HomeA la unePROCES DU PUTSCH MANQUE Les sergents Jean-Martial Ouédraogo et Sénimi Médard Boué plaident non coupables

PROCES DU PUTSCH MANQUE Les sergents Jean-Martial Ouédraogo et Sénimi Médard Boué plaident non coupables


Au procès du putsch manqué délocalisé dans la salle des banquets de Ouaga 2 000, les interrogatoires des accusés se suivent et se ressemblent. Tous ceux qui sont passés à la barre du Tribunal militaire disent ne pas reconnaître les faits qui leurs sont reprochés. Et le ballet des accusés à la barre, qui a été suspendu le 20 août dernier à cause de la fête de la Tabaski, a repris le 22 août 2018. Les sergents Jean-Martial Ouédraogo et Sénimi Médard Boué, accusés de « complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtres sur 13 personnes et coups et blessures », se sont tour à tour, expliqués. La constance est que les deux sergents ne reconnaissent pas les faits à eux reprochés.

 

L’audience de la journée du 22 août débute par le sergent Jean-Martial Ouédraogo. Le Commando parachutiste, pilote de moto et adjoint au chef cellule vivres, répond des faits de « complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtres sur 13 personnes et coups et blessures volontaires sur 42 autres ». A La fin de la lecture des faits qui lui sont reprochés, l’accusé lance ceci : « je ne reconnais pas les faits ».  Et il s’explique : « Le 15 septembre 2015, l’adjudant Yaro m’a instruit d’aller récupérer des fonds chez le trésorier au camp Naba Koom II. Je suis allé retirer les fonds que je suis venu remettre à l’adjudant. Puis, je suis allé dans mon bureau pour me reposer. C’est alors que le sergent Bako m’a dit qu’un civil l’a appelé pour dire qu’il y a un coup d’Etat. Pour moi, c’étaient des rumeurs puisque je venais de quitter le camp et il n’y avait rien là-bas. J’ai décidé d’aller à la recherche de la vraie information. C’était aux environs de 17h. J’ai enfourché ma moto, destination le camp Naba Koom II où j’avais mon pied-à-terre. J’ai assisté au rassemblement où on nous a dit de rester calmes. Je suis pilote-moto.  Dans la soirée du 16 septembre, il y a eu une articulation et j’ai été désigné par Kini pour renforcer le poste de garde au niveau du ministère de la Défense. Je faisais la ronde et je rendais compte. Le 17 septembre, j’ai reçu instruction du lieutenant Gorgho de me rendre à la place de la Nation pour me renseigner si c’était effectivement des soldats du RSP qui y étaient. J’y suis allé à moto, avec le caporal Seydou Lankoandé. Arrivé sur les lieux, j’ai garé ma moto sous un caïlcédrat et j’observais. Nous y avons fait une trentaine de minutes, puis nous sommes repartis après avoir été rappelés par le lieutenant Gorgho. Le 18, il m’a dit de réintégrer la moto et d’aller remettre la clé au secrétariat. Je me suis exécuté et je ne suis ressorti du camp que le 27 septembre 2015 ». A la fin du récit, le parquet militaire cherche à savoir ce que le sergent Jean- Martial Ouédraogo a vu à la place de la Nation. « J’ai vu que c’était nos éléments, des jeunes qui étaient à la place de la Nation », précise-t-il. Et le parquet de poursuivre en faisant observer que c’est effectivement  le 17 septembre que des éléments du RSP ont été envoyés à la place de la Nation pour le maintien de l’ordre. Puis, il se retourne vers celui qui est aussi membre du Groupement d’achat militaire (GAM) pour savoir s’il est logique qu’on envoie des soldats pour éviter tout regroupement à la place de la Nation et que quelques heures après, on l’envoie pour les identifier. A cette préoccupation, le parquet militaire ne reçoit pas de réponse satisfaisante. Tout de même, il poursuit en affirmant que la présence du sergent Jean-Martial Ouédraogo à la place de la Nation était à d’autres fins, puisqu’en interrogatoire de première comparution, le sergent a dit ceci : « Le lieutenant Gorgho m’a envoyé dans le but de le renseigner sur la situation qui prévalait en ce lieu ». « Non », proteste le sergent. Vous devez retenir qu’il m’a envoyé pour voir si ce sont nos éléments qui étaient sur place. Et le parquet militaire de rétorquer en faisant comprendre qu’en réalité, la mission du sergent Jean- Martial Ouédraogo, pilote de moto, était d’ouvrir la voie aux éléments du RSP qui étaient dans les véhicules. Mais l’accusé réfute cette affirmation en déclarant : « peut-être, à ce niveau, il y a eu une incompréhension entre le juge d’instruction et moi, sinon, je n’ai jamais dit que j’ai ouvert la voie. Le juge n’a pas compris ».

« Les armes que vous teniez, ce n’étaient pas pour chasser les oiseaux mais pour tirer (…) »

Le parquet : « Qu’est-ce que le juge n’a pas compris ? ». Le juge d’instruction n’a pas compris que je suis parti seul avec le caporal Lankoandé et que ce n’était pas une mission officielle pour ouvrir la voie. Mais le parquet revient à la charge en faisant noter que dans le Procès-verbal, le sergent Jean-Martial Ouédraogo a mentionné : « J’ai ouvert la voie à une patrouille qui a quitté Naba Koom pour la place de la Nation ». Mais l’accusé affirme n’avoir jamais dit cela. Du reste, il va déclarer n’avoir pas eu connaissance de patrouilles en ville. Une réponse qui ne refroidit pas les ardeurs du ministère public qui accule l’accusé : « Pour le renseignement, aviez-vous besoin de prendre des armes et porter des tenues ?».  A cette question, le soldat ne répond pas de façon satisfaisante. Toute chose qui  conduit le parquet à conclure que « les armes que vous teniez, ce n’étaient pas pour chasser les oiseaux mais pour tirer quand ça allait chauffer ». Il poursuit en déclarant que le sergent ne faisait aucune mission classique, étant donné qu’il n’était pas de la compagnie d’appui. Mais le sous-officier fait comprendre que même étant de la compagnie des services et étant administratif, « ils sont souvent sollicités pour les escortes des éléments jusqu’à destination parce qu’avant tout, il est un soldat ». Malgré cet argumentaire, le parquet militaire affirme que « le sergent Jean-Martial Ouédraogo a soutenu le coup d’Etat et qu’il est responsable des conséquences qui en ont découlé ». Le parquet militaire a promis revenir là-dessus avec forts détails pendant les réquisitions. Sur la même lancée, Me Séraphin Somé, avocat des parties civiles, se résume en interrogations : « Que doit-on penser d’un accusé qui a renforcé des postes de garde ? Que doit-on penser d’un accusé, adjoint au chef de cellule vivres, qui se retrouve à la place de la Nation pour recueillir des renseignements ? ». Et il finit par dire que « pour nous, ce sont des actes de complicité et l’accusé est de mauvaise foi quand il affirme que c’est le 17 septembre qu’il a su qu’il y a couvre-feu ». Une argumentation qui n’était pas du goût de l’avocat de l’accusé, Me Lassané Daboné. En effet, celui-ci estime que « nous sommes en matière pénale et nous ne devons pas nous accommoder de déductions et d’inductions ». Pour ce faire, il a demandé à Me Séraphin Somé d’apporter les preuves de ses allégations qui, d’ailleurs, sont péremptoires. Qu’à cela ne tienne, Me Lassané Daboné trouve que la conduite de son client n’est pas constitutive d’un attentat à la sûreté de l’Etat en ce sens qu’à part le rassemblement, il n’a pas participé à une réunion. Donc, on ne saurait l’impliquer dans un complot, ni le rendre responsable d’un attentat. « Est-ce le fait d’être du RSP qui lui a valu cette poursuite ? », se demande Me Daboné. Toujours est-il que le conseil du sergent Jean- Martial Ouédraogo fait remarquer que le contrôleur général de Police, Lazare Tarpaga, qui a eu à composer des mots de passe, qui a été entendu comme témoin, devrait aussi répondre de certains faits. Mais il finit par se raviser en déclarant : « il est vrai que c’est l’opportunité des poursuites mais cette opportunité ne devrait pas être arbitraire ». Avant d’aller rejoindre sa place, l’accusé s’est excusé pour les écarts de propos. Il a demandé pardon au peuple burkinabè, s’est incliné à la mémoire des disparus et a souhaité prompt rétablissement aux blessés. Dans la matinée du 22 août 2018, le sergent Sénimi Médard Boué s’est s’expliqué à la barre. Il est poursuivi pour « complicité d’attentat, meurtres sur 13 personnes et coups et blessures volontaires ». Après la notification des charges à l’accusé, le président du tribunal, Seidou Ouédraogo, a suspendu l’audience pour la pause-déjeuner. Le sergent-chef Sénimi Médard Boué était à la barre dans l’après-midi du 22 août 2018.  Il est accusé de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat et de   coups et blessures. Il nie les faits et plaide non coupable.  En effet, le 15 septembre 2015, l’ex-soldat du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) était de garde. Le   16 septembre 2015, il n’était pas au camp pour cause de maladie. Vers 16h, sa femme l’appelle pour lui demander s’il avait la situation du palais présidentiel. Elle l’informe par la même occasion que les autorités de la Transition avaient été enlevées   mais l’invite à   ne pas se mêler de cette affaire.  Quelques instant plus tard, le major Eloi Badiel l’appelle au téléphone pour savoir où il se trouvait. « A la maison », avait répondu le sergent-chef, sans pour autant chercher à aller au camp. Le 17 septembre 2015, il se rend au camp et l’ordre lui est donné d’aller se mettre en tenue correcte. Avant de quitter celui qui l’avait invité à aller se mettre en tenue correcte, un autre lui dit d’aller garder les quatre prisonniers. « Quels prisonniers ? » avait-il demandé. Le président de la Transition, Michel Kafando, le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida et les deux autres ministres », avait répondu son interlocuteur. A cet ordre, le sergent-chef opposera un refus en arguant qu’il avait été le chauffeur de Michel Kafando.   Apres cet incident, il est rentré à  la maison à  midi, pour manger.  A son retour dans l’après-midi, il apprendra par la suite qu’il a été désigné avec quatre autres soldats pour assurer la sécurité du président Macky Sall à l’hôtel Libya. Une tâche qu’il a exécutée jusqu’au 20 septembre 2015. Là-bas, il  a pu observer du 10e étage, des soldats de l’ex-RSP porter des coups  aux acteurs de la société civile. « Ce jour-là, j’ai vu Safiatou Lopez pleurer parce que sa maison avait été brûlée », a relaté Sénimi Médard Boué. Après la mission de sécurisation, il a voulu se rendre au Conseil de l’entente pour remettre le matériel mais comme le couvre-feu était en vigueur, il a préféré attendre le lendemain. Le 21 septembre, après avoir remis le matériel, il s’est rendu au domicile de son beau-père où sa famille avait trouvé refuge depuis la crise.  c’est de là qu’il a  reçu  un appel téléphonique du  Major Badiel pour lui dire de rejoindre le camp dans les 5 minutes qui suivent. C’est ainsi que sa femme s’est interposée pour lui dire de ne pas bouger. Une position soutenue par le père de cette dernière qui n’est personne d’autre que son beau-père. « Si je n’ai pas soutenu ce coup depuis le début, ce n’est pas maintenant que je vais le faire.  Laissez-moi aller.  Je saurai comment m’y prendre », avait-il soutenu avant de prendre la route pour le camp.  Une fois au camp Naaba Kom II, il a vu des hommes en train de monter des armes sur des véhicules. Renseignement pris, il apprendra que les soldats des autres garnisons étaient autour de Ouagadougou et qu’ils s’apprêtaient à attaquer le camp Naaba Kom II. Il reçoit un autre appel de    sa femme qui le met en contact avec son chef de service à elle.  Ce dernier lui a dit de ne pas se mêler de cette affaire parce que le Chef d’Etat-major général des armées (CEMGA) avait rendu public un communiqué dans lequel il invitait tous les militaires du RSP à déposer les armes avant de transmettre textuellement ce message du CEMGA.    Ayant été convaincu par ce message, il tentera en vain de convaincre ses jeunes frère d’armes qui étaient avec lui, à quitter ensemble le camp.  Mais qu’à cela ne tienne, le sergent doit partir.  Au même moment, une rumeur faisant étant d’une liste de putschistes tombés, serait affichée quelque part dans le camp. C’est ainsi que plusieurs soldats sont allés voir la liste. Et c’est ce moment d’inattention qu’il mettra à profit pour se retrouver à la villa Kadhafi pour se débarrasser de sa tenue militaire avant d’aller au camp  Guillaume Ouédraogo, le 22 septembre 2015 aux environs de 13h.

Françoise DEMBELE et Issa SIGUIRE

 

 

 


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