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MISE EN PLACE DE LA COUR PENALE SPECIALE EN RCA


N’a-t-on pas mis la charrue avant les bœufs ?

La mise en place de la Cour pénale spéciale en RCA, du nom de cette juridiction hybride chargée d’enquêter et de juger les auteurs des crimes commis depuis 2003, n’aura pas été un long fleuve tranquille. Annoncée, en effet, depuis 2015, c’est maintenant que les députés centrafricains viennent de lui donner leur feu vert pour démarrer ses activités. Comme le dit l’adage, « mieux vaut tard que jamais ». De ce point de vue, l’on peut déjà rendre hommage aux députés. Car, en adoptant la loi portant sur la Cour pénale spéciale et ce, par 95 voix pour et seulement 2 contre, ils ont envoyé un signal fort aux personnes qui se sont illustrées depuis 2003, date de la victoire des rebelles de François Bozizé sur le président d’alors, Ange Félix Patassé, dans des actes qui heurtent la conscience humaine. Et le nombre de ces prédateurs attitrés des droits humains, est tellement effarant que l’on peut facilement imaginer l’immensité du boulot qui attend la Cour pénale spéciale. Le premier responsable de la structure, le colonel congolais Toussaint Mutazini Mukimapa, qui se tournait les pouces depuis un an à Bangui pour raison de désœuvrement, doit désormais mouiller la toge, peut-on dire, pour étancher la soif de justice des Centrafricains. Le procureur doit d’autant plus s’y investir sans réserve que l’histoire politique de l’ex-Oubangui-Chari s’est écrite en lettres
d’exactions sur les populations et d’atteintes massives aux droits humains.

On ne peut qu’applaudir des deux mains la mise en place de la Cour pénale spéciale

A l’époque coloniale déjà, le ton avait été donné par l’administration au point que René Maran avait choisi d’en parler dans son œuvre Batouala. Ce roman avait suscité l’émoi par le récit des massacres des populations indigènes par l’administration coloniale. L’on avait eu la faiblesse de croire que l’indépendance du pays tournerait définitivement cette page maculée de sang et de larmes des populations centrafricaines. L’on a vite fait de déchanter. En effet, les différents présidents qui se son succédé à la tête de la RCA, à l’exception du premier, Barthélémy Boganda, de Dame Cathérine Samba-Panza et de l’actuel président, Faustin Archange Touadéra, ont été d’illustres tyrans. Tous, à l’image de Bokassa, ont martyrisé le peuple centrafricain en toute impunité. De ce fait, l’on ne peut qu’applaudir des deux mains la mise en place de la Cour pénale spéciale, à l’effet de rendre justice aux victimes de la barbarie. L’on ne peut que s’en réjouir davantage, d’autant plus que depuis la chute de Bozizé, la violence en politique s’est muée pratiquement en génocide, avec de nouveaux acteurs tapis dans les rangs de la Séléka et des Anti-balaka. Et ces deux monstres ont accouché d’hommes et de femmes qui ne se fixent aucune limite dans le massacre des populations innocentes. Ces milices, en effet, ont fait plus de 5000 morts et provoqué la fuite de près de 900 000 Centrafricains, aujourd’hui réfugiés ou déplacés. Rien que le 14 mai dernier, les Casques bleus ont payé un lourd tribut à cause de la police de ces groupes armés. Ce jour-là, en effet, dans la localité de Bangassa, dans le Sud-Est du pays, six soldats de la paix ont été massacrés par ces sinistres individus. Au moins 30 civils ont connu le même sort.

Il reste à souhaiter bon vent au procureur congolais

Chaque jour que Dieu fait donc, la machine de la désolation fonctionne en plein régime en RCA. D’où la nécessité d’y mettre un terme ici et maintenant, car trop c’est trop ! La Cour pénale est née dans ce contexte. Mais l’on peut tout de même se poser la question de savoir si sa mise en place n’est pas précipitée. Autrement dit, si l’on n’a pas mis la charrue avant les bœufs. En effet, dans un pays où l’Etat est aux abonnés absents et où 80% du territoire est sous le contrôle des groupes armés, l’on peut être sceptique quant à la possibilité de la Cour pénale spéciale d’accomplir, comme il le faut, sa mission d’enquête. C’est d’ailleurs cet argument qui a été mis en avant par Florent Kema, député de Nana-Bakassa, pour voter contre l’adoption de la loi portant création de la Cour pénale spéciale. En tout cas, en des termes qui ne souffrent d’aucune ambiguïté, il a laissé entendre ceci : « Je veux que le gouvernement mette d’abord l’ordre dans le pays, qu’il envoie les militaires partout, qu’il mette la main sur ceux qui sont au niveau de la capitale avant de lancer ce défi ». A la suite de ce député, l’on peut adhérer au postulat qui veut que l’on restaure l’autorité de l’Etat avant de traquer les Centrafricains et les Centrafricaines qui se sont rendus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Cet argumentaire tient d’autant plus la route, qu’au plus fort des combats opposant milices Séléka et Anti-balaka en 2014, la présidente de la transition, Cathérine Samba-Panza, avait demandé à la Cour pénale internationale (CPI) de venir investiguer en RCA. Pour l’instant, et après trois ans d’enquêtes, aucun suspect n’a encore rejoint la prison de La Haye. Dès lors, l’on peut se demander si la Cour pénale spéciale (CPS) peut réussir aujourd’hui là où la CPI, malgré ses énormes moyens, a échoué. Même avant la Transition, précisément lors de la guerre de 2002/2003 qui s’est soldée par la victoire de la soldatesque de François Bozizé sur le président d’alors, la CPI avait conduit une première enquête qui avait débouché seulement sur l’arrestation de l’ancien vice-président de la République démocratique du Congo (RDC), Jean Pierre Bemba. Ce dernier, on se rappelle, avait envoyé sa milice soutenir le régime sanguinaire de Ange Félix Patassé. A cette occasion, tous les abus possibles ont été commis sur des civils innocents. Quinze ans après, les principaux acteurs de ce drame se la coulent douce en RCA. Pire, certains ont repris du service, malgré l’avènement d’un président démocratiquement élu et malgré la présence de la force Sangaris et de la MINUSCA. Pour toutes ces raisons, l’on peut craindre que la Cour pénale spéciale ne soit pas à la hauteur du défi qu’elle doit relever. Toutefois, sa mise en place peut avoir un effet dissuasif. Et dans l’hypothèse où la communauté internationale lui donnerait tous les moyens nécessaires pour agir, elle pourrait véritablement sonner la glas de l’impunité en RCA. Il reste à souhaiter beaucoup de courage et bon vent au procureur congolais, le Colonel Mukimapa, et à son équipe.

« Le Pays »


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