HomeA la uneMe  PROSPER FARAMA  à propos de la mise en examen de Diendéré : « Blaise Compaoré doit aussi être inculpé»

Me  PROSPER FARAMA  à propos de la mise en examen de Diendéré : « Blaise Compaoré doit aussi être inculpé»


 

Le général Gilbert Diendéré a été inculpé dans l’assassinat du capitaine Thomas Sankara. Selon Me Prosper Farama que nous rencontré hier, 7 décembre 2015, il est logique que cet officier supérieur de l’armée nationale burkinabè soit inculpé au regard du rôle qu’il a joué dans la tragédie du 15 octobre 1987. Mais avant d’aborder le dossier Thomas Sankara, Me Farama a répondu à quelques-unes de nos préoccupations sur  l’actualité politique nationale.

 

« Le Pays » : Quel bilan exprès faites-vous de la Transition ?

Me Prosper Farama : A titre personnel, j’ai été déçu dans mes attentes. Je le dis très clairement et sans ambages parce que je m’attendais à un changement radical après trente ans de lutte acharnée. On a vu beaucoup d’hésitations. On a vu beaucoup de tâtonnements et on n’a pas vu des gouvernants en phase avec les aspirations du peuple. Il y a eu beaucoup de colmatages. C’est vrai que vers la fin, les circonstances ayant aidé ce pays, le gouvernement de la Transition a essayé de rattraper ce qu’il pouvait, mais je pense que la base était déjà biaisée. C’est malheureux.

Est-ce une question d’hommes ou de maîtrise de la situation ?

 

La problématique est plus profonde qu’une simple question d’hommes. Je me rappelle que quelqu’un avait dit, parlant de la situation en Russie, que le tout n’était pas de couper la tête du Tsar parce que si vous tuez le Tsar, un autre Tsar reviendra. C’est une question profonde parce que pour moi, le combat contre un système ne concerne pas seulement un changement d’hommes. C’est un changement radical qu’il faut accepter, quel que soit le prix à payer pour amener un nouveau système. Or, malheureusement, je pense qu’on s’est peut-être trompé et fourvoyé. J’ai l’impression qu’on a plutôt lutté pour un changement d’hommes et non pour un changement de système. C’est pour cela d’ailleurs qu’à l’époque, j’attirais l’attention des uns et des autres sur la question essentielle, à savoir l’alternance. Je pense qu’au-delà de l’alternance, nous aspirions plutôt à une alternative. Peut-être, ne s’est-on pas compris. Mais avec les résultats auxquels on est parvenu, chacun appréciera à sa façon.

Voulez-vous dire que l’insurrection populaire a été piégée ?

Elle a été plutôt étouffée. Quand on se bat pour un ordre nouveau, il faut savoir que l’autre se bat pour le maintien et la prolongation de l’ordre ancien, parce que tout le monde n’a pas les mêmes intérêts en fonction de là où on va. Il est évident que d’autres forces ont combattu dans le sens inverse et j’ai l’impression qu’elles ont plus ou moins réussi à étouffer ce qui aurait pu être une révolution au Burkina.

Au regard des résultats auxquels l’on est parvenu aux dernières élections, peut-on parler de continuité ou de changement ?

J’ai fait une appréciation tout à fait simple. Du moins, je fais un constat. Quel parti est arrivé au pouvoir ? C’est le MPP. Qui sont les ténors du MPP ? Ce sont les anciens caciques du régime de Blaise Compaoré. Ceux qui, à mon sens, ont été les cerveaux et les concepteurs de la politique du CDP de l’époque. Certains se réclament d’avoir fait Blaise président. Ils ne contestent pas cet héritage. Au-delà des hommes qui animent le MPP, pour moi, c’est le système qu’ils ont toujours conduit. Je prends deux exemples majeurs concrets. Il fut une époque où Salif Diallo, ministre de l’Agriculture, un secteur très important de la République, évoquant la question de l’agrobusiness, disait : « il faut donner la terre à ceux qui ont les moyens de pouvoir l’exploiter ». Je vous dis qu’on devrait faire l’inverse : « il faut donner les moyens à ceux qui cultivent la terre ». Si c’est cette politique qu’on va nous ramener, c’est exactement ce que Blaise Compaoré avait fait et c’est exactement ce qui a été combattu. Et Roch Marc Christian Kaboré qui a été, un moment donné, à la tête des institutions, avait procédé à de grandes privatisations. Les privatisations, c’est une politique libérale, pure et dure. Je pensais que quand on parlait de changement fondamental, c’était par rapport à un ordre nouveau. C’était de nous apporter une autre politique plus humaniste, plus sociale. Si on revient avec des gens qui ont l’idée que développer le pays consiste à tout privatiser, je pense que c’est plus qu’une continuité. On ne peut pas me dire qu’il y a un changement. C’est en cela que je dis que le MPP n’est qu’un appendice du CDP, aussi bien dans les hommes que dans la politique.

Et pourtant, c’est l’appendice du CDP qui a eu le pouvoir. A qui la faute ?

Les responsabilités sont partagées. La question est très fondamentale. Quand on parle de changement, cela signifie qu’il y a un système en place qu’il faut combattre. Souvent, on s’attaque plus facilement au peuple mais tout le monde doit se remettre en cause. Dans cette période de Transition, on n’a rien fait pour clarifier les choses afin de permettre au peuple de savoir qu’il y a des politiques différentes possibles et d’autres offres d’alternatives et voilà les tenants de la nouvelle vision. Nous avons nous-mêmes travailler à semer la confusion dans l’esprit du peuple à tel point qu’il n’arrive pas à faire la distinction entre qui représente l’homme nouveau et qui prône la continuité de l’ancien système. C’est trop demander au peuple après, de faire la part des choses. Ceux qui étaient censés incarner cet idéal de changement se sont fourvoyés. Il faut en assumer les responsabilités et les conséquences et peut-être en tirer les leçons pour l’avenir.

Le dossier Sankara vient de connaître un nouveau rebondissement avec l’arrestation de Diendéré. Quel commentaire en faites-vous ?

Pour moi, ce n’est qu’une simple logique. Depuis le début de cette affaire, j’ai toujours dit que l’un des dossiers les plus aisés à instruire était celui-là. Puisque l’on connaît tous les acteurs ou presque, les commanditaires et les commettants dans ce dossier. Vous prenez le cas de Blaise Compaoré. Il n’a jamais nié qu’il connaissait les éléments qui ont assassiné le capitaine Thomas Sankara. Sauf que pour sa défense, il dit que le 15 octobre 1987, Thomas Sankara avait envisagé de l’arrêter et que certains éléments de l’armée étaient obligés de prendre les devants pour éviter cette situation. C’est dire qu’il reconnaît que des éléments ont agi dans son intérêt et peut-être pour son compte. A partir de ce moment-là, il suffisait de lui demander qui sont ces éléments-là. Vous prenez le Général Diendéré lui-même, je ne pense pas qu’il ait nié une fois le fait d’avoir été présent à cette intervention. Il dit bien qu’ils étaient partis uniquement pour arrêter le capitaine Thomas Sankara. J’ai même entendu dire qu’ils auraient réagi parce que le camp d’en face avait été le premier à tirer. Il est évident que Diendéré est allé sur le terrain et qu’il a participé aux opérations. Je pense que ce sont les pesanteurs de l’ancien régime qui faisaient qu’on ne pouvait pas l’inculper dans cette affaire.

Que doit-on faire de Blaise Compaoré dans ce dossier-là ?

Il doit aussi être inculpé ; c’est la même logique. Toutes les personnes qui reconnaissent avoir participé, directement dans cet assassinat doivent être entendues et inculpées. Maintenant, une chose est de les inculper, une autre est de prouver leur culpabilité. L’inculpation n’est qu’une présomption d’innocence. Pour moi, tous les noms qui ont pu être cités dans l’intervention du 15 octobre 1987 devraient être inculpés par le juge d’instruction ; à commencer par Blaise Compaoré lui-même.

Est-ce que le Burkina Faso a les moyens d’entendre et d’inculper Blaise Compaoré ?

 

Toute justice a les moyens d’action. Il y a des procédures de coopération internationale en matière de justice. Même si Blaise Compaoré ne réside pas sur le territoire burkinabè, il est possible de lui demander de comparaître volontairement, quitte à ce qu’il refuse pour que la procédure qui sied en la matière soit mise en branle. Maintenant, s’il y a des réticences au niveau de l’Etat dans lequel il réside, on en prendra acte et on avisera. Pour le moment, on ne peut pas présager de ce qui peut être fait et de ce qui ne peut pas être fait.

Combien de personnes ont été au total inculpées à ce jour ?

Je n’ai pas le nombre exact mais elles valent 10.

Quels sont les rôles de chacun ?

C’est, soit d’avoir participé directement à l’assassinat, soit d’avoir posé des actes de complicité, des actes ayant aidé ou favorisé cet assassinat.

Sait-on où se trouve présentement Hyacinthe Kafando ?

Personnellement, je ne sais pas.

Son nom a été cité, n’est-ce pas ?

Bien sûr ! Avant sa disparition, il était requis pour être entendu par le juge d’instruction. Il est recherché dans ce dossier et c’est la raison pour laquelle il a disparu. Quand on n’a rien à se reprocher, on ne se soustrait pas à la justice. On va volontairement répondre.

Il était question d’un test ADN dans l’affaire Sankara. Où en est-on aujourd’hui ?

Le rapport balistique est rentré mais celui du test ADN, pas encore, à ma connaissance en tout cas.

Y a-t-il des explications ?

Là, il faut vous adresser au juge d’instruction. C’est lui qui conduit cette procédure. Il est mieux placé pour vous renseigner.

A l’heure actuelle, est-ce que tout indique qu’il y aura un jugement très prochain de l’affaire Sankara ?

Il y a des avancées notables, comparativement à celui de Norbert Zongo. On a des inculpés dans le dossier Sankara ; c’est déjà fondamental. Cela veut dire que la procédure avance. A cette allure, je pense qu’on aboutira à un jugement.

Quelle est, selon vous, la grande leçon à tirer de toute cette procédure ?

La grande leçon que je tire malheureusement dans cette affaire Sankara, comme de bien d’autres dossiers qu’on a qualifiés de « dossiers pendants » au Burkina Faso, c’est le fait que notre justice a du mal à se déterminer par rapport aux bords politiques. On a vu que la justice vacille en fonction de la situation politique du moment. C’est-à-dire qu’il aura fallu par exemple qu’il y ait la Transition pour que certains dossiers connaissent un début de solutionnement. C’est regrettable. Pour moi, la justice, c’est une institution qui doit rester indépendante du pouvoir politique.

Propos recueillis par Michel NANA


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