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Situation nationale : de quels moyens de contrainte dispose la médiation


Idrissa Diarra est un juriste-politiste. Il est aussi géographe-planificateur et membre fondateur du Mouvement de la génération consciente du Faso (MGC /F). Il donne, ici, son point de vue sur la situation politique nationale.

Deux semaines passées, depuis l’auto-investiture du Groupe de Médiateurs internes burkinabè, l’observateur de la scène politique nationale vient à un constat : le blocage des discussions entre les partis politiques. D’un côté, l’Opposition exige en filigrane la présence du Président Compaoré aux séances de discussions ou à défaut, la présentation par le groupe de la Majorité, d’un mandat émanant de lui, dûment constaté. En face, la Majorité au pouvoir estime que son groupe en présence, reste conforme à la lettre d’invitation des Médiateurs, et Monsieur Assimi Kouanda de renchérir que leur mandat vient du peuple !

Face à des positions aussi antagoniques, comment sortir de l’impasse ? Le Groupe de Médiation, de par sa déclaration, se résout à prendre en charge la question. Quelle est cependant sa marge de manœuvre ? Cette raison apparente de blocage semble en occulter d’autres que la présente réflexion tente de mettre en lumière.

De l’état d’esprit des discussions : un manque de confiance affichée entre les protagonistes

L’histoire politique récente du Burkina Faso illustre ce grief que l’on fait souvent aux pratiques politiques faites d’inconstances et de méfiances, et alimentées par les virevoltes des hommes politiques eux-mêmes et des interprétations floues et intéressées des plus inattendues et des plus inimaginables sur certaines dispositions de la Loi. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un regard attentif sur les divergences actuelles autour de l’article 37 de la Constitution, sur la cacophonie nourrie autour des recommandations du Collège des sages, sur les discordances notoires autour du format du Sénat dans les discours des participants du Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP), et pire, sur la pluralité de sens « pragmatiques » donnés au concept de l’ « opposition politique » par les leaders politiques. En effet, comment comprendre l’attitude de certains leaders contribuant d’une part à éroder les luttes de l’opposition politique, et participant d’autre part à la consolidation du pouvoir en place tout en clamant haut et fort, leur appartenance à l’opposition ?

En pareil contexte de négociations, si entre associés il peut paraître plus courtois d’afficher sa confiance sans en donner le moindre signe de doute, par contre entre adversaires, de surcroît politiques, cela peut paraître plutôt naïf pour certains, de ne pas se prémunir d’un minimum de garantie par un acte formel. Et cet acte, faisant office de garantie, ne peut plus être certain et fixé une fois pour toute que sous forme écrite, dira Monsieur Ablassé Ouédraogo. Cette exigence écrite de l’Opposition politique traduit toute la mesure de la portée juridique et exécutoire que celle-ci entend donner à ces négociations et à leurs conclusions.

En tout état de cause, ce blocage soulève une autre question chez certains citoyens ; celle de savoir le statut légal du Groupe de Médiation. Si l’un des protagonistes se risquait pourtant à soulever ouvertement cette préoccupation, on pourrait lui rétorquer sa mauvaise foi dans le processus. A ce titre, il devient important pour le citoyen d’y attirer l’attention.

De l’enjeu de la médiation interne

Il faut le rappeler, le mérite historique de la médiation interne est sa primauté, qui permet de mieux connaître officiellement les premières positions et prétentions des groupes engagés dans les discussions autour d’une même table.

Le contexte de naissance du Groupe de Médiation sur fond de tensions sociales très fortes à l’échelle nationale et son but ultime qui est de préserver la paix sociale dans la dévolution du pouvoir à l’horizon 2015 au Burkina Faso, imposent à l’entendement commun que les accords qui en sortent soient exécutoires, et ne souffrent pas à l’avenir de tergiversations quelconques ! Dans ces conditions, de quels moyens de contrainte le Groupe de Médiation dispose-t-il ou lesquels prévoit-il à cet effet ?

Du statut non formel du Groupe de Médiation

En rapport à cette thèse prônant « l’endogénisation » (1) du Droit africain de l’illustre historien – le Professeur Joseph KI-ZERBO -, on peut avancer que cette médiation interne procède davantage de notre culture africaine, qui donne une place de choix à « l’arbre à palabre » dans la régulation des conflits.
Cependant, la « palabre » non formalisée bute sur des limites objectives dans un Etat de droit moderne. Ainsi, des expertises nationales de la société civile en matière de droit constitutionnel n’ont pas manqué d’attirer l’attention sur le processus de la médiation. Elles ont qualifié le processus en cours de non droit, même si elles en prennent acte, soulignant la primauté de l’ultime intérêt supérieur de la Nation qui veut que le processus de dévolution du pouvoir soit apaisé.

Au regard de ce constat, on peut encore pousser l’analyse pour mesurer la solidité des actes de la médiation dans la mesure où le Groupe de Médiation tire sa source de son auto-investiture. S’il est vrai que cette initiative répond d’une volonté de participation citoyenne, cette seule volonté en soi pour un tel enjeu national ne devrait pas suffire dans le fond ! Autrement dit, le Groupe de Médiation, bien que vêtu de l’autorité morale de par la qualité de ses membres, procéderait pour l’instant, plus de l’informel que du formel, faute d’être officiellement investi jusqu’à ce jour, par une autorité officielle habilitée à cet effet.

L’absence du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) au début des négociations trouvait son explication probable dans l’indisponibilité de son récépissé, une absence donc liée à son statut provisoire, jadis non formel. Cette même exigence de formalité pourrait valoir aussi pour le Groupe de Médiation. En effet, du moment où la tâche auto-assignée par ce dernier vise à concilier des institutions formelles, à savoir les partis ou regroupements de partis politiques – institutions officielles – il sied, pour le respect de la hiérarchie des normes de Droit, que lui-même soit l’émanation du formel. A ce titre, il était tout à fait fondé que les citoyens attendent des deux derniers Conseils des ministres – des 05 et 12 février 2014 – des décisions touchant au statut du Groupe de Médiation. Hélas, ce ne fut pas le cas…
En effet, un éventuel texte officiel portant création, attribution, organisation, fonctionnement et garantissant l’indépendance du Groupe de Médiation, ne peut que lui donner plus de force, de légalité et d’autorité, donc lui procurer plus d’aisance et de marge de manœuvres dans son action et à la longue, plus de légitimité.

Faute de ces mesures avec en sus, la présence d’un organe ou d’un personnel interne de communication pour gérer les organes de médias externes, il serait difficile que le processus fasse l’économie d’altercations parasites ou d’échauffourées par moments ; comme les médias en ont pu déjà être témoins…

Des suggestions

Mu par une volonté de contribution et par un souci d’efficacité et de perfectionnement, ma précédente tribune a fait quelques suggestions qui peuvent être encore renforcées ou améliorées, notamment par des démarches allant dans le sens de la formalisation du Groupe de Médiation.

Aussi, loin d’être un handicap, cette période de pause des discussions peut être saisie et mise à profit pour pendre en compte les critiques formulées de part et d’autre par les citoyens, de sorte que la reprise donne à l’observateur, des impressions nettement meilleures, plus optimistes et plus de chances de succès des discussions.

1 « Endogénisation » : fait de rendre endogène ; action qui prend naissance à l’intérieur d’une société sous l’influence de causes strictement internes.

Idrissa DIARRA
Juriste-politiste, géographe-planificateur
Membre-fondateur du Mouvement de la
Génération Consciente du Faso (MGC/F).
Courriel : [email protected]


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