HomeA la unePROCES DU PUTSCH MANQUE : Les victimes parlent

PROCES DU PUTSCH MANQUE : Les victimes parlent


Le procès du putsch manqué entame un autre virage. Celui du passage des victimes à la barre pour expliquer dans quelles circonstances elles ont été blessées ou ont perdu un proche. Le 9 avril 2019, le président du tribunal a écouté plus d’une vingtaine de personnes qui racontent leur rencontre avec « des éléments cagoulés de l’ex- Régiment de sécurité présidentielle » lors des évènements du 16 septembre et jours suivants.

A la barre, des voix de parents de personnes tuées, étouffées par des sanglots. Dans l’auditoire, c’est la consternation. Tandis que certains sont choqués, d’autres sont au bord des larmes. De longs soupirs qui en disent long sur les émotions. Pour tout dire, l’atmosphère au Tribunal militaire délocalisé de Ouagadougou, le 9 avril, est un mélange d’émotions. Pourquoi ? Tout simplement parce que les victimes qui se sont constituées partie civile parlent. Abdou Ata, la première victime à être entendue est un « blessé par balle ». Il raconte : « C’était le vendredi 18 septembre 2015. Je me suis rendu à mon service ». Son récit montre qu’arrivé, il s’est assis sous l’auvent et quelques instants après il s’est vu projeté hors de la terrasse. Il a perdu connaissance. En réalité, il venait de recevoir une balle. Lazare Kaboré, chauffeur, dit aussi avoir reçu une balle dans la cuisse pendant qu’il était en circulation. Si lui, il a eu la chance de s’en sortir, il confie qu’il a vu un individu tomber en pleine circulation et mourir parce qu’il avait reçu une balle. Dans quelles circonstances ? Ils racontent : « J’étais en train d’aller donner des documents à mon patron, quand au niveau du feu du CENASA, ils ont ouvert le feu sur moi et d’autres usagers de la route ». Le même jour, Lazare Kaboré a vu son engin incendié au niveau de la gare Staff de Larlé par les éléments qui ont tiré sur lui. Patrice Sanogo, lui aussi, s’est vu tirer dessus par un élément du RSP avec un pistolet automatique. Il fait comprendre que c’est vers le rond-point des Nations unies, alors qu’il essayait d’échapper à un groupe d’éléments du RSP, le 17 septembre, il s’est retrouvé nez à nez avec ces derniers. Et l’un d’eux l’a tenu en joue. Et quand il a déclenché son arme, un autre, dans le même véhicule, a balayé le tir et la balle s’est logée dans son bras gauche. Ce geste a fait dire à Patrice que « tous les éléments du RSP n’étaient pas animés d’une intention de tuer ». Hamadé Zonou, lui il boîte actuellement parce que depuis qu’il a reçu deux balles au niveau du pied, il a eu « le nerf sciatique sectionné et le fémur cassé ». Il dit que le 17 septembre 2015 il est sorti manifester pour la libération des autorités de la Transition, suite aux appels lancés par le président du CNT et les OSC. Mais entre le jardin du 8-Mars et le palais du Mogho Naaba, des militaires cagoulés leur ont tiré dessus à bout portant. Me Prosper Farama, avocat des victimes, veut savoir si les militaires avaient une raison de tirer sur eux : « Lapidiez-vous les militaires ? ». Hamadé Zonou répond par la négative. « Non, on chantait l’hymne national. Ce n’était pas des tirs de sommation », précise-t-il. C’est aussi entre le palais du Mogho Naaba et la mosquée du Mogho Naaba que Abdoul Kader Nikiéma, 25 ans, a failli perdre la vie. « Le 17 septembre vers 9h, je suis allé livrer des articles qu’on devait expédier. Au retour, au niveau du palais du Mogho Naaba, j’ai reçu une balle au niveau du coup, par derrière, et qui est ressortie par devant. J’ai perdu connaissance et je me suis réveillé vers 21h ». Il signale qu’après, il a fait trois mois dans le coma. Effectivement, le parquet confirme qu’au moment du visionnage des vidéos, il a été vu gisant dans son sang tandis que les autres tout autour de lui chantaient l’hymne national. « Pour moi, il était mort mais c’est après que l’on m’a dit qu’il a survécu et qu’il était dans la salle au moment du visionnage de la vidéo où on le voit, précise le parquet. Me Farama signale que ce jour, « il a passé un sale moment et était dans un état second ».

« Les éléments du RSP ont tiré sur lui pensant que c’était un élément du Balai citoyen »

Des blessés, il y en a eu, des morts aussi. Etienne Kologo a perdu son neveu vers l’ENAREF. « C’était le vendredi 18 aux environs de 14h-16h. Nous avons reçu un coup de fil nous informant que Apollinaire, fils unique de son père, a trouvé la mort vers l’ENAREF ». Après explications, il ressort que «  sur les voies, il y avait des barricades. Donc, il se déplaçait sur le bas-côté de la route quand il a vu venir deux véhicules V8 de couleur noire. Apollinaire a ouvert les barricades pour que les véhicules V8 puissent passer. Quand ils sont passés ils ont ouvert le feu sur lui. Il a reçu quatre balles ». Le parquet : « Votre neveu a payé le prix de sa gentillesse ? », « C’est cela », répond l’oncle du défunt qui ajoute qu’« après le décès de son fils unique, le papa de Apollinaire ne s’est plus retrouvé et il est décédé plus d’un mois après ». Le parquet demande de décrire les vêtements que le neveu portait ce jour. Etienne Kologo répond qu’il portait « un tee-shirt noir et un jean ». Le parquet saisit la balle au bond en affirmant que comme il avait porté un tee-shirt noir, « les éléments du RSP ont tiré sur lui pensant que c’était un élément du Balai citoyen ». Et cela est ressorti dans le récit de plusieurs victimes qui disent avoir été battues ou agressées parce qu’elles portaient des tee-shirts de couleur noire. Tout compte fait, Etienne Kologo a un ultime message à l’endroit du tribunal : « Cela fait 13 mois que le procès, se tient. Nous avons entendu toute sorte de parole durant ce procès mais le mensonge a beau courir la vérité le rattrapera en une journée, grâce à vous tous ».

Françoise DEMBELE

 

Propos de parents de victimes

* Boukaré Yanogo a vu son frère Salfo perdre la vie dans ses bras

Il raconte que la scène s’est passée au niveau de l’Ecole nationale des douanes. Le petit frère Salfo était assis devant son garage quand lui il est passé pour aller en ville. Le petit frère lui a même dit de ne pas y aller parce que c’est dangereux. Il n’est pas allé loin qu’un jeune est venu rejoindre à moto tout tremblant pour l’informer que son petit frère a été touché par balle. Il s’est précipité sur les lieux où il a vu son petit frère à terre. A la barre, Boukaré Yanogo n’a pas pu aller au bout de son récit parce qu’il a littéralement fondu en larmes. Mais nous avons retenu que sur les lieux, c’est dans ses bras que son petit frère Salfo a perdu la vie.

* Jean Sedogo, catéchiste âgé d’une soixantaine d’années : « Mon fils unique est resté dedans »

 Richard Sedogo est sorti le 17 septembre 2015 pour protester contre l’arrestation des autorités de la Transition. Comme il ne revenait pas à la maison, nous avons mené des recherches. Ce n’est que quelques jours plus tard que j’ai découvert son corps à la morgue de Yalgado.

* Soumaïla Ouédraogo : « La femme de mon petit frère rend l’âme et laisse un enfant de 4 mois »

Le 17 septembre, mon petit-frère m’a appelé pour m’informer que sa femme a reçu une balle au niveau de son sein gauche. Elle était assise devant la porte avec son enfant; elle-même n’a pas su comment ça s’est passé. Mais elle sait qu’elle a été projetée à terre. La balle est venue se loger au niveau de son bas-ventre. Les médecins ont pu extraire la balle mais la femme a rendu l’âme le 20 septembre laissant un enfant de 4 mois.

* Balibié Patrice Bazié : « on a perdu notre petit-frère »

Le 17 septembre, j’ai reçu un appel m’annonçant la mort du petit-frère. Il était à Gounghin devant une cour voisine quand il a reçu une balle dans le dos et en est décédé sur place.

* Siaka Diallo : « Mon oncle a perdu la vie devant le lycée Zinda »

Le 17 septembre j’ai été alerté par un coup de téléphone m’informant que mon oncle, Nouhoun Barry, a perdu la vie devant le lycée Zinda Kaboré. Je me suis rendu sur les lieux et j’ai trouvé son corps sans vie gisant dans le sang. On m’a fait comprendre qu’il a pris une balle d’un binôme à moto. Pendant que j’étais au chevet de mon oncle attendant les formalités d’usage pour pouvoir enlever le corps, j’ai vu des éléments de l’ex-RSP passer à plusieurs reprises à moto et en véhicule.

* Karim Ouédraogo : « J’ai perdu mon petit-fils »

C’est aux environs de 15h, le vendredi 18 septembre que mon fils m’a appelé pour m’informer que mon petit-fils n’est pas rentré depuis qu’il est sorti le matin. Nous avons commencé les recherches et c’est à la morgue que nous l’avons retrouvé le samedi. Nous avons reçu des informations qu’il est décédé suite à une balle qu’il a reçue.

Rassemblés par FD


No Comments

Leave A Comment