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RELIGION AU BURKINA FASO : Crisis Group invite les acteurs à promouvoir l’équilibre religieux


Dans un rapport intitulé   Burkina Faso : « préserver l’équilibre religieux » et publié le 6 septembre 2016, l’ONG International Crisis Group interpelle le pays des Hommes intègres sur la nécessité de travailler à préserver la cohésion entre les différentes confessions religieuses. Ceci est la synthèse du document que nous vous proposons. Lisez !

 

« Le Burkina Faso est une exception parmi les pays sahéliens, en raison de sa grande diversité religieuse et de la tolérance qui y règne. S’il reste solide, le modèle burkinabè de coexistence religieuse connait des tiraillements. Depuis plusieurs années, les responsables musulmans déplorent le faible nombre de cadres musulmans dans l’Administration et estiment que l’Etat ne traite pas toujours christianisme et islam équitablement. En outre, la montée en Afrique de l’Ouest et au Sahel, d’une violence qui se réclame de la religion, crée un contexte régional nouveau. Alors que le pays se remet d’une période d’instabilité liée à la chute du président Blaise Compaoré en octobre 2014, et face à l’urgence sécuritaire et à la forte demande sociale, le pouvoir actuel pourrait être tenté d’ignorer ces crispations. Ouvrir la question sensible de la religion dans un pays où elle est un marqueur d’identité secondaire, comporte des risques. Pourtant, des mesures doivent être prises dès maintenant pour atténuer les frustrations et réguler le discours religieux afin de garantir la pérennité du modèle de coexistence pacifique.

 

 

Le Burkina Faso se trouve à la croisée des deux grands espaces qui composent l’Afrique de l’Ouest : la région sahélienne, où un islam rigoriste semble gagner du terrain et des groupes armés et terroristes sont actifs ; et la zone côtière, marquée par l’essor de nouvelles églises protestantes, qui adoptent parfois un discours intolérant à l’égard des autres religions. Compte tenu de la porosité des frontières et de la vitesse à laquelle circulent les idées, le pays ne peut demeurer éternellement imperméable aux évolutions qui affectent ses voisins. Le Burkina Faso n’a jamais connu de conflit civil ni de tensions liées à l’appartenance religieuse. Musulmans, chrétiens et animistes vivent ensemble, sont voisins et se marient. Mais les attentats de janvier 2016 ont constitué un choc, tant pour la population que pour la classe dirigeante. Ils ont été suivis de cas isolés d’agression verbale contre des musulmans, révélant une certaine stigmatisation et une inquiétude jusque-là inexistante. Les questions liées à la religion sont entourées de tabous au Burkina Faso. La coexistence pacifique repose sur le pluralisme religieux et le caractère secondaire, généralement peu marqué, de l’identité confessionnelle. Propulser la question de la religion dans la sphère publique et politique, comporte des risques, tant d’exacerbation des différences religieuses que d’instrumentalisation politique des identités. Pour- tant, face à un contexte régional préoccupant et à l’émergence de certaines crispations internes, il est temps de lever le tabou.

 

Il existe depuis longtemps des frustrations parmi les musulmans, liées au décalage entre leur poids démographique (environ 60 % de la population, contre 25 % de chrétiens et 15
%, selon un recensement contesté) et leur faible représentation au sein de l’élite politique et administrative. A cela s’ajoute le sentiment que l’Administration favorise parfois le christianisme ou ne prend pas suffisamment en compte les intérêts des musulmans. Si les frustrations sont parfois exagérées, la perception est plus importante que la réalité. Dans un Etat dirigé depuis longtemps par une élite majoritairement chrétienne, ce déséquilibre ne résulte pas d’une discrimination intentionnelle mais de la colonisation et d’un système d’enseignement à plusieurs vitesses. Il devra être corrigé sans verser dans le sectarisme, notamment en revalorisant l’enseignement franco-arabe, qui concerne un certain nombre d’enfants musulmans et vise à combiner éducation islamique et enseignement général. A défaut, certains pourraient ne plus percevoir l’Etat comme un interlocuteur valable et choisir d’autres moyens d’expression. Il est d’autant plus important de préserver l’équilibre entre les communautés, que ces comportements religieux individuels connaissent des transformations, dont il est difficile de mesurer l’ampleur exacte. C’est le cas chez les musulmans, certains étant attirés par un islam rigoriste d’inspiration wahhabite. Des responsables musulmans s’inquiètent d’ailleurs de l’influence étrangère, notamment des pays du Golfe, qui, bien que difficile à mesurer, peut contribuer à un raidissement des pratiques religieuses. C’est également le cas chez les protestants, attirés par le discours de nouvelles églises qui prônent parfois des valeurs peu compatibles avec la tolérance.

 

Il faut toutefois prendre garde à ne pas assimiler montée de la religiosité et risque de violence ; une distinction trop rarement soulignée dans le débat actuel sur l’extrémisme violent et la radicalisation religieuse. Le retour à un islam plus strict n’implique pas nécessairement une plus forte propension à la violence, en témoigne l’existence de courants rigoristes quiétistes. De même, la violence qui se réclame de la religion trouve souvent ses origines ailleurs : délinquance, appât du gain, doléances locales, ethniques ou socioéconomiques. Les mutations des comportements religieux peuvent néanmoins être dangereuses lorsqu’elles bouleversent les relations sociales. Le mépris ou la fermeture par rapport aux autres confessions peut entraîner un dangereux repli communautaire. Les autorités doivent prendre conscience de ce risque et s’impliquer davantage dans la régulation du discours religieux. Les partenaires techniques et financiers du Burkina Faso peuvent jouer un rôle clé pour accompagner les réformes nécessaires, notamment le renforcement des capacités du ministère de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité intérieure (MATDSI), chargé des cultes, et de l’Observatoire national des faits religieux (ONAFAR), qui lui est rattaché. Le Burkina Faso est un pays pauvre mais sa position au cœur d’une région sahélienne de plus en plus troublée et sa capacité à résister à l’instabilité politique en font un verrou contre la radicalisation religieuse et le terrorisme en Afrique de l’Ouest. Le Burkina Faso constitue aussi un bel exemple de pluralisme religieux et de tolérance. Pour toutes ces raisons, Etat burkinabè et partenaires internationaux ont intérêt à ne pas ignorer les crispations qui commencent à apparaître entre les communautés religieuses et entre celles-ci et l’Etat. »

 

Dakar/Bruxelles, 6 septembre 2016

 

 

Recommandations

 

Pour assurer une meilleure représentation au sein de l’élite politique et administrative

 

Aux autorités du Burkina Faso :

 

-œuvrer à améliorer la représentation des musulmans au sein de l’élite politique et administrative sans tomber dans la dangereuse logique des quotas, en :  poursuivant les efforts de valorisation de l’enseignement franco-arabe, notamment, en augmentant le niveau de français exigé et en établissant un programme uniformisé pour toutes les écoles franco-arabes validé espar l’Etat, et faire connaître ces efforts auprès du public, notamment à travers les médias ; cela facilite l’obtention d’équivalences pour les diplômés issus des universités des pays arabes, y compris en s’assurant que ces derniers sont suffisamment informés sur les démarches, pour leur insertion professionnelle et réduire leur sentiment d’exclusion sociale ; et explorer les possibilités de faciliter l’apprentissage de la langue française pour les diplômés des universités arabes, par exemple en mettant en place des centres de formation, éventuellement avec le soutien des partenaires techniques et financiers.

– prendre conscience des dangers liés à la mendicité et des perspectives limitées pour les milliers d’enfants issus des écoles coraniques, et dégager des ressources financières pour remédier à ces problèmes.

-revaloriser la langue arabe dans l’enseignement secondaire et supérieur, en proposant des cours d’arabe et en reconsidérant la création d’un département de langue arabe à l’Université de Ouagadougou.

 

Aux responsables musulmans :

– mieux communiquer auprès du public sur les efforts de l’Administration pour valoriser l’enseignement franco-arabe afin de réduire les malentendus entre l’Administration et les responsables et citoyens musulmans.

-travailler avec l’Administration pour réformer l’enseignement franco-arabe, et accepter de se conformer aux exigences de l’Etat.

 

 

Pour assurer une visibilité équilibrée des religions dans l’espace public

 

Aux autorités du Burkina Faso :

 

– favoriser une meilleure représentativité des différentes confessions lorsque la participation des autorités religieuses est sollicitée, en accordant une représentation égale aux chrétiens et aux musulmans.

– garantir une visibilité équitable de toutes les confessions religieuses dans l’espace public et médiatique, en particulier à la Radio-télévision burkinabè (RTB) et lors des fêtes religieuses.

 

 

 

Pour mieux réguler le discours religieux et promouvoir la coexistence

 

 

Aux autorités du Burkina Faso :

 

– commencer, dans la mesure des ressources disponibles, à produire une  cartographie complète des lieux de culte et de leurs responsables sur le territoire, en s’inspirant de l’exemple ivoirien où les chefs religieux ont une carte électronique présentant leurs noms, coordonnées et le lieu de culte auquel ils sont affiliés.

 

-accorder davantage de ressources financières à la Direction des libertés publiques et des affaires politiques au sein du ministère de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité intérieure (MATDSI) pour que son personnel ait les moyens de travailler efficacement.

 

-adopter l’avant-projet de loi sur la liberté religieuse préparé par le MATDSI, puis communiquer sur la nouvelle loi auprès du public.

 

– concrétiser l’objectif de redynamisation de l’Observatoire national des faits religieux (ONAFAR) en augmentant ses ressources financières, en engageant du personnel administratif pour soutenir ses membres bénévoles, et en lui fournissant le matériel nécessaire pour équiper ses locaux.

 

Aux représentants des différentes religions :

 

-assurer une présence plus importante des jeunes et des femmes au sein des associations confessionnelles pour préparer la relève, et travailler à une plus grande unité au sein de chaque mouvement et de chaque confession.

 

A l’ONAFAR :

 

– établir une stratégie de communication pour vulgariser son rôle et ses activités auprès du public, mener des campagnes de sensibilisation, notamment à travers les médias (en particulier la radio), et, à terme, mettre en place des démembrements dans les régions et provinces.

 

Aux autorités, aux responsables religieux et aux médias :

 

assurer une plus grande visibilité des exemples de coexistence religieuse et de vivre-ensemble à travers les médias, notamment la radio.

 

Aux partenaires techniques et financiers :

 

– soutenir davantage les initiatives de dialogue interreligieux, qu’elles émanent de l’Administration ou des associations confessionnelles, en privilégiant les organisations de jeunesse, et explorer les possibilités d’assistance financière à l’ONAFAR et de soutien budgétaire pour les réformes que l’Administration doit conduire (enseignement franco-arabe, cartographie des lieux de cultes, etc).

 

 


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