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NON-LIEU DANS L’AFFAIRE HABYARIMANA


 Et de deux pour Paul Kagamé !

Au bout de 20 ans d’enquête sur l’attentat contre le président rwandais, Juvénal Habyarimana, le parquet de Paris a annoncé un non-lieu. La décision est fondée sur l’absence d’éléments matériels susceptibles d’établir la responsabilité de personnes proches de Paul Kagamé dans cette affaire qui a, pendant deux décennies, empoisonné les relations entre Paris et Kigali. L’on peut d’abord trouver curieux qu’une enquête qui a pris tout ce temps, n’ait pas réussi à trouver le moindre indice sérieux allant dans le sens de l’élucidation de cette histoire. L’on peut ensuite faire une observation à propos du timing de ce non-lieu. En effet, il intervient pratiquement le même jour où la patronne de la diplomatie rwandaise, Louise Mushikiwabo, a été couronnée, peut-on dire, reine de la francophonie et cela grâce à la bienveillance de la France.

Un jugement à la Salomon

La coïncidence, en tout cas, des deux évènements est plus que troublante, et c’est le moins que l’on puisse dire. Cela dit, ce non-lieu sonne comme un jugement à la Salomon. Car, il fait les affaires à la fois de Paul Kagamé et de la France. En effet, l’homme mince de Kigali peut s’en réjouir sans modération parce qu’il a toujours clamé à qui voulait l’entendre, que ses proches n’ont rien à voir dans l’attentat qui a coûté la vie au président Habyarimana.

Paul Kagamé peut d’autant plus se frotter les mains qu’il n’a jamais varié d’un iota par rapport à cette ligne de défense. Et l’on peut dire qu’à force de constance et de fermeté, il vient de remporter une victoire. Et celle-ci intervient au moment où il était en train de savourer une première victoire, c’est-à-dire celle liée à la désignation de Louise Mushikiwabo à la tête de l’organisation de la francophonie. Et de deux donc pour Paul Kagamé ! Peut-on s’exclamer. La France a également des raisons de se satisfaire de ce non-lieu. En effet, cette affaire parasitait beaucoup les relations entre Paris et Kigali. Qu’elle se termine par un non-lieu peut constituer un pas dans le sens de la normalisation de la situation diplomatique entre les deux pays. Cette éventualité, on le sait, est pratiquement devenue une obsession  pour la diplomatie française depuis 1994, date du génocide qui a coûté la vie à 800 000 Rwandais.

Et dans cette tragédie, la France a joué un rôle plus que trouble. Depuis lors, le Rwanda représente sa mauvaise conscience. C’est pourquoi tous les présidents qui se sont succédé à la tête de l’Hexagone, après François Mitterrand, évitent, autant que faire se peut, de mettre les pieds dans les plats de l’homme mince de Kigali. Et l’actuel président, c’est-à-dire Emmanuel Macron, semble faire de la normalisation avec le Rwanda, l’un des grands chantiers de son quinquennat. Et tout porte à croire qu’il n’est pas loin de relever le challenge au regard des deux événements que constituent d’une part la nomination de Louise Mushikiwabo à la tête de l’OIF et d’autre part, le non-lieu en faveur de proches de Paul Kagamé. Emmanuel Macron est d’autant plus à l’aise dans ce difficile rapprochement entre Paris et Kigali, qu’au moment du déroulement du génocide en 1994, il était un adolescent de 16 ans, avec toute l’insouciance et toute l’innocence que ce statut suppose.

Ceux qui crient à un verdict politique pourraient avoir raison

Paul Kagamé ne peut donc pas l’accuser d’avoir barboté dans les eaux boueuses de la diplomatie française. L’on peut ajouter à cela le fait que Macron, depuis son élection, est dans la posture d’un président qui donne l’impression de regarder l’histoire coloniale de son pays avec un œil nouveau, c’est-à-dire celui qui consiste à reconnaître la responsabilité de la France dans les tragédie qu’ont connues d’autres peuples. Et le génocide rwandais en est une. Une autre est la guerre d’Algérie. Mais si les deux principaux gagnants du non-lieu sont Paul Kagamé et la France, l’on peut par ricochet dire que les principaux perdants dans cette sorte de deal qui ne dit pas son nom, sont les familles des membres de l’équipage tués dans l’attentat, la veuve Habyarimana et ses orphelins ainsi que tous ces milliers de morts engendrés par le génocide dont l’élément déclencheur a été, de l’avis de bien des observateurs, l’attentat contre l’avion présidentiel rwandais. Et tout porte à croire que ceux qui en ont été à l’origine ne seront jamais identifiés, tant le dossier est complexe et délicat. En tout cas, la littérature et les thèses sur les auteurs du tir au missile sur l’avion présidentiel rwandais, sont plurielles et contradictoires.

C’est pourquoi l’idéal aurait été que l’affaire fût confiée par exemple à la Cour pénale internationale ou à d’autres instances internationales. Dans le cas d’espèce, c’est seulement la Justice française qui s’en est occupée. Ceux qui crient à un verdict politique à propos du non-lieu, pourraient donc avoir raison. Et du coup, ils apportent de l’eau au moulin de l’ancienne secrétaire générale de l’OIF, Michaëlle Jean, qui a vu derrière son remplacement peu élégant par la protégée de Paul Kagamé, « de petits jeux entre Etats ». Mais si la France ne peut pas dégager sa responsabilité dans le génocide qui a frappé le Rwanda en 1994, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que le pays qui en a semé les graines est la Belgique. En effet, exploitant à fond le principe selon lequel « pour régner, il faut diviser », ce pays a dressé les Tutsis contre les Hutus. Et cette stratégie maléfique a été reproduite au Burundi voisin, avec pratiquement les mêmes résultats. C’est ce mauvais rôle qui explique que la Belgique observe chaque fois un silence de cathédrale à chaque fois que le Rwanda et Paul Kagamé s’invitent dans l’actualité.

« Le Pays » 


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