HomeA la unePr AROUNA OUEDRAOGO, CHEF DU SERVICE DE PSYCHIATRIE AU CHU-YALGADO OUEDRAOGO A PROPOS DE LA LUTTE CONTRE LA DROGUE : « Nous voyons la nécessité de disposer d’un centre de désintoxication »

Pr AROUNA OUEDRAOGO, CHEF DU SERVICE DE PSYCHIATRIE AU CHU-YALGADO OUEDRAOGO A PROPOS DE LA LUTTE CONTRE LA DROGUE : « Nous voyons la nécessité de disposer d’un centre de désintoxication »


La toxicomanie est un fléau qui touche une frange importante de la population. Elle engendre des conséquences néfastes pour la jeunesse qui constitue le fer de lance du développement. A l’instar d’autres pays, le Burkina Faso est confronté à ce phénomène. Pour mieux comprendre les causes et les risques liés à la toxicomanie, nous avons échangé le mardi 11 octobre 2016 avec le Pr Arouna Ouédraogo, psychiatre et chef du service de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo. Il donne davantage de précisions sur plusieurs éléments d’informations liés au phénomène qui semble prendre de l’ampleur ici au Faso.

       

« Le Pays » : Comment peut-on définir la toxicomanie ?

 

Pr Arouna Ouédraogo : La toxicomanie est une maladie qui désigne le fait, pour une personne, d’être dépendante d’une substance. Cette personne ne peut pas fonctionner en l’absence de la substance et elle va tout faire pour se procurer cette substance. En cas d’absence de la substance pour une raison ou pour une autre, elle se sent mal. Voilà définie la toxicomanie de façon simple.

 

Quelle est l’ampleur de ce fléau au Burkina Faso ?

 

Au regard d’un certain nombre d’implications, le problème de toxicomanie a été considéré comme étant effectivement un fléau en ce sens qu’il détruit des individus, des familles. Il y a même d’autres conséquences concernant la sécurité de l’ensemble de la communauté. Il y a de plus en plus une attention particulière sur la relation entre ce phénomène et le grand banditisme et la criminalité organisée. Compte tenu de tous ces aspects, on s’accorde à dire que c’est effectivement un fléau.

 

Qu’est-ce qui peut amener une personne à s’adonner à la toxicomanie ?

 

Il y a plusieurs voies possibles d’entrée dans la toxicomanie. Il y a des personnes qui, du fait d’un malaise quelconque, vont rechercher la solution à travers des substances et qui arrivent à se procurer une sensation de plaisir qui, même éphémère, leur permet de se dire que quelque part, elles ont la solution à leur problème.  Il y a, dans d’autres situations, le fait que l’individu le fait par curiosité. Une fois que vous allez goûter par curiosité à la substance, vous pouvez déjà développer une dépendance. C’est comme si votre organisme était modifié de manière à vous réclamer cette substance. Il y a bien d’autres raisons qui peuvent motiver les individus à s’adonner à la consommation de produits susceptibles d’engendrer une toxicomanie.

 

A combien peut-on estimer le nombre de toxicomanes au Burkina Faso ?

C’est très difficile à estimer pour plusieurs raisons. Premièrement, ce ne sont pas des gens qui se déclarent comme tel. Il y en a qui sont dans cette dépendance et qui vont chercher à se cacher, qui ne vont pas se présenter devant les structures sanitaires. Il y en a aussi qui, pour de multiples raisons, estiment qu’ils sont bien avec leur toxicomanie et qu’ils ne souffrent, en fait, d’aucun problème qui justifie un quelconque recours à l’aide. Si l’on tient aussi compte du fait qu’au niveau national, nous n’avons pas un système d’observation (un observatoire) qui nous permette de suivre le phénomène sur l’étendue du territoire national, l’on comprend que nous ne disposions pas toujours de données pourtant utiles. Il y a souvent des enquêtes qui sont menées pour évaluer le nombre d’usagers de drogue au sein de la population générale ; ce sont des enquêtes qui sont assez coûteuses et qui nécessitent des moyens financiers assez considérables que nous n’avons pas toujours. Cela fait que nous ne disposons pas, à l’échelle nationale, de statistiques qui nous permettent de dire qu’au Burkina Faso, il y a tant de personnes qui se droguent. Ce sont des lacunes qui méritent d’être comblées et ça le sera également, dans un avenir plus ou moins proche.

 

Mais quels sont les chiffres qui reviennent le plus sur le nombre de toxicomanes ?

 

Je n’en sais absolument rien. Sur un certain nombre d’éléments d’informations, on peut donner quelques indications. Mais en termes de prévalence, je ne dispose pas de données. Ce que nous savons, c’est qu’il y a une partie des personnes qui sont dépendantes et c’est probablement la partie visible de l’iceberg. Cette petite partie vient, pour des raisons diverses, consulter les structures de santé.  J’insiste pour dire que cela ne concerne qu’une partie des cas. Nous avons, à l’échelle du service, la possibilité, au cours d’une année, de savoir que nous avons tant de malades qui sont venus pour des problèmes en rapport avec la drogue. De manière globale, nous avons entre 250 à 300 personnes par an, que nous recevons pour des problèmes en rapport avec la drogue. Parmi les drogues qui sont en cause, le cannabis vient en tête suivi de l’alcool, l’héroïne et des cas de dérivés de la cocaïne. Ce sont des données hospitalières valables uniquement pour les personnes qui viennent consulter dans les services de psychiatrie.

 

Quelle est la tranche d’âge concernée par le fléau ?

 

Il y a des adolescents et des adultes jeunes. C’est surtout cette tranche d’âge qui se rencontre dans la file active que nous recevons dans nos services sanitaires.

 

Y a-t-il une politique de prise en charge des toxicomanes ?

 

Tout dépend de ce vous appelez politique de prise en charge. Si cela est entendu comme référentiel à l’échelle nationale sous la forme d’un document formel, ça n’existe pas. Mais la toxicomanie étant une maladie, les professionnels de la santé savent comment traiter cette maladie. Vu sous cet angle, je ne veux pas qu’il y ait des malentendus pour croire qu’au Burkina Faso, on ne traite pas du tout les toxicomanes. Il y a une possibilité de prise en charge dans les formations sanitaires. Au plan national, il existe un comité national de lutte contre la drogue qui coordonne l’ensemble des actions qui sont menées en matière de lutte contre la drogue, qui définit un certain nombre d’actions, que ce soit en matière de lutte contre l’offre et la demande. Donc, il existe quelque chose qui est envisagé, qui est préconisé au plan national en matière de gestion de cette problématique.

 

Qu’est-ce qui fait défaut dans la prise en charge des toxicomanes au sein de vos services ?

 

Les personnes que nous recevons ne constituent qu’une infime partie des personnes concernées par le phénomène de la drogue. Cela est dû au fait que certaines personnes ne souhaitent pas venir en psychiatrie pour des raisons liées à la stigmatisation de la maladie mentale. L’idéal aurait été de disposer d’une structure qui a vocation à recevoir des patients, des personnes qui ont des problèmes avec la drogue. Pour le moment, nous n’avons pas ce genre de structures spécifiques pour la prise en charge de ces questions et c’est un projet, c’est un défi aussi et nous pensons que dans un proche avenir, cette lacune pourra être comblée.

 

Vous faites allusion, en parlant de structure spécifique, à un centre national de désintoxication ?

 

En tout cas, disons une structure nationale de prise en charge de la toxicomanie qui soit différente des services de psychiatrie qui ont vocation à recevoir des personnes qui présentent des troubles mentaux. C’est vrai que la toxicomanie a un rapport avec la maladie mentale. Elle est une forme de maladie mentale, mais dans la problématique de la drogue, vous avez des sujets qui ne sont pas forcément dans cette toxicomanie, qui sont des usagers mais qui ne sont pas, en fait, forcément des malades. Ils peuvent nécessiter, en fait, une prise en charge si ces personnes le souhaitent. La structure spécifique dont je parle, pourrait prendre en compte cette catégorie d’usagers de drogues.

 

Y a-t-il nécessité pour le Burkina Faso de disposer, à l’instar de plusieurs autres pays africains, d’un centre national de désintoxication ?

 

C’est ce que je vous disais tantôt. Nous voyons la nécessité de disposer d’un centre pareil. Nous travaillons à ce que cette structure voie le jour. Le fait qu’elle n’existe pas encore peut s’expliquer par une question de moyens. Pour le moment, nous n’avons pas reçu d’appuis nécessaires pour pouvoir mettre en place cette structure. Ce qui fait que jusque-là, elle n’existe pas.

 

Le manque de centre national de désintoxication ne peut-il pas aussi s’expliquer par un problème de volonté politique ?

 

Très probablement, puisque pour que le phénomène de la toxicomanie puisse être inscrit à l’échelle des priorités nationales, il faut qu’il y ait cette volonté politique d’inscrire le problème de la lutte contre la demande de drogue à l’échelle des priorités nationales.

 

Quel message aux jeunes par rapport au fléau de la toxicomanie dont on sait qu’il a des conséquences désastreuses ?

 

Le message que nous lançons à la jeunesse, c’est d’éviter de toucher à la drogue. On a toujours des surprises, des évolutions imprévisibles dès lors que l’on commence l’intoxication. Quand on prend en compte le fait que la drogue entraîne une dépendance, en réalité, l’usager n’est plus maître de lui-même dès lors qu’il s’y engage. Puisqu’il va modifier son organisme et ne sera pas capable de contrôler ses capacités, ni de s’abstenir au moment où il souhaiterait le faire. La meilleure façon, c’est d’éviter de toucher à la drogue. La drogue ne résout absolument aucun problème et même si l’on a l’illusion que ça résout un problème, au regard des dégâts causés, il est sage de s’abstenir.

 

Interview réalisée par Saïdou ZOROME en collaboration avec AFROLINE

 

 

 

 


Comments
  • Je trouve l’article très intéressant et permet de plus appréhendé. Le phénomène de la drogue est un sujet qu’on en parle pas vraiment mais qui est le quotidien de certains personnes et les personnes ne se déclare pas

    23 mars 2023

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