HomeA la uneSENEGAL : Dakar entre dialogue politique et condamnation de Hissène Habré  

SENEGAL : Dakar entre dialogue politique et condamnation de Hissène Habré  


 

Le dialogue national initié par le président sénégalais a débuté comme prévu le samedi dernier, dans la salle des Banquets du palais de la République, avec plus de 400 participants représentant des partis et coalitions politiques, des organisations de la société civile, des mouvements syndicaux et des  autorités religieuses et coutumières. Au menu de ces assises qualifiées de « véritable farce » par certains de ceux qui n’y ont pas été conviés, il y a notamment les sujets portant sur les réformes politiques, la gestion du pétrole et du gaz découverts au Sénégal, la sécurité, la recherche de la paix en Casamance, l’éducation et la santé, deux secteurs en proie ces dernières années à des grèves générales ou perlées, décrétées par des syndicats qui ne sont pas toujours en odeur de sainteté avec le pouvoir. Même si le Sénégal n’est pas actuellement en crise politique ou institutionnelle susceptible de mettre à mal la cohésion sociale ou le développement économique du pays, et qui aurait pu justifier des concertations nationales comme celles qui sont en cours, l’initiative du président  Macky Sall de rassembler ses compatriotes pour échanger autour des questions d’intérêt national est, dans le principe,  à saluer. Le président sénégalais, en décidant d’institutionnaliser le 28 mai comme « la journée du dialogue national », a bien conscience des vertus d’un tel exercice, même en temps de paix, parce qu’il permet de promouvoir l’harmonie sociale et de prévenir des situations de crise dont le Sénégal devrait bien se passer dans le contexte actuel de l’Afrique de l’ouest, marqué par l’insécurité et le terrorisme. Malheureusement, pour cette fois-ci, en tout cas, le bilan risque d’être mitigé, principalement à cause de l’absence à ces assises de certains leaders charismatiques de la société civile ou de partis politiques qui, soit n’y ont pas été invités, soit ont préféré snober la rencontre, probablement pour des raisons politiciennes. L’on pourrait en effet se poser la question de savoir comment un dialogue qui se veut national et inclusif, peut-il laisser en rade des organisations aussi représentatives de la jeunesse sénégalaise comme le mouvement « y’en a marre » et le « M23 » ? Ces OSC ont peut-être payé leur farouche opposition au référendum organisé par Macky Sall, le 20 mars dernier, sur la réforme constitutionnelle, et notamment sur la non- application de la réduction de la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans sur celui en cours de Macky Sall. Le président sénégalais a probablement peur des discours au vitriol et des sorties imprévisibles de ces « Julius Malema » du Sénégal que sont Fadel Baro ou Mamadou Mbodj, mais il devait savoir qu’organiser un dialogue autour des questions d’intérêt national nécessite la contribution de tous, et toutes les sensibilités devraient s’exprimer, y compris les plus critiques.

Macky peut bien avoir organisé cette grand-messe juste pour « acheter » la conscience des leaders d’opinion et de partis politiques

A défaut, ce dialogue ne sera rien d’autre qu’une occasion pour certains d’aller à la quête de « prébendes individuelles », pour reprendre les termes de l’Archevêque de Dakar, Mgr Benjamin Ndiaye. Si on ajoute à l’absence à ces assises, des OSC actuellement les plus en vue au Sénégal, le refus de certains partis politiques et non des moindres d’y envoyer leurs représentants, on peut se demander si les conclusions qui en sortiront seront véritablement le fruit d’un consensus national tel que le veut le président Sall. Les anciens Premiers ministres Idrissa Seck et Souleymane Ndéné Ndiaye, le président du Grand parti Malick Gakou et l’ancien maire de Dakar, Pape Diop, ont tous préféré aller « dialoguer avec le peuple » à Dakar et à l’intérieur du pays, et laisser Macky Sall « causer avec ses invités » au Palais de la République. Même au sein du PDS de Abdoulaye Wade, qui est de fait le chef de file de l’opposition et dont le statut sera débattu au cours du forum, il y en a qui sont ouvertement contre, comme Farba Senghor et Fabouly Gaye, alors que leur parti a décidé, in extremis, de rejoindre le groupe des participants, en espérant probablement un assouplissement des peines infligées à ses militants, et pourquoi pas un élargissement de Karim Wade. Quoi qu’il en soit, nous applaudirons à tout rompre si les présentes assises accouchent de décisions fortes et véritablement dans l’intérêt du Sénégal, mais en attendant, nous préférons rester prudent car Macky peut bien avoir organisé cette grand-messe juste pour « acheter » la conscience des leaders d’opinion et de partis politiques dans la perspective d’une nouvelle coalition qui le soutiendra aux prochaines élections, celle l’ayant porté au pouvoir en 2012 (Benno bokk yaakaar) étant en passe de se désintégrer, si ce n’est déjà fait. On retiendra donc que si Dakar polarise l’attention des Sénégalais depuis le 28 mai, la capitale sénégalaise sera aussi le point d’attraction de tout le continent parce que les Chambres africaines extraordinaires constituées spécialement pour juger l’ancien président tchadien Hissène Habré, rendront ce lundi, le verdict tant attendu. Il n’y a guère de doute que ce tueur froid et silencieux payera pour avoir  désarticulé le Tchad par son pouvoir exorbitant. La sentence, qui va un tant soit peu apaiser les cœurs des 40 000 victimes de Habré ou de leurs familles, sera historique, et il faut saisir cette occasion pour saluer ceux grâce à qui ce procès a eu lieu, notamment l’avocat américain Reed Brody de Human rights watch, Souleymane Guengueng et Jacquelline Moudeina, tous Tchadiens, victimes et survivants des geôles d’Hissène Habré, qui se sont courageusement battus pour que ce tortionnaire de la pire espèce paye ses méchancetés ici-bas. Et assurément, Habré payera le prix fort. Pour plusieurs raisons : Le caractère historique du procès. C’est en effet la première fois que de telles assises se tiennent sur le sol africain, pour juger un ancien président africain. Puis, il y a l’atrocité et l’ampleur des crimes sans oublier l’ardent désir des protagonistes de donner tout son cachet pédagogique à ce procès pour que plus jamais aucun prince régnant ne commette de telles cruautés. Enfin, ce procès tombe mal pour le grand tortionnaire de Ndjamena. En effet, ces assises se sont tenues dans un contexte où la polémique fait rage en Afrique entre partisans et adversaires de la CPI perçue comme un instrument de punition visant exclusivement les chefs d’Etat africains.

Hamadou GADIAGA


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