HomeA la unePROCES DU PUTSCH MANQUE « 86% des messages extraits des téléphones expertisés, étaient supprimés », selon l’expert Younoussa Sanfo

PROCES DU PUTSCH MANQUE « 86% des messages extraits des téléphones expertisés, étaient supprimés », selon l’expert Younoussa Sanfo


 

Les auditions des témoins dans le procès du putsch manqué de septembre 2015 et jours suivants se sont poursuivies le 18 mars 2019 au Tribunal militaire de Ouagadougou avec le passage à la barre de l’expert Younoussa Sanfo, celui-là même qui a expertisé les téléphones portables, ordinateurs et autres objets informatiques de certains accusés. Younoussa Sanfo est ingénieur en informatique, expert en cyber sécurité et en investigations numériques. Il dit avoir travaillé sur 72 téléphones portables et ordinateurs. C’est d’ailleurs à partir de son travail que le lieutenant Jacques K. Limon a été inculpé.

L’expert en cyber sécurité et en investigations numériques était à la barre dans le cadre du procès du putsch manqué de septembre 2015 hier 18 mars 2019. Saisi le 22 décembre 2015 par le juge, il dit avoir travaillé sur 72 téléphones portables et ordinateurs. Sa mission a consisté à recevoir des téléphones portables, des ordinateurs, des clés USB et plusieurs autres objets informatiques afin d’extraire toute information en lien avec le putsch manqué de septembre 2015, qu’elle soit supprimée ou écrasée, afin de les retranscrire pour les mettre à la disposition des parties au procès. Ce travail n’a pas été sans difficultés puisque la plupart des messages avaient été supprimés ou écrasés par les utilisateurs des appareils saisis. «86% des messages extraits des téléphones expertisés, étaient supprimés ou écrasés », a déploré l’expert Younoussa Sanfo. Après avoir expliqué brièvement en quoi à consister son expertise et sa mission, la parole a été donnée au parquet pour ses observations et interrogations.
« Aviez-vous des problèmes avec l’ensemble des personnes dont les téléphones ont été expertisés? », interroge le parquet. «A ma connaissance, aucun problème particulier. Je connais certains, mais pas tout le monde »,  a répondu l’expert Sanfo.
« Au cours de votre travail, avez-vous créé des messages pour incriminer X ou Y ? », a repris le parquet. « Non. Je n’ai pas à le faire. Lorsque nous recevons un appareil, nous l’éteignons, même s’il est allumé. Ensuite on procède à la copie conforme. D’ailleurs, il est impossible de tripoter les messages et avoir des données vérifiables », a-t-il fait remarqué.
« Que veut dire numéro IMEI d’un téléphone ? », relance le parquet.
« C’est l’identifiant unique de chaque téléphone. Il permet d’avoir les informations telles que le pays de fabrication, la marque, la série d’un téléphone », relevé l’expert.
« Avez-vous eu recours à d’autres compétences pour faire le travail ? », demande le président.
« Lorsque le juge a demandé le travail, j’ai fait deux vérifications. J’ai cherché à savoir si celui qui m’a demandé le travail était habilité à le faire. La 2e information était de savoir si j’ai du matériel pour le faire. Dans le cas d’espèce, je n’avais pas tout le matériel nécessaire. J’ai donc fait appel à un laboratoire pour m’assister. Ce laboratoire a dépêché un expert pour faire le travail à Ouagadougou », a confié Younoussa Sanfo. Le travail de ce dernier, a-t-il indiqué, a consisté à faire les copies légales des informations contenues dans les périphéries bit à bit qui lui ont été remises.
A la question de savoir si son travail était fiable, l’expert répond : « Tout ce que j’ai fait est vérifiable auprès des opérateurs des téléphonies mobiles ».
« Avez-vous demandé des outils au tribunal pour faire le travail d’expertises, interroge le parquet.
« Non, je n’ai pas demandé des outils au tribunal. J’ai fait appel à un laboratoire. J’ai fait appel à un laboratoire qui a dépêché un expert. Cet expert est reconnu auprès des tribunaux », répond le témoin.
Le lieutenant Jacques Limon dit qu’il y a des irrégularités dans le contrat qui a permis de vous attribuer le marché. Qu’en pensez-vous ? « Ce sont des déclarations d’un accusé à la barre. Le tribunal appréciera », a fait observer l’expert.
Avez-vous participé à l’authentification des écoutes sonores ?
Non.
Après les interrogations et observations du parquet, ce fut le tour des avocats de la partie civile de prendre la parole. Et Me Hervé Kam de chercher à savoir si l’expert Sanfo connaissait le lieutenant Jacques Limon au moment où il exécutait la mission.
Non, répond l’expert.
« Au cours de l’exécution de votre mission, avez-vous eu des contacts avec le lieutenant Jacques Limon », relance l’auxiliaire de justice.
Un jour, se souvient l’expert, j’étais à la maison lorsqu’on m’a dit que quelqu’un voulait me voir. Lorsque le lieutenant Jacques Limon est rentré, il a fait savoir que la Justice militaire et la hiérarchie militaire étaient favorables à un non-lieu en sa faveur, mais l’expert constituait un blocage. « Je lui ai répondu que je ne pouvais rien faire parce que le travail avait déjà été remis. C’était d’ailleurs la première et la dernière fois que nous nous sommes rencontrés », a affirmé l’expert. Répondant à une question de Me Kam, il a expliqué que le travail qu’il a effectué est comme une fouille archéologique. « Il fallait faire ressortir tous les messages en lien avec le coup d’Etat du 15 septembre 2015, y compris ceux qui ont été supprimés ou écrasés, puisque les acteurs ont consciemment supprimé ou écrasé certains messages. Ce ne sont pas des novices. Ce sont des initiés », a-t-il fait remarquer. Tout comme son confrère de la partie civile, Me Awa Savadogo a félicité l’expert pour la qualité de son travail. Mais qu’à cela ne tienne, elle a invité l’expert à dire en quoi son travail est fiable.
« C’est le fait qu’il n’y a pas eu de contre-expertise. Toutes les informations extraites des téléphones sont vérifiables auprès des compagnies des opérateurs de téléphonies mobiles », a-t-il dit, avant de préciser que le travail d’un expert est encadré par la loi, d’une part, et, d’autres part, par les règles déontologiques. Si le parquet et les avocats de la partie civile ont positivement apprécié le travail de l’expert, ceux de la défense l’ont qualifié de « mauvais travail », pour reprendre les termes de l’avocat de Jacques Limon, celui-là même qui a été inculpé à partir de l’expertise du téléphone d’un accusé, en l’occurrence le capitaine Zoumbri.
« Avez-vous expertisé le téléphone de mon client ?», interroge Me Mamadou Sombié.
Non, a répondu l’expert.
« Avez-vous touché ou ouvert le téléphone de mon client ? », a repris l’avocat.
Non, répond M. Sanfo.  « Un travail d’expertise est un travail pointu. Alors que là, l’expert n’a fait qu’allumer, éteindre, faire venir un laboratoire occidental. Ce travail n’a pas eu lieu sur le téléphone de mon client. Ce qui a donc été retrouvé sur le téléphone du capitaine Zoumbri n’engage que le capitaine Zoumbri », a laissé entendre Me Sombié.  Appelé à la barre, le lieutenant Jacques K. Limon a indiqué que le rapport d’expertise de Sanfo est un complot. A l’entendre, son malheur a commencé le jour où il a refusé de s’impliquer dans le processus d’obtention de certains documents administratifs entre l’expert et le ministère de la Défense et des anciens combattants. « Le parquet et la partie civile ont dit tout le bien de ce qu’ils pensent du travail de l’expert. Si nous avions à faire la même chose, nous dirions que c’est un mauvais travail », lance Me Sombié.
L’audition de l’expert Younoussa Sanfo se poursuit ce mardi à 19 mars à partir de 9h.

Issa SIGUIRE


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