HomeA la unePr JACQUES GUEDA OUEDRAOGO A PROPOS DU F CFA : « L’abandon du lien fixe entre le F CFA et l’Euro sera plus profitable aux pays africains »

Pr JACQUES GUEDA OUEDRAOGO A PROPOS DU F CFA : « L’abandon du lien fixe entre le F CFA et l’Euro sera plus profitable aux pays africains »


La question du maintien ou non du franc CFA divise l’opinion publique et les experts en économie. Nous avons rencontré Jacques Guéda, enseignant à l’université Ouaga2 et ancien ministre, chargé de missions auprès du Président du Faso, chargé de l’innovation et de la prospective. Il nous donne ici sa lecture sur la problématique de cette monnaie léguée par la colonisation.

 

Le Pays : Que devient Pr Jacques Guéda Ouédraogo?

 

Pr Jacques Guéda Ouédraogo : D’abord, je vous remercie pour votre invitation à cette interview que j’apprécie à sa juste valeur. Pour revenir à votre question, je pense qu’elle renvoie aux responsabilités administratives que j’ai eu à assumer dans le gouvernement du Premier ministre d’alors, M. Tertius Zongo ; ça fait déjà cinq ans ! M. Guéda est revenu à plein temps à l’Université Ouaga 2. Ce sont maintenant l’enseignement et la recherche qui m’occupent essentiellement. En dehors de l’enseignement et de la recherche, je mène la vie du citoyen ordinaire comme tout le monde.

 

Quel regard portez-vous sur la scène politique actuelle au Burkina Faso ?

 

Je vis la situation politique comme tout citoyen burkinabè. Nous avons tous vécu, en acteurs ou en témoins, ce qui s’est passé au Burkina : l’insurrection populaire, la Transition, le coup d’Etat manqué, les élections… La situation se stabilise de plus en plus. Nous sommes sur la bonne voie et la démocratie me semble irréversiblement en marche.

 

Que pensez-vous de la situation économique actuelle de notre pays ?

 

La situation économique de notre pays est celle d’un pays en voie de développement. C’est-à-dire un pays où les défis économiques sont nombreux. Il y a le défi de la production des richesses, ceux de l’emploi des jeunes, de la lutte contre la pauvreté, les problèmes environnementaux… Le  Burkina Faso a une situation économique problématique ; les attentes sont fortes.

 

Je n’ai jamais été pour le libéralisme pur et dur. En revanche, je suis pour la mise en place d’une économie  basée sur la  concurrence, une économie de marché, comme en Europe, en Amérique ou en Asie

 

Quelles sont, selon vous, les solutions ?

 

Les solutions se trouvent dans les politiques économiques et sociales à mettre en œuvre  ; parce qu’il n’y a pas de solutions à la croissance, à l’emploi des jeunes, à la lutte contre la pauvreté, en dehors des politiques économiques et sociales à imaginer et mettre en œuvre. 

 

Et-ce que vous avez quelques pistes de solutions ?

 

Il y a des pistes. Quand j’étais au gouvernement de Tertius Zongo, certains ministres me taquinaient  en m’appelant « le libéral ». Naturellement, ils se trompaient ! Je n’ai jamais été pour le libéralisme pur et dur. En revanche, je suis pour la mise en place d’une économie  basée sur la  concurrence, une économie de marché, comme en Europe, en Amérique ou en Asie; à côté de chez nous, le modèle ghanéen me séduit. Si on était dans une économie de marché, beaucoup de problèmes que nous connaissons actuellement seraient atténués. Je souhaite une économie de la concurrence à l’image de ce qui se passe dans le domaine de la presse. Car, dans le domaine de la presse, c’est la concurrence. Vous êtes bien placés pour le savoir puisque vous le vivez quotidiennement. Cette concurrence a créé beaucoup d’emplois. Je pense que si dans les autres domaines de l’économie, il y avait la concurrence, cela contribuerait  à  créer de nombreux emplois. Malheureusement, il reste des branches de l’économie burkinabè et pas des moindres,  qui fonctionnent encore sous le régime des monopoles : le segment de la distribution de l’électricité qui est du monopole de la SONABEL, celui de l’importation des hydrocarbures qui est du monopole de la SONABHY. J’ajouterais à ces deux cas, celui du secteur financier où d’importantes barrières à l’entrée ont été érigées ; tant et si bien que le crédit est inaccessible et les taux d’intérêt prohibitifs. Si on ouvrait ces branches à la concurrence, ce serait, comme dirait quelqu’un, du « tout bénèf » : moins de coupures d’électricité, disparition des files d’attente devant les boutiques de vente de gaz et les guichets de la SONABEL, allègement des corvées bois des femmes rurales, baisse de la pression sur nos formations forestières, disponibilité plus grande de l’offre de crédit, baisse des taux de l’intérêt, accès des pauvres au crédit, augmentation des recettes de l’Etat, etc. Bref ! pour me résumer, à mon avis, une grande partie des solutions à nos problèmes viendra du système économique à mettre en place et l’économie basée sur la concurrence me semble être le meilleur système.

 

Selon vous,  quelle est l’importance de la monnaie dans une économie ?

 

C’est un gros sujet de dissertation. Les économistes ont été un peu partagés jusqu’au milieu des années 50 sur l’importance de la monnaie dans une économie. On discutait de savoir si la monnaie a une importance ou non dans l’économie. Un  premier groupe soutient que la monnaie n’a pas d’importance ; elle est neutre. Entendons par là qu’elle n’impulse pas l’économie ; surtout pas les grandeurs réelles ; elle agit seulement sur les grandeurs nominales. Elle servirait  seulement à faciliter les transactions. Le second groupe disait le contraire. Pour lui, la monnaie va au-delà de la facilitation des transactions. Cette dernière position a été développée initialement par le célèbre économiste anglais, John Maynard Keynes, en 1936. Ses travaux donneront naissance à un courant de pensée connu sous l’appellation de « courant keynésien ». La discussion a continué jusqu’au milieu des années 50. Mais à partir de cette date, tout le monde a été d’accord que la monnaie ne fait pas que faciliter les échanges ; son rôle est plus large et plus fondamental. Elle impulse la production des biens et services. Donc, c’est quelque chose qui est indispensable pour les transactions et pour la création des richesses.

 

Quelle est la politique monétaire actuelle quand on sait que des Etats ont leur propre monnaie, d’autres c’est par regroupement ?

 

La politique monétaire relève, chez nous au Burkina Faso, du domaine de compétence de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). La politique monétaire consiste, grosso modo, à jouer  sur les variables monétaires pour obtenir des résultats souhaités, appelés dans le jargon des spécialistes, « objectifs finaux de la politique monétaire ». Quand je parle de variables monétaires, je pense, par exemple, au taux de l’intérêt ou encore au volume de crédit distribué. Quels pourraient être les résultats souhaités ? ll se pourrait par exemple que la Banque Centrale veuille lutter contre l’inflation, le chômage, le déficit de la balance des paiements, ou promouvoir la croissance, etc. La politique monétaire consisterait alors à manipuler les variables monétaires pour obtenir ce qui est souhaité en matière d’inflation, de croissance ou solde extérieur. Il se trouve que la perception des économistes sur le rôle de la politique monétaire, a évolué  dans le temps.  Jusqu’au milieu des années 70, on a utilisé la politique monétaire pour résoudre des problèmes conjoncturels. A partir du début des années 80, cette perception a évolué sous l’influence du modèle américain et aujourd’hui, l’unanimité est faite, tout au moins au sein des praticiens, sur le principe selon lequel la politique monétaire ne doit chercher à influencer que les variables sur lesquelles elle a une influence directe, en l’occurrence, l’inflation. Elle ne doit plus s’occuper d’autres objectifs économiques. C’est ce principe qui est la ligne directrice de notre Banque Centrale.  Mais tout le monde a vu comment la FED, la Banque Centrale américaine, a abandonné ce principe, pour prendre à bras-le-corps le problème de la récente crise financière qui a frappé l’Amérique pour faire de l’emploi, la priorité des priorités au point de faire des prêts à taux zéro ; ou comment la Banque centrale européenne a institué des taux négatifs sur les avoirs des banques dans ses livres.

 

Quelle réflexion vous inspire la dernière réunion tenue au Cameroun, entre les ministres des Finances de la zone Franc et leur homologue français ?

 

Je ne sais si cette réunion est extraordinaire parce que les ministres des Finances de la zone Franc se réunissent régulièrement. Donc, ce n’est pas quelque chose de nouveau. Peut-être que c’est l’ordre du jour qui est nouveau.

 

Justement, le ministre français des Finances a indiqué à l’issue de cette rencontre, qu’il appartenait aux pays de la zone Franc de décider du maintien ou non de cette monnaie. Pensez-vous que la France puisse accepter aussi facilement l’abandon du F CFA ?

 

Je pense que le système qui a été mis en place devait profiter à toutes les parties concernées, donc à la France. Sinon, il ne l’aurait pas été. Par conséquent, à moins que les données aient changé, on peut se dire que la France ne verrait pas tout de suite d’un bon œil l’abandon du F CFA. Je m’explique. Il apparaît clairement que le système a été conçu de manière à donner, dans les pays de la zone Franc, une longueur d’avance à la France par rapport à ses concurrents.  Parce que grâce à la fixité du taux de change, on supprime le risque de change dans les transactions entre la France et les pays concernés. Lorsque, dans vos activités, vous êtes engagés dans des transactions internationales, vous courez des risques liés à la variation des taux de change. Si la monnaie s’apprécie ou se déprécie, vous le ressentez immédiatement. Il peut arriver que cette variation vous soit profitable ou qu’elle vous soit coûteuse. Par conséquent, toute chose égale par ailleurs, celui qui a peur du risque aura tendance à s’orienter là où le  risque est absent. 

En outre, j’ai entendu des hommes politiques français souhaiter le maintien de cette monnaie et même son renforcement. J’ai entendu un ministre français souhaiter que la Guinée et le Ghana intègrent l’UEMOA. Donc, si leur position est celle de la France, et comme ce sont des hommes politiques, il n’y pas de raison qu’il n’en soit pas ainsi. J’en déduis que la France ne verrait pas d’un bon œil la disparition de la zone Franc. Beaucoup d’intellectuels africains se plaignent de cette relation. Ne soyons pas naïfs. Chacun se bat pour trouver des solutions à ses problèmes en actionnant sur les leviers à sa disposition ou en mettant en place des mécanismes susceptibles de l’y aider.

 

Si la fixité du taux de change entre le F CFA et l’Euro est abandonnée, il y aura nécessairement une inflation à cause de la dépréciation du F CFA qui s’en suivra

 

Quels sont les avantages du franc CFA et quels en sont les inconvénients ?

 

L’absence d’incertitude sur les transactions lorsqu’elles sont libellées en Euros est un avantage. Si vous signez aujourd’hui, par exemple, un contrat en Dollars, vous ne pouvez pas être sûr du montant en F CFA que vous allez débourser ou recevoir demain, encore moins dans un mois.. Si aujourd’hui, le Dollar est à 600 F CFA, demain il peut monter à 605 F CFA ou descendre à 595. Si c’est en Euros, vous connaissez dès aujourd’hui le montant exact à débourser ou à recevoir.

 

Un autre avantage important à signaler est le fait que la France permet aux pays de la zone Franc de s’endetter pour faire face à leurs besoins en devises. C’est dire que si le Burkina Faso rencontre des difficultés à faire face à ses engagements extérieurs parce que ses avoirs extérieurs ne sont pas suffisants, la France lui permet de s’endetter auprès d’elle pour honorer ses engagements vis-à-vis de l’étranger. Donc, la France peut donner des ballons d’oxygène à nos pays. Quand on connaît la faiblesse de nos économies, on perçoit l’importance de cette disposition. Bien sûr, il y a le revers de la médaille. L’inconvénient le plus important est que notre économie est orientée vers la France. Ce n’est pas un avantage pour nous car peut-être ailleurs, il y a des choses meilleures et moins chères. Pour moi, c’est l’inconvénient le plus important. Les autres inconvénients ne me semblent pas fondés. La France ne se procure pas de devises à très peu de frais comme le laissent penser certains commentateurs.

 

Pensez-vous comme certains, que le F CFA est une perpétuation du pacte colonial ?

 

C’est une question politique. Il est évident que c’est une monnaie dont les origines remontent à la colonisation, mais considérer cela comme un pacte colonial serait trop exagérer. Un pacte sous-entend une entente, même implicite, sur un projet commun. Je pense que la colonisation s’est imposée à l’Afrique. Et puis, au moment où se signait cet accord, l’Afrique n’était pas suffisamment outillée pour comprendre les tenants et les aboutissants des dispositions qu’il contenait et éviter les pièges.  

 

Pensez-vous que ce pacte sera rompu un jour ?

 

Ça va arriver un jour, nécessairement. Peut-être que ça viendra même de la France. Car, au cas où la France resterait peu compétitive par rapport à ses concurrents européens et que les pays africains utilisaient les possibilités de découvert que leur offre l’accord, la France se retrouverait à créer des débouchés pour ses concurrents. Je ne sais pas si elle l’acceptera longtemps ! Déjà l’absence de risque de change profite désormais à tous les pays de la Zone Euro et non plus à la seule France, alors que l’obligation de financement incombe seulement à la France.

 

Dans quel délai selon vous ?

 

Je ne saurais vous le dire mais ça va arriver.

 

Certains brandissent l’épouvantail du chaos avec des spirales inflationnistes si jamais le F CFA est abandonné. Qu’en dites-vous ?

 

C’est une question importante. Si la fixité du taux de change entre le F CFA et l’Euro est abandonnée, il y aura nécessairement une inflation à cause de la dépréciation du F CFA qui s’en suivra. 

 

Est-ce à dire une dévaluation ?

 

Comme ce ne sera pas une décision administrative, on ne parlera pas de dévaluation. Ce sera une très forte dépréciation. Selon le rapport 2013 de la Commission bancaire de l’UMOA, la balance des paiements de l’UMOA a été déficitaire en 2012 et en 2013. Ce déficit s’est même aggravé. Un déficit de la balance des paiements signifie une diminution des avoirs extérieurs du pays considéré exactement du même montant. Si, en abandonnant le lien fixe entre le FCFA et l’Euro, nous options pour un régime de change flexible, ce qui me paraît le meilleur choix, un déficit de la balance des paiements se traduirait par une dépréciation de la monnaie nationale. Si en revanche, nous adoptions l’option d’arrimer notre nouvelle monnaie à une autre devise ou à un panier de devises, de toute évidence, nos réserves de devises, qui étaient d’environ 10 000 milliards de F CFA en 2013, seraient insuffisantes pour contrer cette dépréciation. Et quand nous aurions épuisé nos devises, la dépréciation surviendrait. Comme nous importons beaucoup, cela engendrera mécaniquement de l’inflation (l’inflation importée). Les gens parlent de « spirales inflationnistes » parce qu’ils estiment que nous ne pourrons pas nous imposer la discipline qu’on a actuellement. Pour beaucoup, c’est la présence de la France qui impose la discipline au sein de la zone Franc. Effectivement, c’est un risque. Mais des pays voisins comme le Ghana  et le Nigeria, bien qu’ayant connu des situations d’inflation sans pareille, ont su se gérer par la suite. Nous pourrions, nous aussi, petit à petit, tirer leçon de nos échecs et nous auto-discipliner. Autrement dit, je ne peux pas parier qu’on ne va pas se permettre la planche à billets de façon incontrôlée, mais je suis sûr que ce sera des erreurs de jeunesse qui seront vite surmontées.

Mon sentiment est que l’abandon du lien fixe entre le F CFA et l’Euro sera plus profitable aux pays africains que la situation actuelle. Je prévois un accroissement significatif de la production agricole, qu’elle soit vivrière ou de rente, et le développement du tissu industriel, avec, en conséquence, l’augmentation du revenu des populations et des recettes budgétaires. Même la France pourrait plus en bénéficier que dans la situation actuelle : l’augmentation du revenu des populations créera plus de débouchés aux produits français à cause de la langue française qui est notre langue et de nos goûts qui sont aussi fortement français.

 

Les risques que vous évoquez sont-ils liés à une non compétitivité de nos économies ?

 

Non, ces risques ne sont pas nécessairement liés à une absence de compétitivité. Ils sont  plutôt liés à l’incapacité de l’Autorité monétaire à s’auto-discipliner. Si l’Etat n’a pas suffisamment d’argent pour couvrir ses dépenses, il peut se mettre à créer et émettre de la monnaie pour y faire face. Comme la création et l’émission monétaires est sans lien avec l’accroissement des richesses, la survenue de l’inflation est inévitable.

 

Selon vous, la parité fixe du  F CFA avec l’Euro est-elle un argument déterminant pour le maintien de cette monnaie ? N’est-ce pas une manière pour la France de nous obliger à faire notre marché chez elle ?

 

Comme je viens de le dire, le mécanisme qui a été mis en place visait à créer des débouchés pour les entreprises françaises et à supprimer l’incertitude liée à la variation du taux de change. On ne peut cependant pas parler d’obligation que nous ferait la France d’acheter chez elle ; non, la France ne nous contraint pas à faire notre marché chez elle. Il serait plus juste  de dire que les effets attendus du mécanisme mis en place sont de faire de l’espace zone Franc un espace où les produits français seront compétitifs. On voit d’ailleurs que tout ne marche pas à la perfection puisque la France y a perdu des parts de marché malgré cette fixité du taux de change.

 

L’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est censée se doter d’une monnaie unique d’ici 2020. Ce délai est-il tenable ?

 

Ce délai n’est pas tenable. Déjà nous sommes en 2016 et il ne reste que 4 ans pour atteindre 2020. L’Afrique de l’Ouest est vaste, avec des expériences dans la gestion de la monnaie assez diverses. Il nous faut nécessairement un temps de préparation qui ira au-delà des 4 ans.

  

Quelles sont les conditions pour aboutir à une monnaie unique ?

 

Les conditions ? Surtout l’intégration économique : la définition de critères de convergence clairs et acceptés par tous, la mise en place d’une Autorité supranationale capable de les faire respecter. Si cela est réuni, il faut que la Banque Centrale à créer ait l’indépendance nécessaire pour gérer la monnaie commune.

 

Quels liens  y a-t-il entre monnaie et souveraineté ?

 

Je comprends la souveraineté comme le fait, pour un pays, de pouvoir décider selon ses intérêts, sans de trop grandes interférences extérieures. La possession d’une monnaie nationale propre, je veux dire en dehors du type de relation que nous avons avec la France, ne garantit pas en soi une souveraineté à un pays donné. C’est la force de l’économie du pays qui peut lui conférer cette souveraineté. Cela étant, si, du fait des accords qu’un pays a passés avec un autre, il ne dispose plus d’instrument de politique économique, il perd une partie de sa souveraineté. Et en effet, dans le cas qui nous intéresse, nous ne sommes pas tout à fait autonomes dans la conduite de notre politique monétaire.

 

Est-ce que l’autonomie de la Banque centrale est possible en Afrique ?

 

C’est possible si on met en place tous les garde-fous pour qu’il en soit ainsi. Par exemple, aux Etats-Unis, le président de la FED est nommé pour une période  et ne peut être révoqué par l’autorité politique avant cette date. En plus, il ne peut pas prétendre à quelque fonction que ce soit après son mandat. Du même coup, il ne peut pas être influencé par qui que ce soit. Si on y ajoute le fait que la FED ne finance pas le Trésor américain, l’indépendance de la Banque Centrale est assurée. Mais attention, sur les grands enjeux de l’économie américaine, les divergences entre le Président de la FED  et l’Autorité politique sont très peu probables !  Voilà le mécanisme mis en place aux USA, que l’Europe a copié. Chez nous, en Afrique, on a fait les choses à moitié. On décide que la Banque Centrale ne financera plus les Trésors nationaux mais, dans le même temps, on ne sait pas si les mandats des gouverneurs, renouvelables sans limite, ne sont pas révocables avant leur terme. L’histoire récente d’un pays de l’Afrique de l’Ouest, semble indiquer que les mandats des gouverneurs sont révocables avant leur terme. Ce qui fait des gouverneurs des obligés de l’Autorité politique et aliène l’indépendance de la Banque Centrale.

Maintenant, est-ce que l’indépendance de la Banque Centrale s’impose d’elle-même ? Je pense que non. Aux Etats-Unis, l’indépendance de la Banque Centrale s’impose d’elle-même  parce que le marché financier est très développé.  Les ménages et les entreprises sont très portés vers les marchés financiers. Ils prêtent beaucoup aux agents à besoin de financement dont l’Etat. Et comme les emprunts du Trésor américain sont très peu risqués, l’Etat américain n’a pas de difficulté à emprunter auprès du public et peut se passer de la Banque Centrale. Ici, rares sont ceux qui connaissent le bon du Trésor, qui s’y intéressent quotidiennement. Et même s’ils le connaissent, les gens n’ont pas suffisamment de ressources pour entrer dans le marché financier. Au Burkina Faso, ce sont les assurances, les banques et peut-être les grandes entreprises du secteur réel qui interviennent sur le marché des bons du Trésor. Donc, notre marché n’est pas assez développé pour soutenir le principe de la banque centrale indépendante. Il faut d’abord travailler à développer le marché financier.

 

Le taux d’intérêt sur les marchés européen, américain ou asiatique est de l’ordre de 4% TTC tandis qu’au Burkina Faso, il peut atteindre 13% en hors taxes

 

Faut-il s’attendre à ce qu’un processus d’instauration de monnaie unique en Afrique de l’Ouest, suive le même schéma que l’Euro en Europe ?

 

Nous avons été, par la force des choses, en avance par rapport à l’Europe. Nous avons déjà une monnaie unique pour 8 pays. Je pense que la CEDEAO pourrait s’inspirer de l’UEMOA. Mais il y a certainement de bonnes pratiques à prendre du côté de la Zone Euro, ne serait-ce qu’au niveau de la désignation du premier responsable.

 

D’aucuns estiment que le financement de l’économie du Burkina Faso est problématique. Quel est votre commentaire ?

 

Le problème de financement est réel. C’est une des principales contraintes de notre économie. Le crédit d’abord est très cher. Le taux d’intérêt varie entre 9 et 13%. C’est vrai que certaines banques prétendent offrir le crédit à 6% mais il y a les paroles et il y a la réalité. Cela joue sur la rentabilité de nos projets et influence la compétitivité de nos entreprises. Par exemple, une entreprise burkinabè qui emprunte sur le marché burkinabè et qui entre en concurrence avec une autre qui emprunte sur d’autres marchés où les taux sont bas, notamment les marchés européens, est d’office perdante, parce que le taux d’intérêt sur les marchés européen, américain ou asiatique est de l’ordre de 4% TTC tandis qu’au Burkina Faso, il peut atteindre 13% en hors taxes. L’entreprise étrangère est donc plus compétitive du fait du différentiel de taux d’intérêt. Donc, ce qui se passe sur le marché financier influence le marché réel en notre défaveur. Consultez le Journal des Marchés Publics et vous vous rendrez compte !

Il faut donc faire face au problème de l’insuffisance de l’offre de crédit. C’est une bonne chose de créer une banque mais est-ce suffisant ? Je pense qu’il faut plutôt faciliter et encourager le développement du secteur bancaire, en levant les barrières à l’entrée qui ont été érigées dans le secteur financier, jusqu’à ce que les taux d’intérêt moyens soient proches de ceux des pays concurrents. Cette solution me paraît plus efficace et plus efficiente.

 

Faut-il permettre à n’importe qui de créer une banque ?

 

Justement, une banque est une entreprise comme une autre. La différence vient du fait que sa « matière première » est l’argent. Mais il est faux de laisser croire que c’est elle seule qui travaille avec l’argent des autres. Il y a des entreprises du secteur réel qui travaillent avec plus de fonds d’autres agents économiques que certaines banques. Vous savez que les entreprises s’accordent  des délais de paiements qu’on appelle les « crédits inter-entreprises ». Les crédits qu’accordent les entreprises les unes aux autres par ce canal, peuvent atteindre des montants qui sont des multiples des avoirs dans les comptes d’épargne. Les banquiers masquent délibérément cette réalité pour continuer à garder les privilèges exorbitants : faire accepter qu’une banque ne doit pas tomber en faillite à cause du « risque systémique », amener nos Etats à devenir leurs assureurs à leur place et fermer en conséquence l’entrée du secteur financier à d’autres opérateurs ; ce qui leur permet de réaliser des résultats surréalistes. C’est sous nos tropiques que des institutions financières réalisent des résultats supérieurs à leur capital social pendant que les pauvres, exclus du système, se replient sur la microfinance pour supporter des taux d’intérêt pouvant atteindre et dépasser 20%. Je signale que pour créer une banque en Belgique, on demande un capital minimum de 3 millions d’euros, soit moins de 2 milliards de F CFA ; en France, on en demande 5, soit environ 3,2 milliards de F CFA. Au Burkina Faso, on demande 10 milliards de F CFA. Qu’on nous explique !

 

Le mot de la fin ? 

 

Je remercie encore une fois de plus le journal “Le Pays” pour cette invitation et je salue surtout l’idée de susciter le débat sur les sujets d’actualité. Je pense que les journaux sont une chance pour le développement de notre pays. Vivement une page “Economie” dans votre journal pour que « mille idées rivalisent ».

 

Propos recueillis par Michel NANA

 

 

 


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