HomeA la unePROCES DU PUTSCH MANQUE « Ce putsch est l’un des plus étranges… où des officiers rendent des honneurs aux putschistes » selon Me Prosper Farama

PROCES DU PUTSCH MANQUE « Ce putsch est l’un des plus étranges… où des officiers rendent des honneurs aux putschistes » selon Me Prosper Farama


C’est le colonel-major Boureima Kiéré qui était à la barre, hier 14 novembre 2018, devant le tribunal militaire, au troisième jour de son audition. Une journée au cours de laquelle les avocats de la partie civile sont revenus sur des questions auxquelles l’accusé a dû répondre.

Lorsque le colonel-major fait comprendre qu’il a intervenu auprès du Général Diendéré pour la libération des autorités de la Transition, un des avocats de la partie civile fait comprendre que c’est parce que le Docteur Yonaba avait indiqué que la vie du président serait en danger s’il restait en détention encore 24 heures. Lorsque l’avocat veut comprendre pourquoi le colonel major a accepté de recevoir le 26 septembre 2015 160 000 000 de F CFA de la part de Diendéré pour encourager la troupe, il dit n’avoir pas de réponse à donner. Avez-vous le sentiment d’avoir failli, après l’enlèvement des autorités ? A cette question de Me Séraphin Somé, le colonel major répond par l’affirmative, indiquant qu’il était habitué aux crises au sein du RSP, mais ne s’attendait pas à ce que les militaires aillent jusqu’à ce point. Lorsque vous signez l’acte de naissance du CND portant le Général Diendéré à la tête de l’Etat, pensez-vous avoir fait preuve de loyauté ?, lui demande-t-il. « J’ai signé le communiqué dans un contexte particulier que j’ai expliqué à la barre les jours précédents », rappelle-t-il, précisant qu’il a accompagné le général pour une sortie de crise. Pour l’avocat, le seul fait d’avoir signé le communiqué du CND suffit pour que le colonel major soit poursuivi pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat. Lorsqu’il prend la parole, Me Farama indique à l’endroit de l’accusé un manque de fermeté dans sa déposition à la barre par rapport à certains de ses actes. Si, comme le soutient le colonel major, le Chef d’Etat-major général de l’Armée (CEMGA), le général Pengrenoma Zagré, a marqué son accord pour assurer le maintien de l’ordre à la demande du général Diendéré suite au putsch, c’est gravissime. L’avocat fait observer que bien des militaires n’ont pas la même vision du rôle de l’Armée vis-à-vis du peuple, des institutions. Il partage et admire ce qu’il considère comme un postulat posé par le colonel major : « Dans un coup d’Etat, soit on est d’accord, soit on n’est pas d’accord. Il n’y a pas de double jeu ». Pour l’avocat, ce coup d’Etat est l’un des plus étranges où les auteurs du coup font de la médiation, où des officiers rendent des honneurs aux putschistes. A ses yeux, le maintien de l’ordre n’est pas différent du coup d’Etat. Il convient avec le colonel major que le fait que l’armée de l’air mette l’hélicoptère à disposition au moment des faits pour aller chercher du matériel de maintien de l’ordre à la frontière ivoirienne, ne répond à aucune logique. Le colonel major, pour se résumer, laisse comprendre que l’Armée a accompagné le putsch, le Général, et au-delà de cela, lui, il a posé un certain nombre d’actes dans un contexte sécuritaire particulier. Sur la question des 160 millions de francs CFA reçus par le colonel major, Me Farama lui fait savoir que le Général Diendéré l’a considéré comme trésorier, sinon, il ne lui aurait pas confié l’argent. Sur les sms reçus du général ivoirien Diomandé, l’avocat fait observer que cela devrait faire l’objet de mise en garde de la part du colonel major si tant est qu’il était opposé au putsch.

« Lorsqu’un fait est supposé, le parquet fait tout pour que ça soit avéré »

Sur la mission des éléments au domicile de Salifou Diallo, ordonnée par le colonel major, Me Ouédraogo indique que celui-ci fait exécuter des ordres par les éléments sans passer par le chef de corps. L’accusé indique avoir informé le chef de corps après coup et a agi dans l’urgence, pour assistance de personne en détresse, ce qui arrive souvent. Me Latif Dabo, avocat de la défense, relève (après quelques questions posées à l’accusé) que si l’Armée n’avait pas marqué son accord d’assurer le maintien de l’ordre à la réunion de la CRAD, le 16 septembre 2015, par la voix du CEMGA, le chef d’Etat-major général de la Gendarmerie n’aurait pas exprimé le besoin en matériel de maintien de l’ordre. Il relève, à la lecture de certains procès-verbaux d’audition, que des policiers ont été aperçus au carrefour de la Télévision BF1, contrairement à la déposition de Lazare Tarpaga, DG de la Police. Interrogation de l’avocat : Pourquoi les autres ne sont-ils pas poursuivis comme le colonel-major Kiéré et les autres accusés ? Me Yelkouni Olivier, lui aussi de la Défense, veut s’assurer qu’un rapport a été produit à l’intention de la hiérarchie militaire lorsqu’au moment des faits, des éléments du RSP ont tiré sur le colonel major et d’autres officiers, au carré d’armes. Un rapport a été produit et transmis à la hiérarchie militaire, mais est resté sans suite, confie l’accusé qui pense que le général Zagré et le lieutenant-colonel Zida, Premier ministre en son temps, ont peut-être protégé les « auteurs des tirs ». Ce qui est frustrant pour lui. Pour Me Bonkoungou Dieudonné, conseil de l’accusé, « nous sommes loin de nous faire une idée de la réalité, beaucoup d’investigations restent à faire ». « Il y a beaucoup de témoins de circonstance qui, par le fait des arrangements, sont devenus des témoins à charge de nos clients », soutient-il, avant d’ajouter ceci : « Je suis entre révolte et déception. Lorsqu’un fait est supposé, on (le parquet) fait tout pour que ça soit avéré, pour mettre tout dans un carcan ». Pour cela, il demande au tribunal, au moment de la délibération, de n’avoir aucun égard pour le primitif, puisque c’est une pièce qui ne peut pas tenir lieu de preuve, à son avis. Il demande au tribunal de « faire en sorte que jaillisse de ce procès un minimum de faits constants, pour que le jugement, à défaut d’être divin, soit une œuvre humaine proche de la perfection ». L’audition du colonel major Kiéré se poursuit ce vendredi 16 novembre à partir de 9h au tribunal militaire.

Lonsani SANOGO


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