HomeA la uneSIAKA COULIBALY, POLITOLOGUE « L’adoption de la nouvelle Constitution par la voie parlementaire est sûre politiquement mais juridiquement inefficace »

SIAKA COULIBALY, POLITOLOGUE « L’adoption de la nouvelle Constitution par la voie parlementaire est sûre politiquement mais juridiquement inefficace »


 

 

Siaka Coulibaly est sans doute, l’un des acteurs les plus avisés des questions politiques au Burkina Faso. Depuis quelques jours, le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, mène des concertations avec l’ensemble de la classe politique sur deux sujets principalement : le vote des Burkinabè de l’étranger aux élections de 2020 et l’adoption de la nouvelle Constitution, synonyme de passage à la 5e République. Nous avons échangé avec M. Coulibaly sur ces questions et voici ce qu’il nous a confié.

 

« Le Pays » : Le chef de l’Etat propose que la nouvelle Constitution soit adoptée par voie parlementaire. Etes-vous de cet avis ?

 

Siaka Coulibaly : Quand le processus d’élaboration de la nouvelle Constitution avait été lancé, j’avais exprimé mon point de vue. Pour moi, les dirigeants et la classe politique ont le droit de procéder à des modifications de la Constitution, c’est un de leurs rôles. Il y a, cependant, un fossé entre modifier la Constitution et adopter une nouvelle Constitution. En général, les nouvelles Constitutions sont adoptées sous deux principales conditions. A la suite d’une crise politique ou socio-politique majeure et lorsque le changement de Constitution emporte un changement de régime politique (parlementarisme, présidentialisme, etc.). Dans le cas burkinabè, la Transition était une période idéale pour changer de Constitution, essentiellement à cause de la première condition. Maintenant que l’opportunité de la transition politique a été manquée, il devient plus difficile de vouloir passer à une cinquième république, à froid. Pour moi, la seule façon de passer à la cinquième république serait d’exiger que cette nouvelle Constitution soit adoptée par référendum et à une lourde majorité (au moins 60%) de l’électorat. Cela démontrerait une forte volonté populaire. Mais, du moment où le projet de Constitution ne porte pas un changement de régime politique, quel intérêt le peuple burkinabè a-t-il de se doter d’une nouvelle Constitution alors que fondamentalement, celle-ci a le même contenu que celui de la quatrième république ? En tentant de convaincre les populations des zones sous activité terroriste, par exemple, quels pourraient être les arguments électoraux pour le oui à une nouvelle Constitution ? L’adoption de la nouvelle Constitution par la voie parlementaire est sûre politiquement mais juridiquement inefficace, parce que sans intérêt. Il y aura plus de difficulté à justifier que c’est une nouvelle Constitution si les procédures de son adoption ne diffèrent en rien de celles d’une simple modification. En France, la Constitution de 1946 (quatrième république) a été adoptée par voie parlementaire, mais celle-ci opérait des modifications sensibles par rapport à la Constitution de la troisième république. Celle de 1958 (cinquième république) a instauré le présidentialisme pour permettre à De Gaulle de « mettre de l’ordre ». Un projet de Constitution avait été rejeté le 5 mai 1946 par le peuple français lors d’un référendum et n’a été adopté que par le parlement le 27 octobre 1946. On peut ici subodorer que le Président Kaboré, craignant un échec de la nouvelle Constitution par voie de consultation par référendum, prenne les devants en négociant avec son opposition un passage en force à l’Assemblée nationale. Mais, à ce moment, pourra-t-on parler véritablement d’une nouvelle République avec une base juridique ayant une légitimité si faible ? Ma préférence démocratique aurait été que soient soumises à débats populaires lors des consultations régionales, les grandes questions comme : régime présidentiel ou régime parlementaire, durée et nombre du mandat présidentiel, rapports entre les institutions, etc., et que les techniciens habillent ces choix avec les réglages techniques pour donner un projet de Constitution dont l’adoption par référendum n’aurait été qu’une formalité.

 

 

Certains accusent le chef de l’Etat de manœuvrer pour retarder le vote des Burkinabè de l’étranger, malgré la bonne foi apparente qu’il affiche. Qu’en pensez-vous ?

 

J’ai du mal à comprendre pourquoi, jusqu’ici, le vote des Burkinabè de l’extérieur n’est pas encore une réalité. Il existe une peur irrationnelle sur ce vote, exactement comme ce fut le cas pour la candidature indépendante. On a fini par appliquer la candidature indépendante et il n’y a eu aucun bouleversement de la scène politique. Le président Kaboré peut faire partie de ceux qui craignent le vote des Burkinabè de l’extérieur et pourrait effectivement chercher à gagner du temps. Je crains cependant que ce jeu de cache-cache ne lui soit défavorable lors de la prochaine élection présidentielle, en le faisant voir comme quelqu’un qui ne tient pas ses engagements. Il reste encore du temps pour opérationnaliser le vote. On ne peut donc pas condamner tel ou tel pour le moment.

 

Trouvez-vous opportun d’aller à une Ve République ?

 

Le passage à la cinquième république aurait dû faire partie de l’agenda de la transition politique de 2015 afin que cette nouvelle Constitution ait un sens. Elle aurait marqué symboliquement le changement d’ère politique, après le soulèvement populaire d’octobre 2014. Et il y avait largement le temps de faire ce passage et de corriger le cadre juridique et institutionnel du pays et avancer vers une démocratie plus robuste. Avec le temps qui est passé, il devient de plus en plus difficile de justifier une nouvelle république et de plus en plus risqué politiquement de la faire adopter. Un échec référendaire préfigurera la prochaine élection présidentielle et pourra minorer les chances du président sortant. Nous savons tous l’importance d’une Constitution pour un pays. Encore plus, une Constitution établissant un cadre juridique véritablement démocratique garantit l’Etat de droit, la stabilité politique et le développement harmonieux du pays. L’ajustement de la Constitution de la quatrième république pour instaurer plus de démocratie et renforcer l’Etat de droit, est une préoccupation de tous. Mais la prise en otage d’un processus de modification de la Constitution, est préjudiciable à la démocratie et aux intérêts du pays.

 

Quels sont les avantages et les inconvénients, selon que la Constitution est adoptée par la voie référendaire ou parlementaire ?

 

Les différences sont nettes. Une adoption par le parlement est plus facile et plus sécurisée. C’est donc une solution confortable pour ceux qui veulent coûte que coûte une cinquième république. La voie référendaire est plus démocratique et donne au modèle politique qui en découlera, plus de légitimité et plus de stabilité politique. Encore que dans notre contexte, la culture politique du peuple n’est pas suffisante pour permettre un véritable débat démocratique et surtout des choix politiques plus éclairés. L’idéal pour adopter une Constitution supposée effectuer une évolution importante, serait qu’elle soit adoptée par référendum. Et c’est ce qu’on avait compris jusque-là. Maintenant que des perspectives de faire autrement se profilent à l’horizon, nous sommes bien obligés de suivre l’évolution des concertations qui viennent de commencer dans la classe politique.

 

Propos recueillis  par Michel NANA

 

 


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