HomeA la unePR DIARRA YE, PEDIATRE AU CHUP-CDG : « Environ 53% des décès des enfants dans le monde sont liés à la malnutrition aiguë sévère»

PR DIARRA YE, PEDIATRE AU CHUP-CDG : « Environ 53% des décès des enfants dans le monde sont liés à la malnutrition aiguë sévère»


 

Elle est la chef du service de pédiatrie médicale au Centre Hospitalier Universitaire Pédiatrique Charles De Gaulle (CHUP- CDG). Par ailleurs, elle vient d’être élue à la tête de la société burkinabè de pédiatrie (SOBUPED). Elle, c’est Pr Diarra Yé. Dans une interview qu’elle nous accordée le 9 août 2018, Pr Yé nous parle des causes et des différents types de malnutrition chez l’enfant. Lisez !

 

« Le Pays » : Qu’est-ce que la malnutrition chez l’enfant

 

Pr Diarra Yé : La malnutrition est un problème de santé publique au Burkina et partout dans le monde. Selon  l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la malnutrition se caractérise par un « état pathologique résultant de la carence, de l’excès ou du déséquilibre d’un ou de plusieurs nutriments. Cet état peut se manifester cliniquement ou n’être décelable que par des analyses biochimiques, anthropométriques ou physiologiques ». En d’autres termes, la malnutrition est en rapport soit avec une  carence soit une insuffisance de nutriments,  ou bien un excès de nutriments. Les carences en macronutriments (les glucides, les lipides, les protéines) ont été longtemps incriminées,  celles en micronutriments (fer, acide folique, zinc, cuivre etc.) sont aussi associées. Quant au terme enfance, il cible l’âge compris entre 0 et 15 ans et les enfants de moins de 5 ans paient les plus lourds tributs.

 

Quel type de malnutrition est-il le plus fréquent ?

 

En milieu pédiatrique, c’est la malnutrition par carence qui domine. Mais depuis un certain temps, on constate une  présence significative de la malnutrition par excès qui se manifeste par un surpoids ou une obésité chez les enfants.

Existe-t-il plusieurs sortes de malnutrition chez l’enfant ?

 

Il existe 2 grands groupes de malnutrition : la malnutrition par carence et celle par excès. La malnutrition par carence  peut se présenter sous 3 formes :

– La malnutrition aiguë ou émaciation se traduit par un poids insuffisant par rapport à la taille. Elle est la conséquence  des déficits alimentaires ponctuels (période de sécheresse, de soudure) dus à des maladies telles que  les diarrhées, la rougeole, le paludisme. Dans cette forme aiguë, on distingue la malnutrition aiguë modérée,  et la malnutrition aigüe sévère qui peut se voir avec des œdèmes ou sans œdèmes.

– La malnutrition chronique ou retard de croissance se traduit par une taille insuffisante par rapport à l’âge. Elle est le plus souvent la résultante d’une combinaison de facteurs tels que les soins et pratiques alimentaires inappropriés, un environnement insalubre, l’insuffisance d’hygiène et le faible accès aux services de santé.

– L’insuffisance pondérale, quant à elle, se traduit par un poids insuffisant par rapport à l’âge.

Elle est une forme mixte de malnutrition aiguë et chronique.

La malnutrition par excès peut se manifester sous forme de surpoids ou d’obésité. A ce stade, d’autres maladies peuvent se greffer telles que le diabète, les problèmes d’hyperlipidémie et les risques cardiovasculaires

Quand est-ce qu’on dit qu’un enfant est en état de malnutrition ?

 

La surveillance des paramètres anthropométriques occupe une place importante dans le dépistage précoce de la malnutrition à savoir  le poids, la  taille, le périmètre brachial. Les chiffres obtenus doivent être portés sur des courbes de croissance correspondantes se trouvant dans le carnet de santé de l’enfant,  par le professionnel de santé. Tout écart anormal doit retenir l’attention du professionnel de santé, être analysé et les réponses appropriées apportées. D’autres paramètres sont appréciés à savoir l’état clinique de l’enfant, le comportement alimentaire de l’enfant, ses cheveux, ses humeurs, etc. Un enfant qui s’alimentait normalement et qui, à un moment donné, commence à ne plus manger doit retenir l’attention de l’entourage car, ses besoins ne seront pas couverts. L’anémie qui peut être en rapport avec une carence en fer, donne une pâleur visible sur la  paume des mains de l’enfant, ce qui doit alerter la maman et l’amener à consulter le plus tôt possible.

A quel stade doit-on s’inquiéter ?

 

La malnutrition peut revêtir plusieurs aspects et la forme sévère, non prise en charge, peut être responsable de décès. Un enfant malnutri est un enfant déprimé sur le plan immunitaire, ne disposant plus de ses moyens de défense contre les germes, il est exposé à toutes sortes d’infections. Sur 100 enfants âgés de 0 à 5 ans au moins, 53 ont un problème de malnutrition.  Quant à la malnutrition par excès,  elle peut être responsable de maladies métaboliques notamment le diabète et l’hyperlipidémie, etc.

 

La malnutrition sévit-elle en ville ou au village ?

 

Elle sévit effectivement en ville et dans les villages à des proportions variables soit sous forme de  malnutrition aiguë, chronique ou une insuffisance pondérale pour les formes par carence. Quant aux  malnutritions par excès, elles s’observent de plus en plus en milieu urbain sous forme de surcharge pondérale  en rapport non seulement avec les excès mais aussi un déséquilibre sur le plan qualité ( consommation excessive d’aliments très sucrés, trop gras ou trop salés aux dépens des fruits et légumes). Le plus souvent, c’est la malnutrition par carence qui sévit en milieu rural.

A quel âge l’enfant est-il le plus exposé à la malnutrition ?

 

A tout âge, mais surtout les enfants de moins de 5 ans paient le plus lourd tribut. Dans cette tranche d’âge, ceux de  6 à 23 mois sont encore plus vulnérables. L’allaitement maternel exclusif bien conduit, couvre complètement les besoins du nourrisson de la naissance jusqu’à l’âge de 6 mois. Au-delà de cet âge, la diversification doit se faire avec une alimentation de complément. Ce qui n’est toujours pas le cas.  Les mauvaises pratiques d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant sont donc en partie les causes directes de la malnutrition par carence.

 

Que faire pendant cette période ?

 

Je dirai plutôt avant cette période. La bonne alimentation de l’enfant commence par celle de sa mère pendant la grossesse et se poursuit par celle de l’enfant. Les aliments constituent le 1er médicament de l’enfant.Ce qui nous renvoie au concept « des milles premiers jours »  qui sont déterminants pour la santé de l’enfant et du couple mère-enfant. C’est une « fenêtre d’opportunité » allant de la conception (début de la grossesse) à l’âge de 02 ans (pour l’enfant).Les 1000 premiers jours sont une période unique et critique pour  la mise en  place du potentiel physique,  psycho-moteur, intellectuel et cognitif de l’enfant.Les apports nutritionnels adaptés pendant cette période sont nécessaires pour la qualité de la survie à court et long terme et préviennent la survenue de certaines maladies chroniques à l’âge adulte.  La future mère doit avoir une alimentation bien équilibrée pendant la grossesse. Après la naissance de l’enfant,  l’allaitement doit être exclusif jusqu’ à l’âge de 6 mois puis la diversification commence par l’apport d’aliments de complément (bouillie de céréales, purée de légumes, fruits puis protéines animales …)  avec la  poursuite de l’allaitement jusqu’à 2 ans et plus.

 

Quel est l’état des lieux de la malnutrition chez l’enfant au Burkina ?

 

En se référant à la définition des 03 formes de malnutrition par carence et aux résultats de l’enquête nutritionnelle nationale de 2016, sur 100 enfants âgés de moins de 5 ans,  la malnutrition chronique est retrouvée chez 27,3% de cas,   la malnutrition aiguë dans  7,6 % et l’insuffisance pondérale chez  19,2 %.  Pour la malnutrition par excès, selon une enquête menée en 2013,  l’excès pondéral présentait 13,4% et l’obésité  4,5%.

 

Comment prévenir la malnutrition chez l’enfant ?

 

L’éducation nutritionnelle occupe une place primordiale. En effet, la bonne alimentation du nourrisson et du jeune enfant aura  un impact positif sur la survie de l’enfant. L’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (ANJE) est tout un programme élaboré par la  direction de la nutrition. Un certain nombre d’interventions sont préconisées. Il s’agit d’adopter de bonnes pratiques d’alimentation. Ces pratiques commencent depuis la grossesse par la promotion de la consultation prénatale et de l’accouchement assisté, celle d’une bonne nutrition chez la femme enceinte, la promotion de l’Allaitement maternel exclusif, l’introduction de l’aliment de complément après 6 mois, des conseils aux mères pour la préparation de ces menus à base de produits locaux,  des conseils également sur les mesures d’hygiène (hygiène de l’eau, des aliments, des mains, corporelle, vestimentaire et du cadre de vie) et la promotion de l’espacement des naissances pour protéger une bonne croissance et développement des enfants, etc.

 

Quelles sont les complications de la malnutrition chez l’enfant ?

 

Près de 9, 2 millions d’enfants de moins de 5 ans décèdent chaque année dans le monde et environ 53% des décès sont liés à la malnutrition aiguë sévère. Le risque de décès est de 5 à 20 fois supérieur par rapport aux enfants correctement nourris. Cela témoigne de toute la gravité de la maladie. En effet, sur un terrain de malnutrition par carence viendront se greffer des pathologies infectieuses potentiellement mortelles pour l’enfant. C’est le cas du paludisme grave, des pneumonies, des maladies diarrhéiques, de la rougeole, de l’infection à VIH dont la malnutrition sévère est un signe révélateur. Les mauvaises pratiques d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant sont en partie les causes directes de la malnutrition. Quant aux excès, ils sont pourvoyeurs de maladies métaboliques telles que l’obésité, le diabète, les dyslipidémies, etc. Les habitudes alimentaires saines équilibrées préviennent le développement de certaines  maladies chroniques à l’âge adulte.

Vous venez de prendre les rênes de la société burkinabè de pédiatrie (SOBUPED), quelles sont vos impressions ?

 

Tout d’abord, nous  rendons un  vibrant hommage aux devanciers pour le travail abattu dans le cadre des activités de la SOBUPED en tant que présidents. Je veux parler du Professeur Alphonse Sawadogo, du Pr Housseini Tall et du Pr Ludovic Kam. Aussi, tout en reformulant nos sincères remerciements à l’endroit de nos confrères et consœurs pour la confiance placée en nous, membres du nouveau bureau, nous sollicitons  l’implication de tous pour le rayonnement de la société et surtout pour  l’atteinte de résultats tangibles pour la cause des enfants et du couple mère- enfant

Pouvez-vous nous faire une présentation de la SOBUPED ?

 

La  SOBUPED est une association à  caractère scientifique et à but non lucratif créée en 1995.Elle regroupe les Médecins et Professionnels de la Santé exerçant la médecine dans le domaine de l’Enfant et de la Mère. Elle est fondée sur la spécificité de l’exercice de la médecine du nouveau-né, de l’enfant, de l’adolescent.Elle a pour buts de participer à l’élaboration des programmes, des projets nationaux et régionaux de politique sanitaire de l’Enfant et de la Mère, de remplir une fonction d’expertise pour tout ce qui concerne la médecine de l’Enfant et les questions qui s’y rapportent, de promouvoir et de participer à la formation des professionnels de la santé à la médecine de l’Enfant et l’enseignement post universitaire, d’encourager la recherche sur les thématiques de la santé de la Mère et de l’Enfant, de participer à l’organisation de congrès et de manifestations scientifiques, de participer à l’évaluation des pratiques professionnelles et de promouvoir la réflexion éthique en médecine de la Mère et de l’Enfant.

 

Combien de pédiatres la SOBUPED regroupe-t-elle et qui peut en être membre ?

 

A ce jour, 111 pédiatres sont inscrits sur la liste de la SOBUPED. Les adhésions sont individuelles. Il faut appartenir à une profession médicale  et avoir une activité en rapport avec l’Enfant et la Mère. L’admission des nouveaux membres est prononcée par le Bureau de la Société.

 

En tant que nouvelle présidente, quels sont vos grands projets pour cette société savante en pédiatrie ?

 

Un plan d’action est en cours de finalisation. Nous nous engageons à consolider les acquis par le renforcement du partenariat existant entre la SOBUPED et certaines institutions étatiques et non. Le plaidoyer sera une arme constamment utilisée auprès d’instances de décision en faveur du couple mère- enfant. Aussi la SOBUPED offrira toujours son expertise partout où le besoin se fera sentir pour  la mère et l’enfant. Enfin,  les membres et les équipes de pédiatrie œuvreront constamment  pour des soins  de qualité  aux enfants. Les nouveaux- nés paient encore de lourds tributs. Chaque pédiatre s’engagera à mettre en place une unité de néonatologie, faire la promotion de l’éducation nutritionnelle des mères, l’organisation de la prise en charge des maladies non transmissibles qui font leur apparition en milieu pédiatrique (cancers, hypertension artérielle, diabète, etc.)

Valérie TIANHOUN

 

 

 

 


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