HomeLa nouvelle du vendrediLA NOUVELLE DU VENDREDI : Kalgonin ou l’histoire d’un quartier de Ouagadougou

LA NOUVELLE DU VENDREDI : Kalgonin ou l’histoire d’un quartier de Ouagadougou


C’est lorsque nous saurons d’où nous venons que nous pourrons réellement nous fixer une destination objective.

 

Au commencement…

Ce fut tout d’abord une quelconque brousse. Une brousse perdue au milieu de la savane. Un paradis végétal où, le jour, les femmes se donnaient joyeusement à la cueillette de fruits sauvages.

La nuit, c’était la patrie des bêtes, où le chasseur courageux donnait rendez-vous à ses futures proies.

Par la magie des hommes, par la science architecturale poussa un beau matin dans l’herbe une minuscule case. Une case du Mogho, coiffée d’un chapeau de paille. Puis, une modeste concession familiale naquit et se développa. Par la volonté des dieux, un charmant petit village situé au bord d’une route, d’une colline ou d’une rivière, vit le jour.

  

Avant de devenir aujourd’hui ces beaux quartiers modernes, ces villes accueillantes, ces grandes agglomérations politiques, économiques, industrielles ou culturelles…toutes les belles cités de Dunia partagent une histoire commune :

Il était une fois ou l’histoire d’une naissance.

 

Biig san banga samb-ba

A banga yaaba

 

« L’enfant qui a bien connu son père,  connaît son grand-père ».

Nous nous sommes inspirés de cette profonde pensée du guide culturel, de l’illustre homme de Science, le Larlé Naba Abga*, car le souci de connaître nos racines, de sauvegarder pour la jeunesse future un patrimoine en état de décomposition est un devoir.

Ce noble sentiment nous a poussé sous les ruines de souvenirs, sous les décombres de témoignages, à la recherche d’une pierre restaurable.

 In extremis, par cette fine chance qui sourit souvent aux audacieux, nous avons pu extraire avec peine cette histoire.

Un récit que nous tenterons d’immortaliser par la sève éternelle de l’encre, par la force de l’écriture.

 

Il était une fois au Mogho…

C’était à l’aube de l’humanité.

A travers toute la savane, dans les forêts lointaines, dans la profondeur des dunes de sable, dans les montagnes de glace, les mentalités étaient très différentes de celles d’aujourd’hui.

En ce temps-là, les expéditions de conquêtes, les campagnes de guerres, les pillages étaient courants.

Les hommes sains et robustes, mais surtout les jeunes femmes et les enfants prisonniers des champs de batailles, ou captifs, étaient des biens précieux très convoités.

Convertis en butin exploitable, en marchandises, monnayables, les esclaves étaient vendus ou troqués sur les places des grands marchés.

    

Un natif de l’Est, par ces évènements tragiques, pouvait se retrouver avec une corde au cou à l’Ouest, dans un environnement étranger à sa culture.

 Une jeune fille du Nord dans la fleur de l’âge pouvait se retrouver femme dans une vie pénible au Sud.  Déracinée, à jamais perdue pour les siens.

Tout au long de l’histoire de l’humanité, l’homme d’une manière ou d’une autre, par hypocrisie ou fantaisie, a toujours cherché le moyen prétendu légal de dominer son prochain.

 

En ce temps, vivait dans le village de Rabudu M’Boma, * un vieux sage. Palig-Wendé était son nom. Rabudu M’Boma était situé à une trentaine de kilomètres de Ouagadougou, la capitale du royaume moaga*. C’était un beau petit village perdu dans la savane de Dunia.

Le vieux Palig-Wendé était un bon cultivateur et un excellent éleveur. Il avait hérité quelques terres fertiles qui lui donnaient de bonnes récoltes par la force du travail et la clémence des pluies. En plus d’un modeste poulailler, un taureau et quelques têtes de moutons et de chèvres garantissaient au sage, une petite sécurité matérielle. Loin de vivre dans le luxe, le vieil homme, sa femme Tipoko et son fils Raogo, de seize ans, formaient une paisible famille.

 Palig-Wendé l’ancien était considéré dans le village comme un original, un être illuminé, un grand rêveur.

Et ce, pour la simple raison que le vieil homme, très sensible, portait un autre regard sur la question épineuse de l’esclavage. Le sage souffrait dans sa chair et dans son âme lorsqu’une caravane de ce honteux commerce traversait le village de Rabudu M’Boma. Voir ces créatures les mains liées au dos, les poignets tailladés par des cordes solides, l’avenir confisqué, était un supplice dans le cœur de l’humaniste Palig-Wendé. 

 

 – Comment peut-on s’adonner à un tel commerce ? Pourquoi a-t-on le droit de vendre son prochain…comme du bétail ? Où va le monde ?  S’interrogeait-il.

Révolté, mais seul et impuissant devant cette pratique inhumaine, le vieux paysan éprouvait une grande répugnance et maudissait cet usage odieux.

     

La vie continuait, le soleil se levait et se couchait dans l’impunité.

     

Un jour, une caravane de ce commerce sans gloire fit halte à Rabudu M’Boma. Le vieux Palig-Wendé, qui se trouvait fortuitement ce jour là sur la place du marché, fut très touché.

Il sollicita la permission des caravaniers pour offrir à boire aux captifs.

Lors de cette séance de compassion, le regard du saint homme croisa celui d’un jeune esclave.

Le regard juvénile de ce garçon de quinze ans implorait, suppliait, quémandait la clémence d’une main secourable. Il priait pour un espoir, un secours contre le destin cruel qui l’avait jeté dans les griffes impitoyables de la captivité.

                  Poussé ce jour là par une impulsion surprenante, par une force intérieure incontrôlable, Palig-Wendé rentra précipitamment chez lui. Il consulta rapidement sa femme Tipoko.

 Avec son taureau et toutes ses économies, le vieillard revint promptement sur la place du village auprès des marchands d’esclaves.

Après de vives négociations, il parvint à acheter Yembi le jeune captif. Le sage, dans l’étonnement général, s’octroya le droit de vie et de mort sur ce garçon.

 

Le geste de Palig-Wendé suscita de nombreux commentaires dans le village de Rabudu M’Boma. Les idées révolutionnaires du sage étaient en contradiction avec son acte.

 

– L’ancien, sous le poids de l’âge, est devenu gâteux !

 

– Lui qui vomissait à la seule vue d’un esclave, il s’en procure un !

 

– C’est une honte de retourner son bonnet à cet âge !

 

Dans le village, les commérages allaient bon train.

 

Les yeux mi-clos du patriarche voient plus loin que le vif regard de l’enfant.

 

Tipoko, insensible aux remarques provocantes de ses congénères, accueillit le jeune captif. Après un repas et un bain réconfortant, pour guérir les plaies de l’infortuné causées par les mauvais traitements, la bonne femme pansa tout le corps de Yembi avec une décoction à base de beurre de karité. Ce traitement fit beaucoup de bien au malheureux qui, aussitôt couché, s’endormit.

 

La nuit venue, après ce repos bienfaisant, le vieil homme fit venir le jeune captif.

En présence de Tipoko et Raogo il lui parla : 

    

 – Mon fils, c’est une joie pour moi de t’accueillir dans ma famille ! La vie d’un homme est toujours marquée par un évènement. Ta présence, ici cette nuit, marque ce moment pour le vieil homme que je suis. Je sais que tu as beaucoup souffert par la corde de captivité, je viens de donner un sens à ma vie en m’emparant de cette maudite corde ! Mon objectif dans cette démarche n’est pas de te faire travailler… loin de moi l’envie de ce comportement indigne ! Tu as le même âge que mon fils Raogo. J’imagine actuellement la peine de tes parents. Yembi mon enfant, ce matin, tu étais esclave, cette nuit, tu as retrouvé ta liberté. Par M’Soba le créateur, tu es maintenant un homme libre !

 

En entendant ces mots, les yeux du jeune captif, sous l’émotion, se remplirent de larmes. Il perdit la voix un instant. Il se jeta sur le sol aux pieds du sage et articula avec peine.

 

– Maître ! Maître !

– Plus jamais ce mot dans la bouche d’un homme libre ! gronda le vieillard.

Repose-toi, mon fils, Tipoko et Raogo prendront soin de toi. Les jours à venir, j’organiserai ton voyage de retour auprès des tiens ! Mais, laisse-moi le temps de te confier à des mains sûres, à des cœurs purs, pour rejoindre ton village.

 

Une nouvelle fois, le vieux Palig-Wendé étonna ses pairs en affranchissant un esclave le jour même de son achat.

Le lendemain matin, lorsque le vieil homme confirma la nouvelle aux notables du village, ce fut une pluie de commentaires. Chacun y allait de son avis.

 

– Palig-Wendé est un grand homme ! soutenaient les uns.

 

– Palig-Wendé est un vieux fou ! contredisaient les autres.

 

Ce fut toujours ainsi dans la vie de société : nos comportements ne sont jamais logés à la même enseigne.

   

 Quelques semaines plus tard, Yembi quitta la maison de ses bienfaiteurs avec une vive émotion. Comme s’il laissait une partie de son âme dans cette cour, l’ancien captif s’en alla rejoindre sa famille, le cœur lourd, plein de reconnaissance.

 

Entre les joies et les peines, la vie continuait à Rabudu M’Boma.

Une année passa.

 

La vie est un long chemin de découvertes, d’imprévus et de surprises.

Un après-midi, le jeune Yembi en homme libre, sur un âne, fit son apparition dans le village. Il alla directement dans la concession de l’ancien. Les retrouvailles furent chaleureuses. Ce fut un grand moment entre Raogo et Yembi, qui avaient partagé fraternellement la même case.

 Le soir après un repas copieux et d’échanges de nouvelles, Yembi annonça à la famille :

 

– Aujourd’hui, je reviens vers vous en homme libre. Une liberté que je respire par votre générosité. La reconnaissance m’animera jusqu’à la fin de mes jours. Père, mère, vous m’avez traité en fils. Acceptez-moi comme votre enfant…je suis revenu avec la bénédiction de ma famille pour vivre avec vous ! Acceptez- moi dans votre famille ! Vous êtes désormais mes parents !

 

Lorsque l’ancien esclave s’arrêta de parler ce fut un moment inoubliable.

Il ajouta :

                 – J’ai pris cette décision dès l’instant où père m’a affranchi. Si j’étais resté il y a une année, personne dans ce village n’aurait placé foi à votre bonne intention. Mais aujourd’hui c’est différent. Je reviens de mon plein gré…en homme libre !

 

C’est depuis cette nuit que les habitants de Rabudu M’Boma virent Raogo et Yembi allant ensemble aux champs, gardant les animaux sur la colline, accomplissant les divers travaux du vieux Palig-Wendé et de la mère Tipoko dans une parfaite fraternité.

En ce temps-là, le problème d’eau en saison sèche dans les villages de la savane était général. Le village de Rabudu M’Boma n’était pas épargné.

C’est dire chaque matin la longue queue, les heures d’attente des pauvres ménagères pour un canari d’eau !

Tous les jours, Raogo et Yembi conduisaient leur troupeau à cinq ou six kilomètres. Un jour, ils trouvèrent un espace verdoyant, couvert de rochers au pied d’une colline. Un coin abondant en herbe pour les animaux. Ce fut leur endroit de prédilection pendant des mois.

Un jour, ils parlèrent à leur père de cet espace bizarrement vert quelle que soit la saison.

Le sage alla un jour découvrir ce paradis. Il en fut émerveillé.

Il demanda aux enfants de creuser un puits. Miracle ! À peine deux mètres, l’eau caressait les genoux.

Après la découverte de ce point d’eau, le vieux Palig-Wendé, séduit par le lieu, sollicita l’autorisation des anciens pour s’y installer. Lorsque ce fut fait, le problème d’eau ne se posa plus, ni pour sa famille, ni pour ses animaux.

Lorsque, des mois plus tard, le manque d’eau fut pesant à Rabudu M’Boma, on eut recours au nouveau puits du sage. Le canari sur la tête, les femmes parcouraient chaque matin cette distance de cinq kilomètres pour s’approvisionner.

 

– Le bonheur accompagnera l’ancien tout au long de sa vie. Palig-Wendé, grâce à ses enfants et surtout à Yembi, mangera tous les jours du Kol-Kodo, bénissaient les femmes.

 

En ce temps-là au Mogho, la soupe de viande avec beaucoup de soumbala était un plat de luxe. Souhaiter à son prochain d’en consommer tous les jours symbolisait un vœu de bonheur absolu, d’abondance.

On nomma la nouvelle concession de Palig-Wendé « chez Kol-Kodo »

    

Pendant des générations, de déformation en déformation, Kol-Kodo changea et devint familièrement Kolgonin ou Kalgonin*.

Une grande partie des habitants de Rabudu M’Boma rejoindra plus tard la famille du doyen Palig-Wendé.

   

De migration en migration, les hommes se sont installés sur toute la terre de Dunia.

 

Des décennies plus tard, Tinbaoré, un descendant du sage et humaniste Palig-Wendé, vint un jour à Ouagadougou, la capitale du royaume. Au nom du village de Kalgonin, il apportait ce jour-là des présents au Mogho Naaba*.

Après sa mission, séduit par la splendeur de la ville de Kadiogo, Tinbaoré décida de s’y installer. De retour à son village natal, il sollicita la permission des anciens, qui lui fut accordée.

L’homme s’installa dans une brousse. Entre Tang-Zugu* à l’Ouest, Saman-Namiss-Yiri* à l’Est, Wéd-Danguin* au Nord et Silmissi* au Sud.

Le Gan-Soba* et ami de Tinbaoré, avant son installation, était le vieux Rakis-Wendé, un membre influent de la grande famille de Saman-Namiss-Yiri*.

Tinbaoré s’installa avec la bénédiction des Ting-Sobe Damba, les chefs de terre.

Devant sa nouvelle concession, Tinboaré planta un ficus glumosa (koui-kouiga en mooré).

Pendant des années, l’ombre de cet arbre marqua la vie de plusieurs générations d’enfants et la concession de Tinbaoré devint le lieu, le rendez-vous des ressortissants du village de Kalgonin et des villages environnants qui séjournaient dans la capitale.

 

– Passons saluer notre frère de Kalgonin et sa famille ! Disaient les visiteurs.

 

Lorsque cette brousse devint un village, ses premiers habitants l’appelèrent Kalgonin, du nom du village d’origine de Tinbaoré, son premier habitant. Kalgonin est aujourd’hui le nom du quartier situé à l’Est de l’aéroport international de Ouagadougou.

 

Le lien de mariage est un précepte sacré de Dieu pour perpétuer la race humaine mais aussi pour unir les peuples, les familles.

    

Bamb-namsdé* un fils de Rakis-Wendé épousera un jour Raogo* la fille unique de Tinbaoré.

Ousséni Nikiéma, votre jeune auteur est un de leurs descendants.

Chers parents, chers amis, chers lecteurs, vous l’avez sans doute compris.

Cette histoire puisée dans la profondeur des souvenirs est un travail de mémoire. Non pas pour donner une leçon ou un cours d’histoire, mais simplement pour sauvegarder un patrimoine culturel.

 

Pour terminer, disons que la pensée du franco-camerounais Alain Foka, célèbre journaliste de RFI, qui affirme :

« Nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire est un monde sans âme » nous a confortés dans notre désir de réaliser ce travail.

 

Extrait du livre « L’âge d’or » Ousséni Nikiema. [email protected]


Comments
  • Très intéressant!

    27 mai 2016

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