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Me BENEWENDE SANKARA, A PROPOS DE LA RECONSTITUTION DES FAITS DANS L’AFFAIRE THOMAS SANKARA


Le dossier Thomas Sankara a connu une avancée significative, le 13 février dernier. Du moins, c’est l’avis de Me Bénéwendé Sankara, avocat de la famille Sankara, avec qui nous avons échangé suite de la reconstitution des faits au Conseil de l’Entente à Ouagadougou, par le Tribunal militaire. L’occasion faisant le larron, des sujets politiques ont été abordés à l’occasion. Lisez plutôt !

 

« Le Pays » : Qu’est-ce que la reconstitution des faits dans l’affaire Thomas Sankara?

Me Bénéwendé Sankara : La reconstitution des faits, en droit pénal, c’est d’abord des actes d’instruction prévus par le Code de procédure pénale, sous la direction du juge d’instruction qui décide de se déporter sur les lieux afin de reconstituer les faits. Il s’agit de faire en sorte que la pièce du crime soit reconstituée. C’est la mise en scène théâtrale du fait incriminé.

Quelle est son importance dans le dossier ?

Son importance, c’est de reconstituer les preuves du crime, de faire parler les acteurs sous l’œil du juge et des avocats qui sont constitués. J’ajoute que l’importance de la reconstitution, c’est d’arriver à rétablir les charges de façon indubitable car le juge d’instruction est à la recherche de preuves. Les témoins sont convoqués, les présumés auteurs du crime sont entendus. Cela permet au juge d’instruction de se faire une opinion de ce qui s’est passé le jour du crime, notamment le 15 octobre 1987.

En tant que profane, on ne voit pas ce que cela peut apporter de substantiel, dans la manifestation de la vérité !

Au stade actuel du dossier, il n’est pas permis à un profane de savoir ce qui se passe réellement. C’est normal que le profane ne comprenne absolument rien parce que nous sommes toujours dans le jargon judiciaire. Je dois souligner, avec force, que l’attitude du juge d’instruction, c’est d’abord le procès équitable, respectant les standards universels, notamment la présomption d’innocence. Jusqu’à présent, personne n’est coupable. Très souvent, l’opinion a indiqué son coupable mais pour le juge, cela ne veut rien dire.

Qui sont ceux qui étaient convoqués lors de la reconstitution des faits, le 13 février dernier, au Conseil de l’Entente ?

Ce sont ceux qui sont intéressés dans la procédure. Il n’y a pas eu quelqu’un d’autre : ceux qui sont poursuivis et inculpés aujourd’hui et les témoins. Ils ont déjà été entendus dans le cabinet du juge d’instruction. Les avocats qui sont constitués dans le dossier, étaient aussi présents.

Il y avait des absents de taille, notamment Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando. Comment leur cas a-t-il été traité ?

Ils font l’objet de mandat d’arrêt international. Je crois que le mandat est en cours d’exécution, mais il doit y avoir des difficultés puisque, jusqu’à présent, on ne les a pas amenés au Burkina Faso.

On sait que Blaise Compaoré est en Côte d’Ivoire. Connaissez-vous la position de Hyacinthe Kafando ?

J’ai appris qu’il est en Côte d’Ivoire aussi, mais je n’en suis pas sûr.

Quel sentiment vous a animé en foulant du pied, l’endroit où Thomas Sankara et ses compagnons ont été tués ?

J’ai eu l’occasion de repartir une première fois au Conseil de l’Entente, à la faveur des activités du mémorial. Beaucoup de ceux qui étaient là-bas et qui ont vu les bâtiments, surtout le bâtiment du Burkina Faso où le président Thomas Sankara est tombé, se sont effondrés. Quand vous arrivez pour la première fois, il y a d’abord la désolation du fait de l’environnement abandonné depuis plus d’une trentaine d’années. Savoir que c’est là qu’on a abattu un homme charismatique, une icône sur laquelle se fondaient beaucoup d’espoirs des peuples africains, est difficilement supportable. On est vraiment meurtri dans le cœur et dans l’âme. Le 13 février, pour ceux qui étaient sur les lieux où ont été tués leurs parents, on sentait qu’ils ne supportaient pas. Mais ce sont des gens courageux parce que le temps, aussi, est  passé. Les enfants des victimes sont devenus adultes, comme la fille du journaliste Paulin Bamouni, celle de Sama Christophe et bien d’autres que je n’ai pas peut-être reconnus.

Vous avez estimé que la reconstitution des faits, constitue une avancée notable dans le dossier. Qu’est-ce que cela veut-il dire ?

C’est une avancée très importante dans la procédure parce que quand on a refait le film du crime, cela veut dire que le juge, après les auditions et les confrontations, est à même de tirer des conclusions. C’est mon analyse personnelle. S’il n’y a pas de rebondissements et de faits nouveaux, le juge peut tirer des conclusions. Et quand le juge peut tirer des conclusions, il va vers une ordonnance  de clôture de son dossier. Quand il clôture le dossier, il le renvoie au Tribunal militaire pour le jugement. Voilà pourquoi je dis que l’on tire indubitablement vers le procès. En tout cas, de mon expérience personnelle où j’ai participé à des reconstitutions de faits, le dossier va plus vite après.

A quel niveau se situe la mise en œuvre de la promesse française de déclassifier les pièces en lien avec le dossier Sankara ?

La France  a effectivement envoyé, à notre connaissance, deux lots de documents que nous avons eu l’occasion de lire. Il  y a un troisième lot qui est attendu et qui n’est toujours pas arrivé, mais le juge peut s’en passer, quitte à la France de se justifier.

Après avoir pris connaissance des deux lots, a-t-on des éléments qui attestent qu’il y a des mains extérieures dans l’assassinat de Thomas Sankara ?

A l’occasion du procès, vous le saurez.  Sinon, je garde les informations pour moi, en tant qu’avocat. Je connais beaucoup de choses.

Etes-vous pressé que ce dossier soit jugé ? Ou êtes-vous fatigué après tant d’années de procédure ?

Maître Sankara n’est pas fatigué. On est attaché au respect du procès équitable pour qu’on ne se retrouve pas devant le tribunal et qu’on dise que dans la procédure, il y a eu tel vice qui va amener à tout reprendre à zéro. On doit se donner le temps de respecter la procédure et de saluer  la sérénité du juge qui est stoïque dans ce qu’il fait. Maintenant, la procédure peut aller plus vite si les gens passent aux aveux, s’ils ne cherchent pas à cacher la vérité et les faits. Quand on fait la reconstitution, il y a des éléments sur lesquels il n’y a pas de doutes. Il en a été ainsi du cas des exhumations de corps qui ont permis d’établir l’enquête balistique, l’autopsie et de mettre à jour des preuves palpables à travers des objets qu’on a retrouvés. Ce sont des preuves matérielles qui renforcent la conviction du juge. Donc, prenons notre mal en patience, la vérité se manifestera.

Autres sujets ! Que pensez-vous de la polémique née de la publication de « Ma part de vérité » de l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo ?

D’abord, je suis de ceux qui pensent qu’écrire, c’est bien. La liberté d’expression, pour moi, est sacrée. Par contre, les contre-vérités qu’on véhicule, méritent d’être relevées et je crois que la réaction systématique, simultanée, particulièrement celle de la jeunesse, a été très salutaire pour montrer que l’ancien président Thomas Sankara est véritablement porté aujourd’hui par une jeunesse qui croit en son idéal. Jean-Baptiste Ouédraogo est, en réalité, vindicatif. Même s’il était en face de moi, je le lui dirais. Je pense que ce n’est plus la peine de tirer sur la morgue parce que Jean-Baptiste aura révélé, à la face du monde, sa nature. Ce n’est pas pour rien qu’il n’a pas pu gérer le CSP (Conseil de salut du peuple). Pour moi, il a tout dit de lui-même, et il trouve des gens pour le défendre de la façon la plus maladroite qui soit. C’est une guerre entre deux écoles : l’école de la réaction, et l’école des progressistes. Donc, chacun y va avec ses arguments, mais il aura quand même eu le mérite d’avoir pondu un livre.

En vue des élections présidentielle et législatives, quelles sont les perspectives de l’UNIR/PS?

La première perspective, pour un parti organisé et structuré, ce sont les instances. Et nous avons convoqué notre congrès pour les 27, 28 et 29 mars 2020 à Ouagadougou. Le thème portera exclusivement sur les stratégies électorales de 2020. Tous les militants seront là et discuteront. Ce qu’ils auront décidé, c’est ce que le parti va défendre comme point de vue pour les élections.

Maître Sankara sera-t-il candidat à la présidentielle?

Maître Sankara a toujours été candidat de par la décision du parti. En 2005, cela a été le cas. J’ai été mandaté, habilité par le parti à l’époque UNIR/MS. En 2010 et 2015, ce fut pareil et pour 2015, cela a été aussi le cas, à l’issue d’une convention qui a connu tous les problèmes du monde du fait de la question de l’unité des Sankaristes.  Et ce fut cette convention qui m’a  habilité à me présenter au nom des Sankaristes en 2015. Par conséquent, en mars prochain, la décision se prendra encore, en toute responsabilité, par les militants.

Personnellement, avez-vous l’idée de vous porter candidat?

Je n’ai jamais mis le moi en avant. Mon moi se noie dans le nous. C’est vrai qu’on peut avoir sa détermination, sa conviction et son engagement personnel, qualités que j’ai toujours eues  quand il s’agit de défendre les intérêts du peuple burkinabè. Cependant, la question électorale procède aussi d’un ensemble d’analyses, de stratégies, de tacts pour gagner. Et en ce moment, plus vous êtes en équipe, plus vous êtes unis, mieux vous pouvez appliquer un programme. Ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir appliquer au Burkina Faso, un programme alternatif. Il faut une rupture dans la gouvernance, il faut qu’on puisse apporter, dans la gouvernance, la touche sankariste.

Mais vous êtes en alliance actuellement non ?

Nous sommes en alliance avec plus d’une cinquantaine de partis politiques à l’APMP.

Avez-vous l’impression qu’il n’y a pas assez de rupture dans la gouvernance actuelle ?

Il n’y en a pas, c’est une évidence.

Et vous en parlez avec les alliés?

Oui ! On en parle tous les jours, même au sein du MPP. Il y a des militants du MPP qui s’expriment, estimant qu’il n’ y a pas de rupture. Et c’est vrai parce que l’autorité de l’Etat aujourd’hui, je ne dirais pas qu’elle s’est effritée, mais elle ne peut pas s’affirmer de façon convenable pour avoir la rigueur de s’attaquer à un certain nombre de maux. La lutte contre la corruption a reculé et c’est un exemple parce que, dans un pays, lorsque vous reculez dans la lutte contre la corruption, cela veut dire que tout s’écroule.

D’où viennent ces résistances au changement ?

C’est le système qui n’a pas changé. Nous avons eu l’alternance, que nous saluons. Mais ce n’est pas un combat qui se mène en un jour. Ce n’est pas comme la méthode révolutionnaire où vous arrivez et vous mettez tout à l’écart et vous adoptez des règles et des méthodes de gouvernance révolutionnaire. Nous ne nous trouvons pas dans ce registre. Il faut qu’on se comprenne. Nous sommes en démocratie, où la liberté prime. On constate que le niveau de maturité, de liberté d’expression dans notre pays, est tel qu’il faut arriver, par le jeu du dialogue social ou du dialogue politique, à satisfaire tous les intérêts sectoriels ; ce qui n’est pas chose aisée. Du coup, vous avez l’impression que tout est prioritaire. Il y en a qui profitent quand même de leur position, de l’Administration, pour servir leurs propres intérêts. C’est pourquoi, dans un tel contexte, il faut une nouvelle gouvernance qui intègre des règles de probité, de respect des deniers de l’Etat et que l’appareil étatique soit en corrélation avec le niveau de vie, pour qu’on puisse avancer. Sinon, on se retrouve dans une paupérisation, une injustice sociale incroyable.

Avez-vous quelque chose d’autre à ajouter, à l’endroit de la population?

A l’endroit de notre peuple, nous devons garder notre sérénité parce que nous évoluons dans un contexte de terrorisme. Lorsqu’on est dans une guerre asymétrique, cela peut jouer sur les politiques publiques, puisque la priorité est tournée vers la sécurisation du pays. De nos jours, nous parlons de réconciliation nationale ; c’est un enjeu de taille, mais le Chef de l’Etat a été clair qu’on ne peut pas parler de réconciliation sans la vérité et la justice. Le tissu de la société se consolide par là, parce qu’une société ne se construit pas dans le mensonge.

Cela veut-il dire qu’on n’y arrivera peut-être  jamais ?

Si, on y arrivera.  Une société ne se construit pas dans le mensonge. D’ailleurs, à l’UNIR/PS, on est conscient que le travail d’alternative est un travail qui incombe d’abord aux éducateurs que sont les partis politiques. Un parti politique, ce n’est pas seulement les suffrages mais c’est de travailler d’abord à instaurer une conscience au niveau des militants, du prototype de société qu’on défend. Et si on arrive à instaurer cela, on a des militants acquis à une cause, à un idéal, qui vont voter pour vous et ce travail se fait progressivement. Voilà pourquoi nous ne nous offusquons pas de travailler avec des socio-démocrates pour qu’ensemble, nous travaillions sur les valeurs, sur l’homme. Tant que l’homme n’aura pas été transformé, c’est inutile. Et quelqu’un a dit :« Sankara partout, mais Sankara nulle part » . Tout le monde est unanime que Sankara était brave, mais personne ne veut être à sa place.

Interview réalisée par Michel NANA

 


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