HomeLignes de mirePROJET DE REVISION CONSTITUTIONNELLE AU BURKINA :Le clair-obscur de la diplomatie française

PROJET DE REVISION CONSTITUTIONNELLE AU BURKINA :Le clair-obscur de la diplomatie française


Les Burkinabè attendaient avec beaucoup d’impatience et d’intérêt, que l’ambassadeur de France au Burkina, à l’occasion du 14-Juillet, fît connaître de manière univoque la position de son pays face aux velléités de tripatouillage de Constitutions en Afrique en général et au projet de révision de la Constitution burkinabè en particulier, défendu par le camp présidentiel et qui, déjà, a installé dangereusement le pays dans une situation manichéenne. La diplomatie américaine, on le sait, est claire sur la question. C’est un niet absolu qu’elle oppose aux tripatouilleurs de Constitutions. Pour relayer cette position américaine, l’on s’en souvient, l’ambassadeur des Etats-Unis n’avait pas eu besoin de porter des gants pour assener ses vérités aux Burkinabè. Certains l’avaient applaudi, d’autres étaient remontés contre ce qu’ils avaient qualifié d’ingérence flagrante et discourtoise de l’oncle Sam dans les affaires intérieures du pays. Que l’on soit pour ou contre, la sortie de l’ambassadeur américain a eu le mérite d’être claire.

 

Bien malin qui pourra dire la position de la France

 

Malheureusement, l’on ne peut pas en dire autant de la sortie de l’ambassadeur français sur le projet de révision de la Constitution du pays des « hommes intègres », à l’occasion du 14 juillet. En effet, le diplomate français, Gilles Thibault, a abordé dans son discours, la situation sociopolitique du Burkina. Mais bien malin qui pourra dire qu’il a laissé transparaître clairement, dans ses propos, la position de la France face à l’intention du président Blaise Compaoré de modifier la Constitution pour s’accorder un mandat supplémentaire. Les Burkinabè étaient en droit d’attendre de « leurs amis » les Français, à la suite des Américains, une réponse tranchée sur cette question. Hélas, peut-on s’exclamer ! Ils ont été simplement abreuvés de phrases que chaque acteur politique pourra décrypter en fonction de la chapelle à laquelle il appartient. Il serait intéressant de revenir sur ces phrases. Relativement à la situation nationale, l’ambassadeur a partagé avec ses convives la phrase suivante : « Je laisse le soin aux Burkinabè d’en décider ». Le pouvoir et les adeptes du référendum peuvent bondir sur cette phrase pour soutenir l’argumentaire qui suit : même la France partage notre souci de soumettre la question de la modification de la Constitution à l’arbitrage du peuple souverain. C’est ce que nous voulons faire par la voie référendaire. L’opposition, qui ne veut pas entendre parler de référendum, peut interpréter autrement cette phrase. Elle peut y voir une invite de l’ambassadeur aux Burkinabè à prendre leurs responsabilités afin de contrarier la volonté de Blaise Compaoré de s’accrocher au pouvoir. Un autre décryptage de cette phrase pourrait consister à dire simplement que la France n’a pas son mot à dire dans la polémique qui déchire actuellement le pays et que, par conséquent, c’est aux Burkinabè que revient la dernière décision. La France pourrait s’accommoder de cette dernière lecture. La deuxième phrase prononcée par l’ambassadeur, du même registre que la première, est la suivante :  « Je suis certain qu’il y a suffisamment de bon sens (…) pour qu’aucune ligne rouge ne soit franchie. ». Le « bon sens » dont parle l’ambassadeur peut être perçu différemment par les deux camps. Pour le pouvoir, le bon sens consisterait à s’appuyer sur la lettre de la Constitution qui n’interdit aucunement sa révision. Quant à l’opposition, c’est Blaise Compaoré qui doit faire preuve de bon sens pour ne pas brûler le pays pour des intérêts personnels.

 

Les peuples africains doivent se convaincre qu’ils ne peuvent pas compter sur « la patrie de Voltaire »

 

Comme on le voit, l’ambassadeur de France au Burkina a parlé du Burkina. Mais l’on peut avoir l’impression qu’il n’a pas dit grand-chose. C’est pourquoi les Burkinabè qui sont épris d’alternance et de démocratie peuvent écraser des larmes de voir la France, une fois de plus, s’illustrer dans son sport favori face aux tripatouilleurs de Constitutions en Afrique. Ce sport dont elle est friande est d’adopter une position de clair-obscur qui arrange in fine les princes qui nous gouvernent. Les peuples africains qui attendaient certainement mieux des socialistes qui sont aujourd’hui aux affaires, peuvent avoir la nostalgie de Nicolas Sarkozy. En effet, si celui-ci avait pu renouveler son bail à l’Elysée, l’on aurait pu s’attendre à ce qu’il soit moins conciliant avec tous ces tripatouilleurs de Constitutions qui écument aujourd’hui l’Afrique. Le premier enseignement que l’on peut tirer de cette position franchement décevante de la France, est que les peuples africains doivent se convaincre qu’ils ne peuvent pas compter sur « la patrie de Voltaire » dans le combat pour la démocratie, surtout dans un contexte où les présidents des républiques bananières savent qu’ils peuvent acheter le silence de la France face à leurs dérives autocratiques, en finançant de manière occulte les candidats à la présidentielle française qui sont susceptibles de protéger leurs trônes. Et comme l’argent ne leur fait généralement pas défaut, ils vont désormais s’y employer pour régner à vie. C’est pourquoi, l’on peut avoir envie de soupirer avec Alan Paton : « pleure, ô pays bien-aimé ».

 

Pousdem PICKOU


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