HomeBaromètreMONTEE DU TERRORISME AU BURKINA FASO : La genèse des faits

MONTEE DU TERRORISME AU BURKINA FASO : La genèse des faits


L’auteur du texte ci-dessous donne son point de vue sur la montée du terrorisme au Burkina Faso. Remontant à la genèse des faits, il conclut que la menace ne doit cependant pas être dramatisée, étant donné que l’Etat, malgré la modicité de ses ressources, arrive tant bien que mal à endiguer le fléau. Lisez plutôt pour en savoir davantage !

 

Jadis considéré comme un phénomène lointain, à la faveur d’une série d’attaques ignobles, les Burkinabè découvrent avec stupéfaction la face hideuse de l’hydre djihadiste.

Indexé à tort ou à raison comme l’épicentre de «  l’international de la subversion en Afrique » sous  l’ère Compaoré, notre pays épargné pour des raisons à élucider, faisait office de havre de paix dans un contexte ouest africain fortement polémologène.

Pour certains analystes et non des moindres, il ne fait l’ombre d’aucun doute, les autorités déchues entretenaient un pacte secret avec les djihadistes, au vu de la présence, au grand jour, des chefs terroristes et autres seigneurs de guerre à Ouagadougou.

Nous n’avons pas ici la prétention de faire un procès, mais des questions restent posées :

Le pays est-il en train de payer le prix de sa compromission sous forme de retour de la flamme ? Ou devrait-il s’attendre tôt ou tard à son tour à la furie  meurtrière de la part des pseudo défenseurs de l’islam ?

 

De multiples attaques anxiogènes

 

Juin 2015, attaque du poste de douane de Déou ;

10 octobre 2015, tirs nourris sur la gendarmerie de Samorogouan faisant trois morts dans les rangs de la  gendarmerie. Dans la même période, un Roumain est enlevé par des hommes lourdement armés à Tambao, après une attaque furtive ;

Mi-janvier 2016, le pays enregistre sa première attaque asymétrique d’envergure. Une opération apparemment coordonnée, qui produit une onde de choc de Tin Akof  jusqu’au centre de Ouagadougou (restaurant Capuccino, Splendid Hôtel) en passant par Djibo (enlèvement du couple australien Kent Eliot). La terreur a sévi et le bilan humain est effroyable : 32 morts, 71 blessés, 11 nationalités endeuillées.

Mai 2016, deux attaques lâches à Koutougou (Nord du pays) et à Intagom font trois policiers tués et des blessées ;

6 septembre 2016, attaque du poste douanier de Markoye (localité sahélienne située à 15 km de la frontière entre le Mali et le Niger). Bilan : 2 morts dont un douanier et 2  blessés ;

12 octobre 2016 au petit matin, nouvelle attaque contre un détachement militaire à Intagom. 4 militaires et 2 civils sont tués ;

 16 Décembre 2016, attaque d’une position de l’armée a Nassoumbou, localité située dans la province du Soum, à 70 km de la frontière malienne. 12 soldats tués et plusieurs autres blessés ainsi que des dégâts importants de matériels militaires sont constatés.

 

Qui nous attaque ?

 

Si  les attaques de Cappuccino et du Splendid Hôtel ont été revendiquées par le groupe terroriste Al Mourabitoune de Moktar Belmoktar alias le borgne et celle du poste douanier de Markoye par le groupe Etat Islamique, les informations sur les auteurs et commanditaires des autres attaques demeurent énigmatiques. Dans ce  domaine, la véracité des revendications reste toujours à démontrer car, on a vu des revendications fantaisistes ou à but de publicité.

 La complexité  de la situation réside dans la méconnaissance de l’ennemi   qui, du reste, utilise des méthodes de combats non conventionnelles. Les spécialistes dans le domaine, font appel à la notion d’asymétrie pour rendre compte du phénomène.

 L’asymétrie induit une transformation considérable dans les rapports de forces. De manière triviale, la guerre asymétrique est «  une  guerre qui oppose la force armée d’un Etat à des combattants matériellement insignifiants et qui se servent des points faibles de l’adversaire pour parvenir à leur but politique ou religieux ».

Ignorant qui nous attaque exactement, les hypothèses orientent vers les groupes terroristes de l’espace ouest africain les plus en vue que sont :

Al Qaïda au Maghreb Islamique ( AQMI ), filiale locale de la nébuleuse Al Qaïda (la base en arabe) de Yussuf Azam le père spirituel  d’Oussama Ben Laden, s’est constitué en 2007 à partir du GSPC, et sa katiba de l’ouest a été un moment dirigé  par  Moktar Belmoktar. Devenu rapidement incontrôlable pour l’émir de AQMI, Abdelmalek Droukdel, il ne restera pas longtemps à la tête de la katiba. En 2012, au moment de l’invasion du Nord-Mali par les groupes djihadistes à qui le MNLA avait servi de cheval de Troie, Belmoktar avait été remplacé par Aboud Zeid. Depuis, il a créé son groupe « Almourabitoun », les sentinelles, en arabe, aussi surnommé « les signataires par le sang », qui se trouverait actuellement dans le Sud de la Libye. En 2014, le haut fait des almourabitoun a été l’attaque du complexe gazeux de In Amenas, dans le Sud de l’Algérie. Depuis, on n’a plus entendu parler de Belmoktar.

 

AnÇardine (défenseur de l’islam). Né en 2012 dans le Nord malien, ce groupe terroriste à prédominance touareg fortement basé sur la tribu des Ifoghas, est dirigé par le touareg Iyad Ag Ghali et milite pour l’indépendance de l’AZAWAD  à travers un islam radical et extrêmement violent. La connexion entre Ouaga et Kidal en son temps, portait une charge de complicité. La famille de Iyad ayant longtemps séjourné à Ouagadougou.

Information moins enthousiaste pour les Burkinabè, c’est l’appartenance à ce groupe de  Boubacar Savadogo,  chef d’une Katiba chargée d’opérer au Burkina. Il semble être le  premier al ansari officiel de notre pays. Ce dernier, actuellement sous les verrous au Mali, aurait combattu au nord de ce pays en 2012 aux côtés de Yacouba Touré et Souleymane Kéita, tous proches de Iyad Ag Ghali, et serait l’auteur de l’attaque de Samorogouan.

Al -Mourabitoun (les Almoravides en arabe ), est le produit de la fusion entre des dissidents du MUJAO, lequel est né lui-même d’une dissidence au sein de AQMI (avec Hamada  Ould Kheirou, mauritanien d’origine comme fondateur). Ce mouvement dont le chef, l’Algérien Moktar Belmoktar, se trouverait actuellement dans le Sud libyen où il coordonne et revendique des actions criminelles spectaculaires.

Le Front de Libération du Macina (FLM) ou encore Katiba Macina a été fondé courant janvier 2015 et pratique le salafisme djihadiste. Ce groupe, composé majoritairement de peulhs, est dirigé par le prêcheur radical Hamadoum Koufa et opère au centre du Mali tout en visant le Sud en lien avec Ançardine.

Le groupe Ansarul islam du prédicateur extrémiste Dicko Ibrahim alias « malam » natif de Soboulé, localité située au nord de Djibo, proche du djihadiste Hamadoum Koufa. Il passe  des prêches radicaux dans les mosquées avec son association Al Irchad à la lutte armée et devient du même coup le suspect numéro un dans les récentes  attaques contre nos forces de défenses et de sécurité au nord du pays.

 

Pourquoi sommes-nous attaqués ?

 

Le Burkina partage deux  frontières immenses et difficilement contrôlables avec le Mali et le Niger qui sont en guerre ouverte avec les djihadistes. La proximité géographique  avec les zones de crises expose notre pays dans un contexte de perméabilité des frontières. Aussi, notre alliance avec les puissances occidentales en guerre contre le terrorisme international, notamment la France et les Etats-Unis, fait de nous une cible de choix.

 De plus, nos soldats participent à la force onusienne MINUSMA, engagée dans les théâtres d’opération au Nord-Mali, ce qui irrite fortement les terroristes. Notre engagement au Mali a déjà coûté la vie à dix  soldats et fait une vingtaine de blessés.

A tout cela, il faut adjoindre le contexte socio- politique de notre pays ces trois dernières années, marqué par une insurrection populaire et un coup d’Etat avorté. Ces évènements consécutifs à l’obstination du président Blaise Compaoré à s’éterniser au pouvoir malgré les restrictions constitutionnelles, ont durablement fragilisé l’Etat tout en ouvrant la voie à une nouvelle ère démocratique. Les terroristes profitent toujours des vides laissés par l’Etat fragile pour s’installer.

Aussi, l’acharnement  sur notre pays, sonne pour certains comme une vengeance des terroristes suite au départ forcé de leurs parrains (personnalités influentes du système Compaoré). Ces derniers  leur offraient en toute impunité  un sanctuaire stratégique dans l’espace ouest- africain.

Enfin, notons que le Burkina fait partie de ce que la vision islamique des relations internationales qualifie de Dar Al haram,  c’est-à-dire ce monde des mécréants qu’il faut impérativement convertir à l’islam pour y appliquer la charia.

 

Quelles réponses ?

 

La lutte contre le terrorisme exige un dosage équilibré de réponses conjoncturelles et structurelles.

Dans une perspective immédiate, la vigilance au sein du dispositif sécuritaire doit être relevée. La cohésion au double plan social et politique renforcée. Aussi, il faut unir la communauté en bannissant la stigmatisation et surtout rejeter tout amalgame entre islam et terrorisme.

 La guerre d’usure imposée par  les terroristes appelle en urgence une refonte de notre système sécuritaire hérité de l’ancien régime. En effet, sous l’ère Compaoré, une partie importante de l’armée a été détournée de sa vocation républicaine pour servir des ambitions politiques personnelles et claniques. Il faut revenir aux valeurs cardinales de l’armée que sont : l’honneur, le sens de la mission et le loyalisme, le sacrifice suprême pour la nation, la discipline et la neutralité.

Cette indispensable réforme doit conduire notre pays à se doter à terme  d’une armée bien formée, équipée ,  préparée et soutenue par un dispositif de renseignement moderne et performant.

Dans une approche systémique de lutte, il faut  non seulement capaciter notre Justice, mais surtout adapter et renforcer l’arsenal juridique en la matière pour espérer des suites diligentes et éclairantes aux dossiers de terrorisme. En outre, une vigilance accrue doit être observée aux fins de déceler et démanteler  les éventuelles  sources de financement du terrorisme

Aussi, faudra-il promouvoir le développement  dans les zones à risque comme le Sahel où il existe plus de mosquées à financements incontrôlés que de dispensaires, d’écoles publiques et de points d’eau. L’engagement de la communauté dans cette partie du pays est indispensable à la traque des djihadistes.

Enfin, la coopération sous régionale et internationale doit jouer pleinement aux fins de mutualiser les forces et coordonner la lutte. C’est en cela qu’il faut encourager l’initiative G5 sahel.

Bien que réelle, la menace terroriste ne doit pas être dramatisée  car l’Etat, malgré la modicité de ses ressources, arrive à contenir le fléau et à maintenir une stabilité globale rassurante. C’est pourquoi il convient de féliciter et d’encourager nos Forces de défense et de sécurité qui sont en première ligne de cette lutte et qui payent de leur vie pour que le pays reste debout.

 

Maxime Lomboza KONE, juriste, diplômé du Centre d’études diplomatiques et stratégiques (CEDS) de Paris, député à l’Assemblée nationale

 


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