HomeA la uneNATHALIE SOME, EX-PRESIDENTE DU CSC A PROPOS DE LA PRESIDENTIELLE

NATHALIE SOME, EX-PRESIDENTE DU CSC A PROPOS DE LA PRESIDENTIELLE


Elle avait complètement disparu des radars tant et si bien que ses propos étaient devenus aussi rares que les larmes d’un chien. Nathalie Somé, ancienne présidente du Conseil supérieur de la communication (CSC), puisque c’est d’elle qu’il s’agit, brise le silence. Dans l’interview qu’elle a bien voulu nous accorder, le 19 décembre 2019, à Ouagadougou, celle que d’aucuns surnomment « la dame de fer » revient sur ses ennuis judiciaires, son avenir politique et ses rapports avec les tenants actuels du pouvoir. Sans détour, dame Somé a répondu à toutes nos questions. Lisez plutôt !

 

« Le Pays » : Que devient Nathalie Somé ?

 

Nathalie Somé est là. Elle se porte bien par la grâce de Dieu.  Je ne suis pas encore à la retraite, si c’est ce que vous voulez savoir, selon les textes qui régissent la Fonction publique burkinabè. Malheureusement, depuis ma sortie de prison, mon employeur a décidé  de deux choses et c’est à moi de choisir. Ou je suis optimiste et je me considère en réserve de la République, ou je suis pessimiste et je dis que je purge  une peine pour laquelle la condamnation n’a pas encore été prononcée. Pour tout vous dire, je m’occupe du mieux que je peux.

 

Est-ce à dire que vous n’avez pas encore fini avec vos déboires judiciaires ?

 

Non et c’est vraiment triste. Je fais l’amer constat, comme beaucoup de Burkinabè, que la Justice a ses raisons que le commun des mortels ignore. Cela fait 28 mois que l’instruction se mène avec 6 mois de détention préventive et on est toujours dans l’attente. Le drame dans tout cela, c’est que la présomption d’innocence dont nous bénéficions au terme de la loi, ne veut rien dire et n’a aucun contenu juridique pour mon employeur qui a suspendu  mon salaire et par la même occasion, mis un coup d’arrêt à 32 ans de carrière construite au prix de dur labeur. Mon pays est un Etat de droit, sauf que les choses ne se passent pas toujours comme il se doit. J’ai appris qu’un des rapports de la Cour des comptes a jugé conforme la gestion de la Transition de Michel Kafando. Si cela s’avère, les malversations qu’on nous reproche, concernent l’organisation des élections, donc la Transition. Organisation, du reste,  félicitée par tous les acteurs, même par les tenants actuels du pouvoir. Le budget élections du CSC n’est pas dissociable de la gestion de la Transition mais enfin, attendons de voir ce qui nous est réellement reproché.

Comment avez-vous vécu les six mois de détention à la MACO et quelles leçons tirez-vous de cette expérience ?

 

Vous voulez que je vous réponde sincèrement ? J’ai vécu ces six mois de prison dans la tristesse. La MACO, ce n’est pas un lieu où on entre au son de la musique.  C’est une expérience que je ne souhaite à personne, même pas à mon adversaire le plus farouche. La prison, ce sont des moments qu’on a vite envie d’oublier. Ce sont  des moments extrêmement difficiles ; difficiles pour vous, difficiles pour votre famille, difficiles pour vos amis et connaissances  et également difficiles pour ceux qui vous y ont amené. Heureusement, j’ai été l’objet de soutiens multiformes et je dis merci à tous. Le grand merci, c’est à mon époux, M. Somé, à ma famille ainsi qu’à  mon avocat  de première heure, M. Stéphane Ouédraogo.  Pendant longtemps, je me suis demandé s’il n’y avait pas une autre manière de rechercher la vérité des faits que cette détention préventive de six mois.  J’avoue qu’aujourd’hui encore, je me demande  ce que cette détention préventive a apporté à l’enquête. Est-ce qu’elle a véritablement aidé à la manifestation de la vérité ? Je ne suis pas en train de juger les méthodes de travail de la Justice,  loin de  moi cette prétention, mais en tant que justiciable, je m’interroge sur leur efficacité quand 28 mois vous séparent encore des conclusions. Concernant l’autre volet de votre question à savoir les leçons à tirer, disons que la vie est une perpétuelle école. Elle vous instruit, elle vous éduque. Quand elle n’est pas tendre avec vous, il faut savoir en tirer le meilleur parti. En prison, je me suis agrippée à tout ce qui pouvait me permettre de dépasser la tristesse, la déception et le découragement pour continuer à espérer, à croire en mes capacités. Capacités d’aimer la vie sans céder au cynisme et à l’amertume. J’aime bien cette vision de cette sénatrice américaine dont j’oublie le nom, qui dit, et  je cite de mémoire : « Si tu es fatigué, continue d’avancer, si tu as peur, continue d’avancer, si tu as faim, continue d’avancer. Si tu veux goûter à la liberté, continue d’avancer ».  La vie est simplement une succession d’évènements heureux ou malheureux.

 

Après votre  traversée du désert, en voulez-vous particulièrement à quelqu’un ?

 

Gandhi a dit que le pardon est la vertu première des forts. Je veux être cette femme forte et ne pas avoir à utiliser la vengeance, même si l’occasion m’en était donnée. Du reste, je n’en ai pas les moyens. Je suis chrétienne pratiquante et je crois que ceux qui font du mal, finissent par se détruire. Mon Dieu est miséricordieux.

 

Quels sont vos rapports avec le pouvoir du MPP ?

 

J’ai envie de vous retourner la question parce que je ne la comprends pas très bien. Quels rapports une citoyenne comme moi peut-elle avoir avec tout un pouvoir ? Sauf si nous n’avons pas la même compréhension de ce que vous appelez pouvoir du MPP. Quand j’étais Présidente du Conseil supérieur de la communication (CSC), ma fonction d’Etat exigeait une proximité, une étroite collaboration avec les autorités mais je ne suis plus présidente depuis le 3 août 2018 où mon certificat de cessation de service a été signé par mon successeur.

Quel commentaire faites-vous de la situation de crise que traverse votre parti, le CDP ?

J’en suis triste. J’observe la situation de loin. J’avoue ne pas comprendre ce qui se joue à l’intérieur du parti. Je lis et écoute les commentaires des journalistes et les analyses de tous ceux qui s’intéressent à cette crise et je constate que les positions sont tranchées, même si les protagonistes s’en défendent.

 

Oui, mais en tant que cadre du CDP, vous ne pouvez tout de même pas nous dire que vous n’avez pas une position ?

 

Non ! Il ne s’agit pas, pour moi, de dire que je suis protagoniste X ou Y. Il y a beaucoup d’éléments du puzzle qui manquent pour moi qui ai longtemps été loin du parti. Nous sommes à un an des élections et il va falloir rapidement régler les contradictions. Je crois que c’est ça l’essentiel.

 

 

Selon vous, quel est le profil du meilleur candidat du CDP à l’élection présidentielle de 2010?

 

Qu’il s’agisse du CDP ou de tout autre parti, je crois que notre pays a besoin d’un président qui mette les Burkinabè au travail, avec pragmatisme. Il faut siffler la fin de la récréation des spécialistes en tout genre. Il faut changer de paradigme. Je ne sais pas quand est-ce que la cassure est intervenue dans notre société, mais nous avons besoin de nous redécouvrir Burkinabè, c’est-à-dire un peuple travailleur, tolérant, intègre, patriote et solidaire. Observez la violence avec laquelle nous nous exprimons. Un langage agressif, plein de suffisances, et  qui manque d’humilité. C’est symptomatique d’un malaise.  Il y a quelque chose de pernicieux, subtil et peut-être peu perceptible pour beaucoup, mais on assiste à une culture de l’unicité de la pensée. La politique n’est pas une zone de ressentiments furieux, coupée des faits. Nous avons besoin de construire un consensus parce que nous sommes une communauté de destins, appelée à une communauté d’idées et d’objectifs. Donc, celui qui ambitionne de présider aux destinées de ce beau pays, doit avoir la réconciliation des Burkinabè en ligne de mire. C’est-à-dire travailler à désarmer les cœurs. Il y a trop de pistolets dans les cœurs de beaucoup de nos compatriotes qui dégainent au moindre geste. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui résument la réconciliation à une poignée de personnes ayant eu le privilège de gérer ce pays. Ces analystes oublient que ce sont beaucoup d’autres personnes pour ne pas dire de nombreuses familles, qui se rattachent à elles. Si vous faites un bon décompte, vous verrez que ce sont presque toutes les familles burkinabè qui sont touchées. Dans notre contexte actuel, il ne fait pas bon être aux affaires, parce qu’on vous voit comme un traître face à la souffrance. Etre patriote, ce n’est pas forcément être aux affaires, mais c’est pousser à la roue du développement. Faisons en sorte que chaque Burkinabè se sente concerné par ce développement. Bien sûr, il y a l’épineuse question sécuritaire, difficile mais pas impossible à résoudre, à laquelle doit faire face audacieusement notre  candidat-robot.  Le candidat idéal pour moi, c’est un baroudeur, un homme ou une femme audacieuse, qui puisse faire  rêver la jeunesse, le seul bras armé du changement.

Beaucoup de cadres, au niveau de l’Etat, nourrissent des ambitions politiques ; est-ce le cas de Nathalie Somé ?

 

Les Burkinabè sont-ils prêts à avoir une femme président du Faso ? Si oui et si vous en êtes convaincu, n’hésitez pas à me démarcher. Ce serait avec plaisir que je porterai cette candidature. Vous savez, la force ne vient pas de nos capacités physiques mais d’une volonté indomptable d’agir. Pour l’instant, je ne me sens pas capable d’aller à la conquête de la magistrature suprême.

 

Le Code pénal révisé a été jugé liberticide par certains. Quel est votre avis sur le sujet ?

 

Je vais vous étonner en vous disant que je n’ai pas encore lu le Code en question. Donc,  je ne connais pas les dispositions qui sont querellées. Mais je suis une militante de la liberté de la presse sans laquelle il n’y a pas de véritable démocratie. J’aurais pu être plus explicite si j’avais pris connaissance du contenu du Code.

 

Quel commentaire faites-vous du dernier rapport de Reporters Sans frontières sur la liberté de la presse dans le monde ?

 

35e/187 pour le Burkina, c’est un bon classement. Cela est à l’honneur des autorités qui travaillent à créer un environnement favorable à l’exercice de la liberté de  presse. Il ne faut pas confondre l’arsenal juridique, les efforts du gouvernement à l’essor de la presse, avec la pratique du métier. J’ai toujours dit à mes jeunes confrères qu’il y a encore des efforts à faire en terme de professionnalisme. Le professionnalisme, ce n’est pas tant la mise en forme d’une information, qu’une réelle connaissance de son environnement, du contexte, de la culture, des enjeux, etc., et tout cela s’appelle responsabilité sociale. Et à ce niveau, il faut toujours de la vigilance.  Vous avez vu, quand nous avons voulu, en 2015, recadrer les émissions interactives, le tollé que cela a soulevé. Mais cette décision a été l’une de nos plus belles réussites. Il fallait oser et nous avons osé. Les résultats sont là aujourd’hui ; c’est simplement de la responsabilité.

Que pensez-vous de la liberté de la presse aujourd’hui au Burkina Faso, dans ce contexte de lutte contre le terrorisme ?

 

C’est un contexte qui est difficile, je l’avoue. Mais on revient encore au professionnalisme. Il y a quatre principes cardinaux qui guident la presse : Dire sans nuire, montrer sans choquer, dénoncer sans condamner et témoigner sans agresser. Si ces principes sont bien maîtrisés, le reste c’est de la routine.

 

Quels sont vos vœux pour le Burkina Faso et son peuple ?

 

Mon premier vœu, c’est la paix pour mon pays. Que Dieu guérisse les blessures intérieures des Burkinabè et éloigne le terrorisme. Le second, est que les élections se déroulent dans un climat apaisé.  Au brave peuple du Burkina, je souhaite courage, combativité, santé et une écoute active afin que nous apprenions à nous apprécier et à aimer notre beau pays.Au journal « Le Pays » qui me fait l’honneur de cette interview, je souhaite beaucoup de succès en 2020 et prospérité à tout le personnel. Merci pour votre intérêt constant pour ma modeste personne.

 

Propos recueillis par Boundi OUOBA

 

 


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