HomeA la uneREVISION DU CODE ELECTORAL : « Ce n’est pas une avancée », selon Newton Ahmed Barry, président de la CENI

REVISION DU CODE ELECTORAL : « Ce n’est pas une avancée », selon Newton Ahmed Barry, président de la CENI


Dans le débat en cours sur le projet de nouveau Code électoral élaboré par le gouvernement et transmis pour amendement à plusieurs acteurs, nous avons voulu recueillir l’avis de Newton Ahmed Barry. En tant que président de la CENI, il n’est pas toujours aisé d’intervenir dans un tel débat, mais le sieur Barry a accepté de  répondre à nos questions.

 

« Le Pays » : Un débat se mène actuellement sur le projet de nouveau Code électoral initié par le gouvernement. Avant tout propos, avez-vous parcouru le document et que pouvez-vous en dire ?

 

Newton Ahmed Barry : C’est avec beaucoup de regrets que nous avons vu ce document-là circuler, d’autant plus que nous n’en avons pas été au départ destinataires. C’est après quelques jours passés que nous avons reçu une correspondance nous demandant de faire des contributions. Nous pensons que le statut de l’institution aujourd’hui, voulu par les Burkinabè, ne peut pas être réduit à une composante ordinaire qui peut être appelée à faire des amendements. Nous aurions dû être partie du projet, pour ne pas dire plus, parce que c’est comme ça que les institutions indépendantes en charge des élections fonctionnent quand les pays font le choix. Je vous donne un exemple : celui du Canada appelé « Elections Canada ». Aucune loi, aucun texte en rapport avec les élections ne passe au Parlement si ce n’est par le biais, en tout cas, si ce n’est produit par

« Elections Canada ». Donc, il est difficile que dans notre contexte, la CENI soit seulement un ampliataire. Prenons encore un autre exemple, celui de la Côte d’Ivoire. Tout ce qui est en rapport avec les élections, est produit par la CEI, transmis au gouvernement sur proposition de la CEI. Même si le ministère de l’Intérieur, ou le ministère de l’Administration territoriale, pour ce qui concerne notre cas, est naturellement l’organe gouvernemental par lequel, ou le canal par lequel la proposition peut atterrir sur la table du Conseil des ministres.

 

Comment interprétez-vous votre mise à l’écart (celle de la CENI) dans cette démarche gouvernementale en rapport avec le projet de nouveau Code électoral ?

 

A la vérité, il y a deux choses. Le premier élément, c’est que nous, dans la logique de la proposition que nous avions faite au départ, il s’agissait de relire le Code électoral existant. La Constitution n’ayant pas été encore adoptée, elle ne peut pas servir de fondement à une nouvelle loi. Nous avions proposé trois réformes principales dans le cadre du Code existant. La première, c’était que l’une des dispositions du Code actuel allait poser problème si on devait organiser le référendum en 2017. Parce qu’elle disait de façon expresse, l’article 265, que « le vote des Burkinabè de l’étranger entre en vigueur après 2015 ». Nous sommes après 2015 ; donc on ne pouvait pas imaginer organiser une élection référendaire sans que les Burkinabè de l’étranger ne participent.  Il fallait donc tout simplement repréciser cette disposition. Nous, nous avions proposé d’être très précis avec cette disposition, en disant que « le vote des Burkinabè de l’étranger entre en vigueur le 1er janvier 2020 ». Cela veut dire de façon claire que toute élection qui aurait lieu en 2020, inclurait les Burkinabè de l’étranger. Et nous avions ajouté, pour rassurer nos compatriotes de l’étranger, que cette disposition, un des alinéas de l’article 265, « était insusceptible de modification ». Voilà le premier élément de la démarche de la CENI, dans le cadre de la révision du Code électoral. Le deuxième élément est que, pour que les Burkinabè votent en 2020, il faut que dès à présent, on pose de façon claire, dans le Code électoral, les dispositions qui vont régir ce vote et nous les avons inclus dans ce Code électoral que nous proposions pour adoption. Le premier élément, c’était de voir est-ce qu’il était possible que dans tous les pays où on a une Ambassade, nous puissions organiser le vote des Burkinabè résidant à l’étranger. En s’inspirant de ce que font les autres, nous nous sommes rendu compte que selon les moyens dont dispose l’Etat, il fallait fixer un seuil. Nous, nous proposions, dans le projet de Code électoral, un seuil minimum de 500 Burkinabè immatriculés à l’Ambassade ou au consulat. Cela veut dire que dans tous les pays où vous avez au moins 500 Burkinabè immatriculés dans l’Ambassade ou dans le consulat, on ouvre un bureau de vote. L’autre élément, c’était de savoir quel document de vote utiliser. Nous avions proposé à ce niveau que l’on fasse une option résolue de la carte consulaire et nous avions proposé, avec le kit de la CENI en collaboration avec l’ONI, d’élaborer une carte consulaire-type pour l’ensemble de nos consulats et Ambassades à l’étranger. Avec nos kits et avec la collaboration de l’ONI, nous nous engagions à rendre ce document-là accessible à l’ensemble des Burkinabè et en même temps, à réduire les coûts d’enrôlement. Le troisième élément pour que nous ne soyons pas à dépenser 8 à 9 milliards de F CFA pour faire des révisions du fichier électoral avant une grande consultation électorale, ce que nous sommes obligés de faire pour le référendum à venir, nous avions proposé que dans la loi, on inscrive qu’à partir de maintenant, la CNIB est l’unique document pour s’enrôler sur le fichier électoral et cela va être l’unique document qui va permettre à tout Burkinabè de voter au niveau national.  Ce qui nous faisait donc des économies substantielles, la facilitation évidemment dans l’ensemble du processus et la crédibilisation du fichier. Voilà les propositions que nous faisions dans le document que nous avons transmis le 16 mars 2017 au MATD.

 

Quel a été le feedback du MATD par rapport à votre proposition ?

 

Il n’y a pas eu de feedback, quand on regarde le projet qui est sorti. On n’a tenu compte d’aucune de nos propositions. Aucune !

 

« Ce balancier dont on ne comprend pas toujours les motivations qui veut qu’on retourne toujours à l’Administration publique, à mon avis, ne me paraît pas très opportun »

 

Vous avez parcouru le document qui vous a été transmis par le MATD. Comment appréciez-vous son contenu ?

 

Nous, on évite d’apprécier ; on vous donne les éléments qu’on vient de décrire et c’est à vous de faire les rapprochements.

 

Quelle est la posture de la CENI dans le débat qui se mène actuellement dans l’opinion sur cette question de projet de Code électoral ?

 

Nous pensons qu’il n’est pas bienséant de continuer, dans le cas de la législation en rapport avec les élections, à vouloir mettre la CENI en dehors du processus. Ce n’est pas imaginable. Nous pensons aussi qu’on ne peut pas aller si loin en termes de qualité pour revenir si loin en arrière en termes de…, je n’ai pas de mots pour le qualifier.

 

Vous pensez donc comme certaines personnes que la proposition du gouvernement est un recul démocratique?

 

Ce n’est pas une avancée ; au moins c’est certain. En termes de comparaison, j’ai parcouru les textes qui régissaient les élections en 1995 et ils sont en avance par rapport aux propositions que l’on fait aujourd’hui. En regardant ces deux éléments, on ne peut pas dire que c’est une avancée. Troisième élément, je crois que dans notre pays, il y a des consensus qu’on ne doit pas continuellement remettre en cause. En 1999, avec le Collège de Sages, on est arrivé à deux consensus majeurs qui ont permis d’asseoir ce qu’on pourrait appeler le « consensus politique ». Le premier élément le plus important, c’est la limitation des mandats présidentiels. Le deuxième élément qui était le plus important, c’était le choix résolu d’une Commission électorale nationale indépendante pour organiser les élections, totalement coupée du gouvernement et de l’Administration publique. Ce balancier dont on ne comprend pas toujours les motivations qui veut qu’on retourne toujours à l’Administration publique, ne me paraît pas opportun. Il faut avancer plutôt que de tirer toujours en arrière.

 

Effectivement, il y a cette perspective de supprimer la CENI. Quel  est votre avis, au regard de l’histoire et de l’historique de la CENI, format actuel ?

 

A cette question, je réponds. C’est aussi une des lacunes de l’avant-projet de constitution, tel qu’il est publié. On ne peut pas aujourd’hui tirer prétexte de l’inscription de la dénomination telle qu’elle est faite dans l’avant-projet de la Constitution, pour dire que la CENI est d’office supprimée parce que la CENI elle-même est justement une administration indépendante en charge des élections. Elle est une autorité administrative indépendante. On ne peut d’emblée tirer profit ou prétexte de cette inscription dans le projet de Constitution pour mettre un trait sur la CENI. Deuxième élément, on ne peut pas faire un trait sur la CENI à partir d’un simple projet de loi, parce que la mise en place de la CENI relève d’une entente nationale qui implique plusieurs acteurs. Si demain on doit changer la CENI, aussi bien dans son format que dans sa dénomination, c’est une négociation nationale qui doit s’instaurer avec l’ensemble des acteurs.

 

Pensez-vous que le pouvoir en place a un agenda caché avec une telle proposition ?

 

Je ne peux pas le dire. Je ne sais pas.

 

Est-ce qu’en matière politique, le pouvoir en place a intérêt à avancer dans ce dossier en fermant les yeux sur les critiques ?

 

Il y a des consensus, au niveau national, qui dépassent les partis et les gouvernements. Et je pense que le consensus sur la limitation des mandats et le consensus sur la CENI en charge des élections, sont des consensus au-dessus des partis, au-dessus des gouvernements. Donc, il n’est pas possible de les changer.

 

Quels sont vos souhaits ?

 

Je souhaite simplement qu’on ait beaucoup d’égards pour l’institution voulue par les Burkinabè, qui est donc la CENI, pour régir les élections et que la moindre des considérations veut qu’on puisse discuter avec tout le monde. Et c’est ce que nous, nous avons fait quand nous sommes arrivés à la tête de la CENI. Nous avons écrit à plusieurs reprises au gouvernement pour lui demander ce qu’on pourrait appeler une assise commune de relecture du Code électoral. Nous n’avons pas reçu de suite favorable. Nous estimons qu’on ne peut pas continuer à penser que la question électorale peut être régie par un gouvernement seul, à partir du moment où la volonté nationale exprimée est que l’institution qui en a la charge soit totalement indépendante du gouvernement.

 

Propos recueillis par Michel NANA

 

 


Comments
  • Vous avez le soutien du peuple. que les initiateurs de projet de révision du code électorale. arrêtent ses conneries. Si on n’a rien de bon a proposer au peuple .il faut se cacher pour qu’on s’appercoit pas de vos incompétences. Tous unis contre de telle forfaiture. Que ceux qui nous gouvernent saches comment ils sont arrivés là-bas. La flamme du patriotisme est toujours en alerte. Ton née à pokamai

    12 juin 2017
  • Quel que soit le combat mené, qu’on peut partager, la question qui se pose est de savoir si M. BARRY intervient en tant que CENI ou chef de parti. Dans un cas comme dans l’autre, sont intervention ruine l’indépendance, l’impartialité et l’obligation de réserve d’une telle institution, donc son existence. Il donne raison au passage aux partisans du projet de modification.

    16 juin 2017

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