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PATRICE TALON ET LES LEGISLATIVES CONTESTEES AU BENIN : Reculer au risque de brûler le pays


 

Patrice Talon a persisté et signé dans sa volonté d’organiser les législatives dans son pays, à l’exclusion de tous les partis politiques de l’opposition. La rançon de son entêtement à faire de l’Assemblée nationale une vulgaire boîte d’enregistrement est donc manifeste puisqu’au moment où nous tracions ces lignes, le domicile de l’ex-président Boni Yayi était encerclé par la police. Pour quelle raison ? Difficile d’y répondre. On sait seulement que le Directeur de la police républicaine a déclaré qu’il n’y avait pas de projet d’arrestation de l’ex-locataire du palais de la Marina. On attend de voir. Cela dit, pour revenir aux législatives, on sait que c’est 22,99% des électeurs qui ont daigné y prendre part. A titre de comparaison, aux législatives de 2015, la participation s’était élevée à 66%.

Les partis politiques de l’opposition se disent prêts à croiser le fer avec Patrice Talon

L’opposition peut se frotter les mains, puisque son appel au peuple béninois à boycotter le scrutin a été entendu. Sur les 83 sièges de députés, « les deux épouses » de Patrice Talon que sont l’Union progressiste et le Bloc républicain ont engrangé respectivement 47 sièges et 36. Le seul mérite de ces deux partis battant pavillon Talon est d’avoir participé au scrutin puisqu’il n’y a pas eu véritablement compétition. Il ne devrait donc pas avoir matière à pavoiser pour ces nouveaux députés puisqu’ils ont été pratiquement nommés. En tout cas, le peuple béninois, dans son écrasante majorité, ne les a pas élus si fait que ces futurs députés risquent de souffrir pendant 4 ans, si les choses en restaient là, d’illégitimité. Il se pose dès lors la question de savoir, dans l’hypothèse où la Cour constitutionnelle validerait leur mandat, si le peuple béninois se sentira lié par les lois qu’ils voteront. L’on peut faire le pari sans grand risque de se tromper, de répondre par la négative. Et ce sera une attitude légitime, puisque, dans son écrasante majorité, le peuple a dit non à ces drôles de législatives. En tout cas, tous les partis politiques de l’opposition se disent prêts à croiser le fer avec Patrice Talon, jusqu’à ce qu’il prenne la décision d’arrêter le processus électoral. La question qui taraude tous les esprits après l’ultimatum de l’opposition est de savoir si Patrice Talon est capable aujourd’hui de lucidité et de grandeur d’esprit au point d’aller dans le sens exigé par les troupes de Yayi Boni et de Nicéphore Soglo, ses deux illustres prédécesseurs. En tout cas, deux possibilités s’offrent à lui, face à l’impasse politique dans laquelle il a choisi en toute conscience d’entraîner le Bénin. La première possibilité est purement et simplement d’arrêter le processus électoral d’abord. Ensuite, il pourra prendre langue avec les leaders des partis politiques de l’opposition dans la perspective d’examiner la possibilité d’organiser des législatives inclusives et transparentes. Ce renoncement est encore possible, pour autant qu’il veuille placer son mandat sous le signe de la consolidation de la démocratie au Bénin. Et à défaut de faire plus que tous ses prédécesseurs à la tête du pays depuis 1990, date à laquelle les forces vives du Bénin ont pris l’engagement ferme de ne plus louvoyer avec la démocratie, Patrice Talon n’aura aucune excuse à faire moins. En tout état de cause, il doit se le tenir pour dit. L’histoire le jugera sévèrement au cas où il prendrait la responsabilité sur lui de démolir le bel édifice démocratique que lui ont laissé respectivement Mathieu Kérékou, Nicéphore Soglo et Boni Yayi, comme legs.

Talon vient de donner un coup de talon à la démocratie

La deuxième possibilité qui s’offre à Patrice Talon est de s’asseoir sur ce riche héritage démocratique. Et la meilleure manière de le faire est de poursuivre le processus électoral jusqu’au bout. Ce scénario sera catastrophique pour le pays, en ce sens qu’il risque de le brûler. A ce sujet, il ne doit pas se méprendre sur la résolution ferme prise par Boni Yayi et Nicéphore Soglo d’user de tous les moyens pour ne pas lui permettre de faire du Bénin une république bananière, pour ne pas dire un pays « de merde » pour reprendre l’expression de Donald Trump. Et ils ont entièrement raison de ne pas permettre à un individu, fût-il président, de détruire, au détour de législatives ubuesques, ce que tout un peuple a eu à construire depuis la Conférence des forces vives en 1990. En tout cas, Patrice Talon sera bien inspiré de se ressaisir hic et nunc au risque de brûler le Bénin et de passer dans l’histoire de son pays comme le président qui aura fait basculer le Bénin, de la démocratie à l’autocratie. Et le fait d’organiser des législatives après avoir usé d’artifices juridiques pour disqualifier tous les partis politiques de l’opposition, est un signe qui ne trompe pas. C’est pourquoi, l’on peut saluer le courage de l’ambassadeur des Etats-Unis au Bénin, qui n’a pas eu besoin de formule euphémique, comme seuls les diplomates en ont le secret, pour pointer du doigt des législatives non consensuelles. Et cette sortie peut contribuer à motiver davantage l’opposition dans sa volonté de stopper Patrice Talon dont tout indique qu’il pourrait ne pas avoir de scrupules à renouer le Bénin avec les affres de la dictature dans laquelle il était plongé avant 1990. Et pendant que presque tout le monde est unanime à reconnaître que Patrice Talon vient de donner un coup de talon à la démocratie au Bénin, Emmanuel Tiendo, le président de la Commission électorale nationale autonome (CENA), parle d’une élection spéciale avant d’ajouter : « l’histoire de toute nation est souvent jalonnée d’obstacles dont elle tire les leçons pour avancer sur le long chemin de sa construction et de son épanouissement ». L’on peut se permettre de dire à la suite du patron de la CENA, que la plus grande leçon à tirer de ces « législatives spéciales », comme il le dit, est d’arrêter le processus électoral pendant qu’il est encore temps. Et la personne qui doit tirer cette leçon en premier lieu et de manière urgente, est le locataire actuel du palais de la Marina, c’est-à-dire Patrice Talon.

« Le Pays »


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