HomeA la uneSIAKA COULIBALY, ACTIVISTE DE LA SOCIETE CIVILE : « L’état de grâce est fini pour le gouvernement »

SIAKA COULIBALY, ACTIVISTE DE LA SOCIETE CIVILE : « L’état de grâce est fini pour le gouvernement »


Il est un des acteurs-clé de la société civile burkinabè. Il est aussi un des rares activistes à prendre la pleine mesure du rôle d’une Organisation de la société civile (OSC) dans le processus démocratique d’un pays. Siaka Coulibaly, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est, de par la pratique et l’expérience, un analyste politique bien averti. Nous sommes allé à sa rencontre pour aborder les sujets d’actualité brûlants de l’heure.

 

Le Pays : Lors du meeting du CFOP, Zéphirin Diabré a dit qu’il y a OSC et OSC. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?

 

Siaka Coulibaly : Je suis parmi les plus satisfaits que cela ait été dit. Je fais partie des rares qui affirmaient publiquement que l’action de certaines OSC déborde du champ normal de la société civile. La société civile est d’abord non partisane. Elle est chargée de la défense des valeurs républicaines et démocratiques et des droits humains de tous les individus. La prise de position partisane est nuisible à la crédibilité des OSC. Il est temps que la confusion qui s’est aggravée sous la Transition, cesse et que les OSC retrouvent leur terrain naturel d’actions en laissant le combat politique aux partis politiques.

 

Où est-ce que vous vous placez ?

 

Je reste de la société civile traditionnelle. Celle qui suit les politiques publiques pour en améliorer les performances au profit des populations. Le travail de la société civile est immense sous nos tropiques. Etre au coude-à- coude avec l’Etat pour veiller à la bonne marche du travail de développement et de la sécurité alimentaire, de la santé, de l’éducation, de la décentralisation, etc., n’est pas une mince affaire. Le plaidoyer pour une meilleure gouvernance politique et un développement socio-économique équitable pour tous, se confond avec l’action des partis politiques, en particulier ceux de l’opposition. Mais cette opposition aussi reçoit les critiques quand elle rechigne à jouer son rôle dont dépendent l’équilibre politique et les performances du pouvoir en place. Même si certains nous confondent à des politiciens, nous-mêmes savons très bien les limites de notre action.

 

Pensez-vous que le meeting d’interpellation et de protestation organisé le 29 avril dernier par le CFOP était opportun ?

 

Cette question posée dans un contexte démocratique est de nature à irriter. L’opportunité d’une activité relève de celui qui l’entreprend et qui en assume les responsabilités. Un meeting de partis politiques pour exposer une plate-forme et rencontrer ses militants est une banalité dans une démocratie. Il est vrai que dans le contexte actuel, ce meeting n’arrange pas les adversaires du CFOP. Même si nous étions en guerre ouverte, un meeting peut être organisé pour interpeller les dirigeants pour que des efforts supplémentaires soient faits dans la protection du pays. Tant que le meeting restait dans les limites de la légalité, il n’y avait rien à dire sur son opportunité. D’ailleurs, les autorités n’ont pas émis de réserves quant à sa légalité.

 

En tous les cas, l’opposition se dit satisfaite de la mobilisation. Cela ne devrait-il pas constituer un indicateur sérieux pour le pouvoir ?

 

Cela est évident et je pense que le signal est arrivé à qui de droit. Ce pouvoir qui est arrivé suite à un mouvement de type insurrectionnel, comprend mieux que quiconque la portée de ce meeting dont la mobilisation a été parfaite. L’état de grâce est fini pour le gouvernement. Il lui faut dorénavant répondre aux critiques de l’opposition par des résultats tangibles dont le principal reste l’indice de satisfaction des populations et des citoyens, et non des chiffres compliqués à comprendre par le Burkinabè moyen.

 

Que pensez-vous de la gouvernance du pouvoir actuel ?

 

Pour ma part, le pouvoir actuel est en difficulté. Principalement, le manque de ressources financières pour conduire les actions qui avaient été annoncées, est un handicap insurmontable. Aucun gouvernement ne peut échapper aux critiques et aux mouvements d’humeur des populations si les attentes ne sont pas comblées. La marée humaine du 30 octobre 2014 qui a renversé le pouvoir de Blaise Compaoré était constituée de mécontents de la situation socio-économique, en particulier les perspectives d’emploi et de revenus des jeunes. Si un gouvernement issu de ce soulèvement n’arrive pas à régler les problèmes pour lesquels il a été désigné, la colère populaire devient encore légitime.

Le pouvoir actuel, à mon avis, a minimisé les enjeux. J’ai fini par me rendre compte que le président de l’Assemblée nationale semble le plus conscient de leurs responsabilités, si je me réfère à son intervention après le discours sur la situation de la Nation. Le casting de l’équipe gouvernementale n’a pas correspondu aux enjeux de l’heure qui sont comparables à une période post-conflit ou post-catastrophe naturelle. Il aurait fallu un gouvernement très expérimenté, dont les membres connaissent au bout des doigts le chemin parcouru dans chaque secteur ministériel, et qui auraient su prendre des décisions immédiatement pour relancer la machine de l’Etat à partir de là où Blaise Compaoré l’avait laissée. Ce n’est même pas de la politique que de dire que les choses avancent trop lentement pour que le Burkina Faso ne connaisse pas une énième crise.

Pour moi, le président du Faso devrait poser un diagnostic d’impasse socio-politique et économico-sécuritaire, inviter à un cadre de dialogue important, recomposer la base politique du gouvernement afin de faire face aux défis de l’heure. De même qu’en 2013, j’avais suggéré que nous négocions une transition dans la dernière année de son mandat, le MPP et ses dirigeants devraient concéder un intermède où des compétences externes à la majorité pourraient intervenir et aider à relever la situation. Mais une telle ouverture ne peut se faire sans un contrat politique. C’est pourquoi je propose la convocation d’un cadre de dialogue. C’est vrai que cette proposition ne peut pas plaire aux tenants du pouvoir actuel et déroge aux principes politiques classiques, mais si une action forte n’est pas menée, nous aurons du mal à conserver le modèle démocratique lui-même, au vu des perspectives.

 

Ne pensez-vous pas que l’on compte trop sur le PNDES ?

 

Il est très normal que le PNDES porte autant d’espoirs. Comme je l’ai dit, les attentes sont immenses et un outil destiné à prendre les problèmes du pays par les cornes, ne peut que susciter beaucoup d’espoirs. C’est aussi normal que les partisans de la majorité en fassent leur principal argument. Ceux qui connaissent le fonctionnement de l’Etat savent que le PNDES n’est qu’un outil de gestion qui harmonise les différentes politiques et les rend plus lisibles et faciles à évaluer. Le PNDES occupe la place de ce qu’aurait été la deuxième phase de la SCADD. Son principal défi reste la mobilisation des ressources annoncées, dans un temps relativement court. C’est là où ma proposition d’ouvrir le gouvernement à d’autres ressources prend tout son sens. Le PNDES a besoin que des projets inattaquables soient soumis aux bailleurs de fonds, dans les plus brefs délais. Pour cela, il faut des techniciens très aguerris. Parfois, la présence de certaines personnalités dans les équipes exécutives rassure certains partenaires financiers.

La réconciliation nationale est perçue par tous les acteurs comme le passage obligé vers une situation normalisée, où il ne sera plus question que de développement au lieu des querelles byzantines, comme les appelait Thomas Sankara et dont la plupart des Burkinabè ont du mal à comprendre les déterminants réels. La réconciliation vraie, pas celle des chapelles politiques, est indispensable pour un relèvement de la situation politique et socio-économique.

 

« Zida a été victime de son inexpérience en politique, qui ne lui a pas permis de tenir tête à des stratégies de délinquance politique et financière qui ont gravité autour de lui. »

 

Vous avez eu des relations tumultueuses avec les autorités de la Transition. Est-ce que vous avez de meilleurs rapports avec le régime actuel ?

 

Forcément oui, puisque la Transition était une période exceptionnelle où les règles habituelles de fonctionnement de l’Etat n’étaient pas très respectées. Il a fallu descendre dans l’arène pour tenter d’éviter certaines dérives. L’amateurisme général n’a pas permis de redresser la barre pour répondre aux vrais objectifs d’une Transition politique dont le rôle était de corriger les insuffisances du système Compaoré et de produire plus de résultats au profit des Burkinabè. C’est le détournement d’objectifs de la Transition vers des enjeux partisans qui a conduit à l’impasse actuelle, d’un point de vue structurel. On souhaitait plus de libertés qu’avant octobre 2014, et l’état des libertés a été pire que sous Blaise Compaoré. On pouvait se faire arrêter pour avoir exprimé un point de vue jugé non conforme à « l’esprit de l’insurrection ». Nous qui avions passé toute notre jeunesse à nous battre contre les irrégularités du régime passé, étions très exaspérés de voir qu’au moment où nous avions l’opportunité de corriger ces limites, les choses avaient empiré. C’était insupportable.

Par ailleurs, beaucoup ont pensé que j’avais des contradictions personnelles avec les dirigeants de la Transition, en particulier avec Zida. En réalité, il n’en est rien. Je ne peux même pas détester Zida parce que c’est le premier, au Burkina Faso, à avoir porté mon nom sur une liste probable du gouvernement. Même si cela ne s’est pas fait par la suite, je suis quand même obligé de reconnaître ce fait. Zida a été victime de son inexpérience en politique, qui ne lui a pas permis de tenir tête à des stratégies de délinquance politique et financière qui ont gravité autour de lui. Cela ne l’excuse pas, il doit répondre de ses actes. C’est, pour moi, une question institutionnelle et non personnelle.

Sous le régime élu, la menace d’arrestation arbitraire semble s’être réduite pour la plupart des activistes, même si on peut signaler quelques dérives. Nous nous exprimons assez librement, sans trop de risques actuellement. Je souhaite que les cas Naïm Touré ne se répètent plus, pour que nous avancions vers une démocratie véritable. On voit des hommes politiques régulièrement frappés et insultés en France lors de leurs contacts avec les citoyens, sans que jamais il n’y ait de poursuites particulières. Nos dirigeants doivent aussi se mettre à jour et « ignorer » les propos sortant de l’ordinaire de la part de jeunes gens qui n’ont pas reçu leur formation politique. C’est parce qu’ils sont sous les feux de la rampe qu’on leur adresse certains propos. C’est le prix à payer pour les positions qu’ils détiennent.

 

« Le plus grave dans le présent procès, c’est que les appelés à la barre le sont pour complicité d’homicide volontaire sans qu’il n’y ait d’accusés d’homicide volontaire…La liste des accusés est incomplète dans ce procès. »

 

Le procès du dernier gouvernement de Blaise Compaoré s’est ouvert le jeudi 27 avril 2017. Certains soutiennent que c’est un procès purement politique. Quel est votre jugement ?

 

Aucun procès ne devrait être purement politique, surtout au moment où le pays a le plus besoin de cohésion et d’apaisement. Cependant, la manière dont se déroulent les jugements liés aux événements politiques récents, laisse perplexe. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me battais pour un respect strict du droit, depuis la Transition. La justice ne devrait pas occasionner d’autres blessures. La spirale ne prendra jamais fin, puisque ceux qui auraient été brimés vont chercher à se venger. Ce n’est pas parce que des personnes seraient poursuivables pour des mobiles politiques que leurs droits à une justice équitable auraient disparu. Un gouvernement dont les membres ont agi au titre de leurs responsabilités est couvert par une certaine immunité, selon la Constitution même. Le plus grave, dans le présent procès, c’est que les appelés à la barre le sont pour complicité d’homicide volontaire sans qu’il n’y ait d’accusés d’homicide volontaire. La justice tant réclamée par les uns comme condition de la réconciliation, n’est peut-être pas une justice mais une stratégie politique. Les victimes du 30 octobre incluent les domiciles et biens incendiés et saccagés. Les auteurs de ces actes devraient aussi répondre devant la justice. La liste des accusés est incomplète dans ce procès.

Il y a ensuite les atteintes à la procédure par le refus d’assistance de certains accusés. L’assistance judiciaire est un droit inaliénable de tout citoyen. Cela ne préjuge pas qu’il n’est pas condamnable, mais le droit à la défense est une condition sine qua non de tout procès. D’ailleurs, quand un accusé ne peut pas assurer les frais de sa défense, l’Etat lui procure un avocat commis d’office. Pourquoi donc refuser à un accusé son assistance et sa représentation par un conseil ?

 

Avez-vous foi que dans ces conditions, on aboutira à un procès équitable ?

 

Tout dépend de la suite. Les limites du procès que je pointe du doigt peuvent très vite être rattrapées par le tribunal. Des accusés peuvent toujours être appelés au cours du procès. Donc, il n’est pas possible de conclure que le procès ne sera pas équitable, même si un doute « sérieux » existe déjà. Il n’est pas non plus dit que tout jugement aboutit forcément à des condamnations. Les accusés peuvent très bien arriver à convaincre le juge de leur innocence et bénéficier de la protection de la loi.

 

L’affaire Kanis défraie la chronique depuis un certain temps. Quelle lecture en faites-vous ?

 

D’un point de vue judiciaire, il ne devrait pas y avoir beaucoup à dire après la conférence de presse du procureur. Le soupçon d’arrière-plan politique vient donner à l’affaire une dimension nouvelle. Les commerçants mettent en avant la nécessité de préserver l’entreprise et ses travailleurs. Ils voient certainement une menace qui peut les concerner aussi. La Justice, encore une fois, doit être irréprochable dans l’application de la loi. Elle a aussi des missions de préservation de la paix sociale et d’accompagnement du développement. Si toutes ces considérations sont prises en compte, l’affaire pourrait rapidement être réglée et les risques d’un conflit social supplémentaire évacués.

 

« Dans le fond, le pays pourrait être ingouvernable à cause des nouvelles relations entre le Parlement et le président du Faso. Une Constitution ne doit pas être construite en tenant compte des individus présents au moment de son élaboration »

 

Lors du meeting du CFOP, il a été demandé au président du Faso d’initier une large concertation autour de la nouvelle Constitution. Est-ce à dire que le processus enclenché jusque-là a des insuffisances ?

 

Pour ma part, oui. Selon moi, le processus devait commencer par les consultations des citoyens autour des principales questions qui devraient être tranchées par la Constitution, à savoir le modèle de régime, le fonctionnement des institutions, etc. Une fois les réponses des citoyens synthétisées, les techniciens pouvaient mettre cela en forme et le projet de Constitution aurait eu un ancrage populaire net. Maintenant, il y a un projet qui est disponible. Comment va-t-on intégrer les opinions des citoyens, puisqu’aucun texte n’a organisé cela ? Quand est-ce qu’on prend en compte une proposition faite par un citoyen dans une consultation régionale par exemple ? Ce n’est pas clairement entendu.

Dans le fond, le pays pourrait être ingouvernable à cause des nouvelles relations entre le Parlement et le président du Faso. Une Constitution ne doit pas être construite en tenant compte des individus présents au moment de son élaboration. La Constitution doit être impersonnelle, mais surtout devrait pouvoir régir des situations où ses auteurs ne seraient plus aux affaires. Elle doit être aussi très claire dans les orientations. On devrait accentuer le fait que c’est la majorité au Parlement qui commande la formation du gouvernement, quel que soit le président en place, sans chercher à aménager un espace pour le président. C’est la volonté du peuple exprimée dans les urnes qui est la base du modèle et non le poids éventuel du président.

 

Propos recueillis par Drissa TRAORE

 

 


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