rouge, en dépit de la machine répressive de Nkurunziza, en atteignant des zones jusque-là infranchissables comme le centre-ville, est peut-être un tournant dans cette lutte.
C’est pourquoi il y a lieu de croire que Nkurunziza court le risque de sortir par la petite porte, dans le bras de fer qu’il a engagé contre son peuple, pour une cause qui est loin d’être juste. Mais saura-t-il seulement lire ce signe des temps et prendre une décision qui lui permette encore de sauver son honneur ? Rien n’est moins sûr, car le président pasteur ne se montre pas disposé à lire le moindre signe. De plus, il donne l’impression d’être trop sûr de son étoile. En effet, c’est parce qu’il a la ferme conviction qu’il tient les cartes en main que Nkurunziza se refuse à toute concession. Seulement, il oublie que tous les anciens dictateurs déchus avaient éprouvé ce même sentiment de toute puissance, avant de voir le ciel leur tomber sur la tête.
Et c’est ce qui pourrait bien arriver à Nkurunziza, si le vide doit continuer à se faire autour de lui. En effet, après l’Oncle Sam qui n’a pas porté de gants pour lui signifier sa forfaiture, et l’Union africaine qui le lui a aussi signifié, la Belgique vient d’annoncer la suspension de son soutien au processus électoral burundais et son aide à la coopération policière, à cause des violences meurtrières liées à ce troisième mandat de Nkurunziza qui va contre la Constitution burundaise et les accords d’Arusha. Deux mesures fortes qui visent à faire entendre raison au maître de Bujumbura. Et il faut souhaiter que d’autres partenaires ou institutions comme l’Union Européenne emboîtent le pas à la Belgique pour mettre la pression sur Nkurunziza afin qu’il se ravise. La paix, dans son pays, est à ce prix, et le jeu en vaut la chandelle.

« Le Pays »


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