HomeA la uneMe MARCELIN P. SALEMBERE, AVOCAT DE LOOKMANN SAWADOGO : « Je ne trouve pas l’article diffamatoire »  

Me MARCELIN P. SALEMBERE, AVOCAT DE LOOKMANN SAWADOGO : « Je ne trouve pas l’article diffamatoire »  


 

S’il y a une affaire qui défraie actuellement la chronique au sein des médias, c’est bien le procès intenté par six magistrats dont le procureur général contre notre confrère Lookmann Sawadogo, directeur de publication de Le Soir pour diffamation. Le jugement a eu lieu le  27 juillet dernier, et  le procureur du Faso a requis contre l’accusé 12 mois  de prison avec sursis et une amende de 300 000 F CFA. En attendant le délibéré, le 10 août prochain, un des avocats de la défense, Me Marcelin Paulin Salembéré, revient sur quelques aspects de ce procès. 

 

Qu’est-ce qu’on reproche exactement à votre client ?

Afin de permettre à vos lecteurs de pouvoir apprécier ce qui est reproché à mon client, je souhaiterais au préalable rappeler succinctement les faits. Le 5 avril 2017, le journal “Le Soir’’ publie sur son adresse www.facebook.com/LeSoir.bf/, un article intitulé “Comité d’enquête, soupçon de corruption de magistrats : Un gros poisson parmi les membres enquêteurs’’. Il ressort de cet article, des éléments qui peuvent se résumer comme suit : le rappel des conditions de mise en place d’un comité d’enquête par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), de sa mission et de la durée de cette mission qui a expiré sans qu’aucune information la concernant ne soit communiquée ; l’information qu’une indiscrétion ferait état de soupçons peu catholiques qui pèseraient sur un des membres du comité d’enquête contre lequel une dame menacerait de déposer plainte, si ce n’est déjà fait, pour de l’argent, dit-on, perçu contre service dans un dossier ; l’information que la dame en question se serait attachée les services d’un avocat pour porter l’affaire en justice, mais qu’il semble que tout est mis en œuvre pour étouffer l’affaire ; la suggestion d’écarter du comité tout membre qui ferait l’objet d’une plainte afin de crédibiliser le travail du comité.

Après cette publication, le Président de la Commission d’enquête a joint téléphoniquement Lookmann Sawadogo pour en savoir davantage, disant n’avoir pas connaissance d’une telle plainte au niveau de la Commission. Dans sa parution du 14 avril 2017, le quotidien « L’Observateur Paalga », dans sa rubrique une Lettre pour Laye, sous le titre “Justice : une enquête sur les enquêteurs ?’’, confirmait la même information aux termes de ses investigations. Par une publication en ligne, le 27 avril 2017 sur la page du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) titrée “Soupçon de corruption de magistrats membres du Comité d’enquête du CSM : Le Conseil rassure sur son impartialité’’, la Commission d’enquête indiquait que cette réaction fait suite aux différentes allégations de manquement, par des magistrats, publiées à travers les réseaux sociaux et les médias, comme il en a été de la publication sur le blog du journal « Le Soir » faisant état de faits de corruption imputables à un des membres de la Commission.

Après avoir rappelé les conditions de la mise en place, de la composition, des missions et attributions, de la méthodologie de travail de la Commission sur l’état d’avancement de ses travaux, la commission a écrit ceci : “A ce jour donc, la Commission a auditionné plus de cent cinquante personnes dans la cinquantaine de dossiers, y compris un dossier initié par un monsieur Balima dont la plainte a été enregistrée le 16 mars 2017 à son secrétariat. Six personnes ont déjà été entendues dans le dossier et les premières auditions remontent au 30 mars 2017. Elle s’apprête à auditionner les personnes mises en cause.’’

A la suite de cette publication de la Commission d’enquête, le journal Le Soir, dans une nouvelle publication en ligne du 3 mai 2017, a précisé que la plainte dont il était question dans sa publication du 5 avril 2017, était bien celle du dénommé Balima, et a expressément décliné l’identité du magistrat membre de la Commission d’enquête contre lequel ladite plainte a été déposée.

Je précise que toutes les deux publications en ligne du 5 avril et du 3 mai 2017 du journal « Le Soir » ont été faites sur le site dudit journal, signées ‘‘Le Soir’’. C’est le 5 juillet 2017 que Lookmann Sawadogo s’est vu signifier, par huissier, un acte de citation directe en matière correctionnelle avec dénonciation à parquet à la requête de six magistrats agissant en leur nom. A la lecture de cette citation, il lui est reproché l’infraction de diffamation pour la publication du journal Le Soir du 5 avril 2017, sur le fondement des articles 361 et 364 du Code pénal qui la prévoit et la réprime. Ses conseils  ont contesté la régularité de la procédure, car pour un article de presse en ligne, seule la loi spéciale qui la régit, est d’application. Il s’agit de la loi N°058-2015/CNT du 4 septembre 2015 portant régime juridique de la presse en ligne au Burkina Faso. Entre autres questions que soulève cette procédure : Comment les plaignants ont-ils pu identifier notre client comme auteur de l’article de presse incriminé pour pouvoir le citer devant le Tribunal pour diffamation, alors même que ledit article n’est signé d’aucune personne, mais est signé Le Soir ? S’il ne s’agit pas d’une infraction régie par la loi sur la presse en ligne, pourquoi citer le directeur de publication du journal Le Soir non pas es qualité, mais à titre personnel ? Je note en passant que tout au long du procès, aussi bien les parties plaignantes que le parquet ont mis en cause la responsabilité de notre client, tantôt en sa qualité de journaliste, tantôt en sa qualité de directeur de publication.

Est-ce que votre client a pris toutes les précautions pour se prémunir contre ce genre d’ennuis judiciaires ?

 

Je tiens à préciser tout d’abord que l’article n’est pas de mon client, comme il l’a d’ailleurs relevé au Tribunal tout en donnant l’identité de son collaborateur qui en est l’auteur. Toutefois, à la lecture de la publication incriminée du 5 avril 2017, je ne trouve pas l’article diffamatoire, parce que nulle part elle n’accuse de quoi que ce soit la Commission d’enquête, mais donne une information qui concerne un de ses membres, et qui s’est révélée exacte. Et si par extraordinaire tous les membres de la Commission d’enquête estiment que la publication du 5 avril 2017 pouvait jeter la suspicion ou le discrédit sur tous, la publication en ligne du 3 mai 2017 du même journal Le Soir, qui a précisé l’identité de l’auteur de la plainte ainsi que celle du membre de la Commission qui fait l’objet de cette plainte, lève toute équivoque de sorte que le 5 juillet 2017, date de la citation, il n’y avait aucun intérêt à agir. L’information donnée est-elle erronée ? Assurément pas, puisqu’à l’audience du 27 juillet 2017,  le Président de la Commission d’enquête a confirmé que ladite commission a enregistré une plainte contre un de ses membres, même s’il a refusé de décliner son identité qui est pourtant déjà connue de tous. Je conclurai en disant que le journal Le Soir a pris toutes les mesures pour se prémunir d’une telle procédure.

Est-ce que la loi sur la presse en ligne pose aujourd’hui problème ? Dans quel sens pensez-vous qu’elle doit évoluer ?

 

Ce sont nous les juristes qui, au gré des intérêts de nos clients, faisons des interprétations des dispositions qui sont pourtant très claires. L’article 8 de cette loi prévoit que tout journal en ligne peut être publié sans autorisation préalable, alors même qu’en l’espèce, le journal Le Soir a un récépissé, et sa publication du 5 avril 2017 remplit toutes les conditions de service de presse en ligne définies à l’article 2 de la loi. Lorsque j’entends par exemple dire que la publication d’un article d’un journal sur sa page Facebook n’est pas une publication en ligne, mais une publication personnelle, ou encore que pour qu’une publication d’un article d’un journal sur sa page Facebook puisse être considérée comme une publication en ligne, il faudrait que cet article ait été préalablement publié sur son site web, j’ai beau lire et relire la loi sur la presse en ligne, je ne trouve pas de telles dispositions. Dans le cas de Lookmann Sawadogo, pour une publication en ligne sur la page du Journal Le Soir, www.facebook.com/LeSoir.bf/, signé Le Soir, il est poursuivi à titre personnel sur le fondement du Code pénal et non pas comme directeur dudit journal ni sur la loi sur la presse en ligne. Je vous laisse apprécier. La loi sur la presse en ligne ne pose pas de problème, même si elle peut être, comme toute œuvre humaine, susceptible d’amélioration. Mais c’est à l’épreuve de sa pratique que des suggestions en vue de la parfaire pourraient être faites. C’est ainsi qu’à l’occasion de la préparation du dossier de  Lookmann Sawadogo, il a été constaté l’absence de la voie d’appel contre les décisions rendues par un Tribunal. Nous avons alors estimé qu’il était opportun de saisir le Conseil constitutionnel sur l’inconstitutionnalité de cette loi, et nous attendons la décision.

Au cas où le verdict vous serait défavorable, allez-vous user de toutes les voies de recours pour défendre votre client ?

L’avocat conseille son client, mais la décision d’exercer des voies de recours appartient au client. Nous attendrons donc de connaître la décision qui sera rendue le 10 août prochain, et, le cas échéant, la décision de notre client.

Vous venez d’être élu nouveau bâtonnier. Quel est le processus qui reste pour entrer dans vos nouvelles responsabilités ?

 

C’est le Règlement n°05/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA qui prévoit en son article 12, l’élection du dauphin, un an avant la fin du mandat du Bâtonnier. Je dois donc juste attendre la fin du mandat du Bâtonnier, qui arrive à terme à la fin de l’année judiciaire 2017-2018, pour lui succéder. Toutefois, depuis mon élection, je participe aux sessions du Conseil de l’Ordre, l’article 12 du Règlement N°05/CM/UEMOA prévoyant que le dauphin est membre de droit du Conseil de l’Ordre, mais sans voix délibérative.

Sous quel signe placez-vous votre mandat ?

 

Le Barreau du Burkina Faso est une institution qui s’est construite au fil des années, grâce aux différentes équipes dirigeantes qui se sont succédé. J’entends donc poursuivre l’œuvre afin de le rendre encore plus fort, plus compétitif, qu’il occupe la place qui lui revient comme institution de la République ; et ceci passe par l’engagement de tous les avocats, ce pourquoi un accent particulier sera mis pour le renforcement de la confraternité et la cohésion des avocats. Il y a des questions qui tiennent à cœur aux avocats, auxquelles il faudrait nécessairement apporter réponse, si d’ici ma prise de fonction elles ne sont pas réglées. Il s’agit de la protection et de l’élargissement du périmètre d’intervention de l’avocat, qui passe par une formation adéquate, l’amélioration des conditions d’exercice de la profession, une couverture sociale adaptée. Telles sont les grandes orientations de mon mandat.

Propos recueillis par Drissa Traoré


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