HomeA la unePROCES DU PUTSCH MANQUE : Le sergent-chef Ali Sanou ne reconnaît pas les faits

PROCES DU PUTSCH MANQUE : Le sergent-chef Ali Sanou ne reconnaît pas les faits


 

 

Les auditions, dans le cadre du procès du putsch, se sont poursuivies le 17 juillet 2018 avec la comparution du sergent-chef Ali Sanou, ex-militaire membre de l’ex-RSP. Il est poursuivi pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires, dégradation volontaire aggravée de biens, incitation à commettre des actes contraires à la discipline et au règlement. Des chefs d’accusation que l’accusé ne reconnaît pas.

 

Le sergent-chef Ali Sanou, né le 18 juillet 1976, 20 ans de service dans l’armée, était à la barre hier, de 9h à 13h, pour répondre des chefs d’accusation pour lesquels il est poursuivi.   A la question de savoir si l’accusé reconnaît les faits, il  répond par la négative.  Il dit avoir adhéré militairement au putsch. Il ajoute avoir exécuté des ordres militaires et ne savait pas qu’un jour on lui dirait qu’un ordre est illégal. Lorsque le parquet lui  rappelle sa déposition  dans le procès-verbal de confrontation où il a soutenu que le sergent-chef Roger Koussoubé  l’a appelé pour lui dire qu’on a mis fin à la Transition, Ali Sanou nie cela à la barre. Le parquet, de ce fait, demande à savoir quand est-ce que le sergent-chef a su que les autorités de la Transition étaient mises aux arrêts ? « C’est quand j’étais devant le président sénégalais, Macky  Sall », confie-t-il  en réponse. Précisant que, pour lui, il était question de mise en place d’un comité  pour résoudre les problèmes de l’ex-RSP et sortir un consensus autour des problèmes du pays. A partir du 16 septembre 2015, le sergent-chef était chef d’équipe.  Pourquoi constituer des équipes ? A cette question du parquet, il laisse entendre en réponse que c’était parce que des OSC étaient contre le RSP et il fallait empêcher ces OSC de se mobiliser contre le comité qui devait discuter avec le RSP autour de ses problèmes. Lorsque le parquet lui signifie qu’il a participé au désarmement des éléments commis à la sécurité des ministres sur instruction du major Badiel, le sergent-chef dit avoir plutôt désarmé, sans arme, des éléments de sécurité qui étaient au parking de la présidence. Et d’indiquer que dans le périmètre de sécurité, ce n’est pas tous les éléments extérieurs qui entrent avec leurs armes.

« Avec qui êtes-vous allés désarmer les éléments de sécurité des ministres », poursuit le parquet ? « Avec Mohamed Rassigri et deux autres soldats », dit-il.

« Dans quelle unité étiez-vous  ? » « Le Groupement d’unité spéciale », a répondu le sergent-chef au parquet.

« Quelle était votre tâche ? » « Je participais à la sécurité du président du Faso », a-t-il confié.

« Qui de vous et de Mohamed Laoko Zerbo est le supérieur de l’autre », a demandé Me Guy Hervé Kam, avocat de la partie civile ?

« Au moment des évènements, dit Ali Sanou, c’est comme si Mohamed Zerbo était plus ancien que moi, mais c’est après que j’ai su qu’il a porté son grade en avril 2014 et moi en octobre 2013 ».

En écoutant les déclarations du sergent-chef Sanou à la barre où il a rejeté les faits qui lui sont reprochés, Me Kam dit en observations que Ali Sanou ne veut pas dénoncer ses subordonnés ; il assume et ne veut pas charger ses supérieurs.

A l’entame de la déposition du sergent-chef, Me Prosper Farama a estimé que c’était l’une des dépositions les plus fluides et les plus cohérentes. Très rapidement, l’avocat déchante et confie que  tout ce que le sergent-chef Sanou dit est incohérent et il fait croire que dans un milieu militaire, mêmes les incohérents notoires sont admis. Pour l’avocat, la logique de remords du sergent-chef ne tient pas, étant donné qu’après les évènements du putsch, il est venu « neutraliser » la poudrière de Yimdi.

« Il n’est pas aisé de concevoir un mensonge cohérent »

 

Le parquet militaire a aussi  estimé au début que les dépositions du sergent-chef vont dans le sens de ce qu’il a dit à l’instruction et s’inscrivent dans une défense de rupture, indiquant que l’accusé ne s’éloigne pas des faits. Mais au fur et à mesure que l’audition continue, l’accusé nie les faits, contredit les propos tenus devant le juge d’instruction et précise ne pas se reconnaître dans bien des dépositions faites lors de l’instruction. Ce qui fera dire au parquet (à l’endroit du sergent-chef) qu’il n’est pas aisé de concevoir un mensonge cohérent. Pour le parquet, le sergent-chef Ali Sanou occulte la vérité sur des faits importants qu’il avait dits lors de son interrogatoire de première comparution et de l’interrogatoire au fond. En réaction à ces observations du parquet, l’accusé  confie au président du tribunal qu’il est là pour dire la vérité. Pour le conseil de l’accusé, Me Regis Bonkoungou, son client est resté cohérent et s’est appliqué à préciser des opinions. Son interrogatoire à l’instruction, a eu lieu dans un contexte psychologiquement difficile, à son avis. « Combien de temps avez-vous eu pour lire et signer la déposition à l’instruction », lui demande son avocat ? « Le premier jour, c’est après l’interrogatoire que j’ai signé le P.V ». Il indique qu’il ne savait pas qu’il avait le droit de disposer de quelques jours pour lire le PV avant de le signer et que le juge d’instruction ne lui a pas non plus parlé de ce droit. Il a indiqué avoir subi assez d’humiliations avec les gendarmes. Même pour me soulager, c’est un gendarme qui faisait sortir son sexe, raconte-t-il. Raison pour laquelle il a dit qu’il voulait qu’on le tue pour que ça finisse.L’avocat ne partage donc pas les sentiments de la partie civile. Ce qui est important, a-t-il confié au président du tribunal, ce sont les preuves versées au dossier. Il dit constater, avec grand désarroi, que la partie civile fait de la défiance à l’autorité du président du tribunal quand celle-ci ne retire pas ses mots à la demande de celui-ci. Une observation que le président a trouvée pertinente, avant d’inviter toutes les parties à se plier à l’autorité qui assure la police des débats. Me Séraphin Somé de la partie civile a indiqué que là où Ali Sanou et sa bande passent, c’est des dégâts.Le sergent-chef reconnaît avoir été à Laïco Hôtel pour assurer l’ordre, parce que des manifestants tentaient de perturber la rencontre qui s’y tenait avec la délégation de la CEDEAO, en l’occurrence les présidents Macky Sall, Yayi Boni et Faure Gnassingbé. Il reconnaît avoir fait une mission d’escorte  à Zorgho, sur instruction de l’adjudant-chef Moussa Nébié, mais ne le savait pas à l’avance. Il explique qu’il était en Côte d’Ivoire quand les auditions ont commencé et les gens ont tout mis sur lui et ses camarades, ce qui n’est pas possible, à son avis. L’audience a été suspendue quelques minutes après 13h, pour reprendre à 14h 30mn.

Quid de la destruction du studio Abazon ?

 

14h 30mn, reprise du procès avec le sergent-chef Ali Sanou, à la barre. Celui-ci, après avoir rejeté les faits qui lui sont reprochés dans la matinée, répondait aux questions d’éclaircissement des différentes parties. A un moment donné, le parquet militaire demande à l’inculpé : « à un moment donné vous disiez ne pas bien vous sentir. N’est-ce pas à force de tirer en l’air ? », « Non. Je me suis blessé en voulant percer le trou d’un jean que je venais d’acheter », répond le sergent-chef Ali. Le parquet poursuit son interrogatoire : « Est-il possible que des tirs en l’air puissent blesser ou tuer quelqu’un ? » Avec un peu d’hésitation, le sergent-chef répond par l’affirmative. Et le procureur de chercher à savoir s’il est vrai que « sur leur passage pour aller au studio Abazon, d’honnêtes citoyens apeurés pleuraient », « Oui », répond l’inculpé. « Donc vous voyez à quel point vous avez terrorisé les gens », conclu le procureur. C’est aux environs de 15h que le président du Tribunal, Seidou Ouédraogo, met fin à l’interrogatoire du sergent-chef Ali Sanou. Mais avant d’aller rejoindre sa place dans le box des accusés, le Sergent-chef Ali Sanou  demande au Président du tribunal de l’aider à entrer en possession de son passeport burkinabè resté là où il a été auditionné. Il dit avoir obtenu un passeport ivoirien dans le cadre du travail, parce qu’il devait accompagner l’ex-président, Blaise Compaoré au Maroc. C’est dans ce cadre que les autorités ivoiriennes lui ont donné un passeport ivoirien. Il explique ce cri du cœur par le fait que le ministre en charge des affaires étrangères, au cours de l’une de ses sorties télévisuelles, l’a incriminé à cause du passeport ivoirien. Ultime message du sergent-chef Ali Sanou : « je m’incline en la mémoire des morts et je souhaite un prompt rétablissement aux blessés ». Après ce mea-culpa, le président du tribunal appelle à la barre Seydou Soulama, soldat de deuxième classe, âgé de 26 ans. Le soldat de deuxième classe purge déjà une peine de 10 ans écopée lors du procès de la poudrière de Yimdi. Pour le procès du putsch manqué, il est accusé d’« attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires, dégradation et destruction volontaires de biens ». Le soldat de deuxième classe a rejeté en bloc, tous les faits qui lui sont reprochés. Et il donne sa version des faits : « Le 16 septembre, je prenais du thé devant ma porte avec des amis, quand j’ai reçu un appel d’un numéro masqué. Celui qui se trouvait au bout du fil, le sergent-chef Koussoubé, m’a dit de rejoindre le camp Naaba-Koom II, précisément mon unité. Arrivé au camp, j’y ai trouvé mes promotionnaires sur place, la classe 2012. Et on nous a dit de rester à la disposition des chefs militaires. Nous avons donc passé la nuit au camp. Et le lendemain, le chef Mohamed Zerbo est venu nous appeler, moi et deux autres soldats. Il nous a dit que c’est une corvée et de confier nos armes avant de le suivre. C’est ainsi qu’on est allé à Zorgho et moi, ma mission, c’était de descendre et dégager la voie quand il y avait des barricades. Je ne savais pas que l’on partait à Zorgho. C’est à travers les panneaux que j’ai su qu’on partait à Zorgho. Après on est parti au studio Abazon de Smockey. Je ne savais pas que c’était chez lui, c’est à Abidjan que j’ai su que c’était chez Smockey ». Après la relation des faits, le président du tribunal demande à l’accusé : « qui a tiré la roquette sur le studio  » ? A la barre, le soldat de deuxième classe dit ne pas savoir qui l’a fait. Et le juge de faire remarquer qu’il ressort que « c’est vous qui avez tiré la roquette ». Comme embarrassé, Seydou Soulama affirme : « c’est leur parole contre la mienne. Il n’y a jamais eu de confrontation entre nous ».

 

« Ma jeunesse semble être foutue »

 

Et le procureur d’insister : « en enquête préliminaire, vous avez dit avoir tiré la roquette ». Excédé, le soldat de deuxième classe lance : « non, je n’ai pas tiré. Le juge d’instruction est un commandant. Il a écrit et m’a ordonné de signer et j’ai signé ». Auparavant, l’inculpé a fait noter que quand il a été arrêté sur le pont Nazinon et conduit à la gendarmerie, on lui a fait montrer des photos de lui qu’il a reconnues. « Savez-vous comment on a eu ces photos ? » L’inculpé a fait comprendre que ces photos proviennent de son propre portable qu’on lui a pris. Mais le procureur démontre que ce n’est pas le cas. En effet, il explique que les photos leur ont été livrées par Jean René Firmin Nacoulma qu’on a « frappé et à qui on a ravi sa tablette. Il avait un compte gmail et quand le soldat Seydou Soulama fait des photos avec la tablette, elles venaient directement dans la boîte gmail de Nacoulma ». Mais l’inculpé persiste et signe : « c’est faux.  J’ai une arme et des munitions et je n’ai pas peur. Si je voulais des appareils, je pouvais me rendre dans une boutique, la braquer et prendre des appareils. Mais je ne suis pas ce genre de militaire. J’ai réintégrer ma kalachnikov avec les 120 munitions et les deux chargeurs en l’état ». Et l’inculpé de poursuivre sur un ton plaintif : « Dans tous les dossiers du RSP, j’ai été toujours jugé en fonction des propos des autres. Je veux qu’on me juge en fonction de ce que je dis à la barre ». A la barre, le soldat de deuxième classe démontre que le soldat de deuxième classe n’a pas d’ordre à donner. Il ne fait qu’exécuter. Toute chose qui semble le révolter, à en juger par les propos qu’il tient à la barre : « C’est parce que je suis dans l’armée. Sinon, si j’étais élève, je ne vois pas comment le chef Koussoubé va me dire de faire une corvée et je vais l’exécuter. C’est qu’on va se chasser ». Mais la partie des propos de l’inculpé qui a ému plus d’un dans la salle, c’est quand il a abordé sa situation personnelle face à ces condamnations tous azimuts : « Il n’y a pas quelqu’un qui a mal plus que moi. C’est parce que ça n’allait pas en famille que j’ai cherché du boulot. Ma jeunesse semble être foutue.  Je me suis sacrifié pour l’armée ; tout en sachant que le RSP est un corps rebelle, on m’y a affecté. J’ai été engagé en juin et radié le 5 octobre. Je n’ai même pas fait une année de service dans l’armée. Je n’ai jamais tiré sur qui que ce soit. Ma souffrance est intérieure, elle ne se voit pas sur ma face ». C’est après ces propos  émouvants que le président du Tribunal, Seidou Ouédraogo, a suspendu l’audience du jour. Rendez-vous aujourd’hui pour la suite de l’interrogatoire.

Françoise DEMBELE et Lonsani SANOGO

 

 

 


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