HomeA la unePROCES DE GBAGBO A LA HAYE : Pédagogie et crédibilité comme enjeux majeurs  

PROCES DE GBAGBO A LA HAYE : Pédagogie et crédibilité comme enjeux majeurs  


 

Comme prévu, le procès de l’ex-chef d’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo et de son fidèle lieutenant, Charles Blé Goudé, s’est ouvert hier, 28 janvier 2016, à la Haye. En rappel, ces deux anciens dirigeants ivoiriens sont poursuivis pour leur responsabilité présumée dans les violences qui ont endeuillé le pays pendant la crise postélectorale de 2010. Face à leurs juges, ils plaident « non coupables ». L’accusation, de son côté, estime pouvoir prouver leur culpabilité. Ce sont donc des joutes oratoires en perspective. Mais, il faudra s’armer de patience pour connaître le sort qui sera réservé tant aux arguments de l’accusation conduite par la Procureure Fatou Bensouda, qu’à ceux de la défense de l’ex-président ivoirien et du leader des Jeunes patriotes. En effet, c’est un long procès qui s’est ouvert. En principe, le verdict ne sera pas connu avant des années, quatre environ. Chaque partie devra avoir le temps nécessaire pour présenter et faire valoir ses arguments et réfuter probablement ceux de la partie adverse.

Les dirigeants africains achèvent de se convaincre que leurs actes peuvent les rattraper

C’est de bonne guerre, dira-t-on. Certes, bien des gens dans le camp Gbagbo comme du côté des victimes et de leurs ayants droit, auraient aimé avoir un verdict au plus vite. On peut comprendre les appréhensions, l’angoisse de l’attente qui tenaillent les uns et les autres. Mais, la quête de la vérité est un long chemin. L’essentiel est qu’au bout du procès et quel que soit le verdict, le sentiment le plus répandu soit celui d’une justice rendue en bonne et due forme. Ce procès n’est pas une partie de plaisir tant les attentes sont nombreuses et le Woody de Mama cristallise les passions. En effet, ses contempteurs entendent le voir confondre par l’accusation, répondre de ses « méfaits » tandis que ses sympathisants croient dur comme fer qu’il est « innocent » et sera par conséquent libéré. Sans qu’il soit besoin d’entrer dans ce débat, l’honneur de trancher revenant aux juges de la Cour pénale internationale, on peut imaginer que ce procès permettra de lever un coin de voile sur bien des choses. En tout cas, ce sera l’occasion, pour les accusés, de livrer leur part de vérité et pour l’accusation d’apporter les preuves de leur éventuelle culpabilité. De ce procès, on peut retenir deux enjeux majeurs. Le premier est relatif à sa valeur pédagogique et le second tient au fait qu’il met à l’épreuve la crédibilité même de la Cour pénale internationale (CPI). Le procès Gbagbo donne à réfléchir aux Africains dans leur ensemble. D’abord, les dirigeants africains achèvent ainsi de se convaincre que leurs actes peuvent les rattraper. Le simple fait de devoir rendre compte, a l’avantage d’avoir pour effet de dissuader les dirigeants qui seront tentés de commettre des exactions sur leur peuple. Ce procès est une occasion de sensibiliser les dirigeants des pays africains où la mauvaise gouvernance est prégnante, sur la nécessité d’une gouvernance vertueuse. Chaque chef d’Etat devra, à l’occasion, comprendre notamment que son statut ne lui donne pas droit de vie ou de mort sur ses compatriotes, y compris ceux qui lui sont opposés. Ceux qui n’ont jamais voulu que ce procès, comme bien d’autres, se tienne, doivent comprendre, enfin, qu’ils sont du mauvais côté de l’histoire. C’est le cas de bien des présidents des pays de l’Union africaine (UA) qui ne font pas mystère de leur hostilité vis-à-vis de la CPI. On en veut pour preuve la décision de l’UA de ne pas coopérer relativement au mandat d’arrêt lancé par la Cour contre le président soudanais, Omar el Béchir. Au-delà de son verdict, ce procès, par sa simple tenue, vient donc comme pour rappeler aux dirigeants, surtout ceux des républiques bananières, que tout dirigeant peut un jour ou l’autre être amené à répondre de sa gouvernance.

Ce procès est un véritable test pour la CPI

Quant aux peuples africains, ce procès les encourage à préserver le droit le plus élémentaire des uns et des autres, le droit à la vie. Il leur rappelle que les désaccords politiques ne doivent en aucun cas servir de prétexte à une violation des droits des adversaires comme c’est très souvent le cas en Afrique. Les conflits doivent toujours être réglés selon les règles de droit en la matière, dans le respect de la vie et de la dignité humaine. Ce procès devra conforter les victimes sur l’existence d’une justice crédible à l’échelle mondiale. C’est dire aussi combien la CPI joue sa crédibilité dans ce procès. Car il est notoire que ce procès sera examiné sous toutes ses coutures, pesé et soupesé. Les moindres faits et gestes seront épiés par de nombreux acteurs en quête d’arguments supplémentaires pour conforter leur opinion vis-à-vis de la CPI. La Cour pénale internationale, c’est connu, est décriée par bien des observateurs. Fatou Bensouda est accusée de lancer les poursuites de façon sélective, discriminatoire. Son prédécesseur, Luis Moreno Ocampo, était jugé partisan, voire raciste dans le choix des individus contre lesquels il ouvrait des enquêtes et demandait des mandats d’arrêt. La Cour est ainsi accusée à tort ou à raison, de faire de l’acharnement concernant les Africains, pendant qu’elle regarde d’un œil distrait d’autres dirigeants du monde ôter des vies humaines. Il est vrai que la CPI a souvent apporté, elle-même, de l’eau au moulin de ses adversaires. Dans une crise comme celle qui a secoué la Côte d’Ivoire, on ne peut s’empêcher de penser qu’il est étrange d’avoir estimé que c’est un seul camp qui est jusque-là inquiété, aucun acte notable n’ayant été posé dans le sens de demander des comptes à des éléments de l’autre camp, soupçonnés d’atrocités également. Il revient par conséquent à l’institution de Fatou Bensouda, de dissiper elle-même les doutes plus ou moins légitimes sur sa neutralité. Ce procès est un véritable test pour elle. De sa qualité dépendra la crédibilité et l’image de cette juridiction répressive, censée incarner un rempart solide pour les plus faibles de ce monde. A la CPI donc d’y œuvrer et tout le mal qu’on lui souhaite, c’est de réussir un procès équitable, juste, et le plus objectif possible. Ce, au grand bonheur des victimes, de la Côte d’Ivoire, voire de l’humanité tout entière.

« Le Pays »


No Comments

Leave A Comment