HomeBaromètrePUTSCHS MANQUE DE SEPTEMBRE 2015 : Pourquoi l’ouverture du procès n’était–elle pas filmée ?

PUTSCHS MANQUE DE SEPTEMBRE 2015 : Pourquoi l’ouverture du procès n’était–elle pas filmée ?


 

A peine ouvert, le procès du putsch manqué de septembre 2015, a été suspendu sine die. Mais les difficultés que les Hommes de médias ont rencontrées dans la couverture de cet évènement tant attendu, ont inspiré la réflexion ci-dessous au juriste Amadou Traoré qui n’est plus à présenter. Pour lui, « le caractère public des audiences est considéré comme une garantie pour la protection, la défense et le respect des droits du justiciable contre les dangers et inconvénients d’une justice secrète ». Lisez !

 

 

« L’avantage d’être intelligent, c’est qu’on peut toujours faire l’imbécile, alors que l’inverse est totalement impossible. »

 

Le procès du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015 qui a débuté le 27 février 2018 dans la Salle des Banquets de Ouaga 2000 a été émaillé par un évènement important : le dépit et le mécontentement du monde de la presse de n’être pas autorisé à couvrir les débats par des moyens audiovisuels et sonores.

Il me paraît nécessaire de donner ci-après un point de vue lié à l’environnement juridique afin que chacun puisse apporter sa contribution à la sérénité de ce procès à rebondissement assuré.

Tout d’abord, je tiens à rappeler que le droit à l’information, tout comme la liberté d’expression, sont des principes fondamentaux de notre société. Les professionnels de l’information jouent un rôle d’avant-garde de la liberté d’expression et d’information du public. Cependant, cette liberté reconnue n’est pas illimitée. Elle est règlementée dans notre pays comme ailleurs par des dispositions diverses, codifiées dans des textes de loi qu’il serait fastidieux de relever dans le détail. Tel n’est d’ailleurs pas l’objet de cette tribune.

Ce qui nous importe, c’est d’ébaucher un cadre adapté permettant le travail des médias d’information dans les prétoires afin d’éclairer les citoyens sur le fonctionnement de la Justice et de proposer des bases objectives de possibles réformes du droit de couverture des procès dans notre pays.

Pour cela, nous ferons un regard sur le système français parce qu’en la matière, il est toujours souhaitable de partir de quelque chose.

I– REGIME DE L’ENREGISTREMENT DES DEBATS EN FRANCE

En France, jusqu’à une date relativement récente, il était formellement interdit de filmer un procès judiciaire afin, disait-on, de sauvegarder l’objectivité et la sérénité des débats. L’article 38 de la loi du 29 juillet 1881, dite « loi sur la liberté de la presse », disposait à ce propos que « dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit ».

En 1983, l’ancien chef de la Gestapo Klaus Barbie, accusé de crimes contre l’humanité, est extradé en France alors que Robert Badinter était ministre de la Justice. Au regard des faits de l’affaire et du nombre élevé des victimes, ne conserver aucune trace du procès Barbie pour la mémoire lui paraissait inconcevable. Le nouveau ministre a donc fait voter une loi promulguée le 11 juillet 1985 qui porte son nom, essentiellement motivée par la constitution des archives audiovisuelles et sonores de la justice. L’exposé des motifs de la loi de 1985 indique que doivent être enregistrés les procès revêtant «une dimension événementielle, politique ou sociologique tels qu’ils méritent d’être conservés pour l’Histoire ».

Ladite loi permet l’enregistrement audiovisuel ou sonore de l’intégralité des débats à partir de points fixes dans la salle d’audience «lorsque cet enregistrement présente un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice». Le procès de Klaus Barbie ouvert devant la Cour d’assises du Rhône le 11 mai 1987 a été le premier procès à être filmé en France conformément à la loi Badinter du 11 juillet 1985. Dans cette lancée, le ministre Robert Badinter préconisait de filmer quotidiennement les audiences correctionnelles ou prud’homales afin de constituer des archives de la justice, sans pour autant permettre de les diffuser immédiatement, parce que, dit-il : «il faut veiller au respect de la présomption d’innocence, de la protection de la vie privée et du droit à l’image» et ne pas tomber dans la “justice-spectacle”.

Ses vœux seront exaucés en partie avec le vote de la loi n°2014-640 du 20 juin 2014 qui a modifié l’article 308 du Code de procédure pénale, en prévoyant que pour compter du 1er  octobre 2014, les débats de la Cour d’assises font systématiquement l’objet d’un enregistrement sonore, sous le contrôle du président. L’enregistrement peut être utilisé si nécessaire devant la Cour d’assises, jusqu’au prononcé de l’arrêt, devant la Cour d’assises d’appel et la Cour de révision et de réexamen de l’affaire.

En outre, à la demande de la victime ou de la partie civile, leurs auditions peuvent également faire l’objet d’un enregistrement sous le contrôle du président.

Il s’agit uniquement de l’enregistrement sonore, parce que la captation d’images reste toujours une exception.

Dans ce système mis en place, les images recueillies sont conservées par un fonds d’archives sécurisé, géré par le ministère de la Justice, et leur diffusion ne devient libre qu’après 50 ans. Le fichier numérique des enregistrements sonores est placé sous scellés et déposé dans un lieu sécurisé.

Le filmage du procès par la presse étant interdit, seuls les dessinateurs judiciaires sont autorisés à “croquer” les prévenus dans le box des accusés lors des procès d’assises.

A voir de près, la mise en place en France de cette procédure d’enregistrement systématique correspond plutôt à la nécessité de faciliter la procédure de révision des procès et de ré-examen des dossiers devant la Cour de cassation, et celle de constituer une mémoire judiciaire. Elle n’a donc pas pour objet l’information évènementielle s’il faut parler ainsi.

Ce rappel n’est pas superflu, parce qu’il permet de voir le cheminement méthodique et la logique qui ont gouverné les choix ailleurs.

II- ETAT DES LIEUX DE LA PUBLICITE DES DEBATS DES PROCES AU BURKINA FASO

Au Burkina Faso, le principe est l’interdiction de la couverture audiovisuelle des procès. L’article 128 de la loi n°059-2015/CNT portant régime juridique de la radiodiffusion sonore et télévisuelle au Burkina Faso du 4 septembre 2015 dispose que : « Est puni d’une amende de un million à cinq millions de F CFA quiconque fait usage des moyens d’enregistrement de son ou d’image lors des audiences des cours et tribunaux sans autorisation du Tribunal ou de la cour. »

Lors de la relecture de la loi qui régit la Haute Cour de Justice en 2017, le législateur a inséré un article 29 bis à la loi modificative qui permet au Président de cette juridiction, sur réquisition du Procureur général, d’autoriser « l’emploi de tout appareil d’enregistrement ou de diffusion sonore, de camera de cinéma ou d’appareil photographique à l’ouverture de l’audience et pendant les débats».

Quel est l’usage qui sera réservé aux supports des enregistrements effectués ? Qui en sera le dépositaire et le garant de la confidentialité ? Rien n’est dit à ce propos. Nous nous sommes élevés à l’époque contre cette disposition chétive qui ne trouvait son fondement dans aucun texte de portée générale comme il se devait, et qui ne rattachait l’utilisation ou l’archivage des supports enregistrés à aucun système organisé. Dans tout Etat respectueux des droits des justiciables, l’enregistrement des procès est règlementé minutieusement et les enfreintes aux prescriptions sont sanctionnées.

Au stade actuel de la règlementation, l’enregistrement audio ou vidéo d’un procès dans notre pays peut être de nature à porter atteinte à l’intégrité morale des accusés, parce qu’il est probable que des extraits enregistrés les concernant soient intentionnellement médiatisés à l’entière discrétion de ceux qui les auront réalisés. Or, telle n’est pas l’éthique de l’enregistrement des débats judiciaires dans les démocraties que nous indexons.

En rappel, la Loi Badinter du 11 juillet 1985 en France permet l’enregistrement du déroulement d’une audience pour la constitution d’archives de la justice sous des conditions strictes, entre autres :

  1. le caractère historique ou pédagogique du procès devra être clairement reconnu pour justifier l’acte ;
  2. lors de la captation des débats, toute recherche d’effet sera bannie. Il ne s’agit pas de « faire du cinéma » : ni gros plans, ni zooms, ni plans de coupe. Les caméras seront discrètes et fixes. Bref, le tournage préconisé s’apparente en quelque sorte à de la vidéosurveillance.
  3. la consultation des enregistrements constitués est possible à des fins historiques ou scientifiques et seulement à huis clos ; la reproduction et la diffusion sont soumises pendant vingt ans à une autorisation expresse du Ministre de la Justice ;
  4. le film ne peut pas être reproduit pendant 50 ans, sauf dans des cas exceptionnels prévus à l’article 8 de ladite loi.

III- NECESSITE DE REGLEMENTER L’ENREGISTREMENT DES DEBATS

Le caractère public des audiences est considéré comme une garantie pour la protection, la défense et le respect des droits du justiciable et contre les dangers et inconvénients d’une justice secrète. La presse est le relai indiqué de cette publicité d’intérêt général. De même, le respect de la vie privée, consacré par une multitude de chartes et de conventions, et la présomption d’innocence, principe de base de la justice d’Etat, constituent des freins légaux à la médiatisation à outrance des débats et de l’environnement des accusés. La presse se trouve donc au centre de cette nécessité d’informer et d’assurer la publicité des procès, d’une part, et, d’autre part, de celle de participer à faire respecter les droits du justiciable.

En France, le principe de la présomption d’innocence a été renforcé par la Loi Guigou du 15 juin 2000 avec l’ajout d’un article 35 ter à la Loi de 1881 qui dispose que : « Lorsqu’elle est réalisée sans l’accord de l’intéressé, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image d’une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l’occasion d’une procédure pénale mais n’ayant pas fait l’objet d’un jugement de condamnation et faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu’elle est placée en détention provisoire, est punie de 15 000 euros d’amende». Ce principe demeure un garde-fou central de la justice de l’Etat de droit.

Dans notre pays, l’absence quasi-totale de règlementation minimale régissant l’enregistrement audiovisuel ou sonore des débats de procès judiciaires, édifie sur le chemin à parcourir, mais surtout, invite aux précautions à prendre dans le processus pour ne pas verser dans le populisme des gouvernants qui nous ont causé tant des torts.

Dans leur logique évènementielle, les médias déploient un arsenal visant à susciter l’intérêt du public en mettant en exergue les scènes marquantes au détriment de la rigueur de l’argumentation et des moments plus importants d’un point de vue juridique. En revanche, dans sa recherche de la vérité, la Justice fait au contraire appel à la réflexion et à l’analyse, en évitant de se laisser submerger par l’émotion. Entre l’ouverture à outrance et l’interdiction totale de couverture audiovisuelle et sonore des débats, il convient de trouver le juste milieu en tenant compte des grands principes du système judiciaire et ce, en concertation de l’ensemble des acteurs impliqués.

Sauf à trahir les principes directeurs de tout procès pénal, il convient d’assurer à la défense un cadre de sérénité et de dignité excluant tout risque de pression afin de préserver la loyauté des débats. Les enregistrements audio et vidéo, pour être autorisés devant les juridictions devront donc être règlementés, et fortement règlementés dans l’intérêt de tous.

CONCLUSION

Avec l’enregistrement audiovisuel ou sonore, la tenue des débats sera forcément modifiée parce que, d’une part, les juridictions devront être dotées de matériels adéquats et, d’autre part, sur un plan plus pratique, beaucoup de témoins ou d’experts hésiteront désormais à raconter n’importe quoi comme c’est souvent le cas et alors même qu’ils prêtent serment. De même, les professionnels que sont les magistrats et les avocats apprendront à se maîtriser parce que les propos excessifs ne s’évanouiront plus dans les airs.

La législation de certains Etats permet de filmer les audiences et même de les diffuser en direct ou en léger différé à la télévision ou sur internet. C’est le cas aussi pour les juridictions internationales et européennes telles que la Cour pénale internationale, qui travaillent tout de même selon une logique non étatique. Mais pour chaque pays qui organise l’enregistrement audiovisuel et sonore des procès, l’efficacité du résultat dépend du degré d’attachement au respect des droits de l’Homme, de la discipline des acteurs à se conformer aux garde-fous prescrits, mais aussi et surtout, de la volonté politique qui sous-tend les choix effectués.

Vivement, que l’on règlemente l’enregistrement audiovisuel et sonore des débats des procès judiciaires dans le respect des standards démocratiques, préalablement à toute autorisation conjoncturelle.

Amadou TRAORE,

Juriste


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