HomeA la uneSMAILA OUEDRAOGO MINISTRE DE LA SANTE : « L’assurance maladie verra le jour bientôt»

SMAILA OUEDRAOGO MINISTRE DE LA SANTE : « L’assurance maladie verra le jour bientôt»


Dans cet entretien réalisé le 29 juin dernier à Ouagadougou, Dr Smaïla Ouédraogo, ministre de la Santé, nous parle, entre autres, de la gratuité des soins, de la gestion des hôpitaux, de l’affaire de la femme décédée suite à la cassure de la table d’accouchement à la maternité de Yalgado Ouédraogo, des perspectives pour de meilleures conditions de vie et de travail des personnels de santé et de la prise en charge des malades.

 

« Le Pays » : La gratuité des soins est-elle effective sur toute l’étendue du territoire ?

 

Smaïla Ouédraogo : A la date d’aujourd’hui (ndlr 29 juin 2016), nous pouvons affirmer que la gratuité des soins est effective sur toute l’étendue du territoire national et dans toutes les formations sanitaires.  Entre le 2 avril (début de la mesure) et le 27 juin 2016, nous avons admis et soigné gratuitement dans les différentes formations sanitaires (CSPS, CM, CMA, CHR, CHU), 1 181 131 enfants de moins de 5 ans et 217 896 femmes enceintes. Nous avons également réalisé au cours de la même période, 97 151 accouchements et 3 156 césariennes.

 

Peut-on considérer que tous les médicaments sont disponibles ?

 

Nous sommes dans un secteur très sensible, celui de la santé ; nous avons donc le devoir de dire les choses telles qu’elles se présentent réellement. Certaines formations sanitaires continuent à faire face à des ruptures en quelques médicaments. Deux  principaux facteurs peuvent expliquer cette situation : les difficultés rencontrées par la CAMEG à satisfaire à 100% les différentes commandes des formations sanitaires et les commandes non adaptées aux besoins réels effectués par certaines formations sanitaires.  Cependant, il faut noter qu’entre le début de la mesure et aujourd’hui, des améliorations notables ont été constatées dans la disponibilité des différents médicaments. Lorsque nous sommes arrivé à la tête du ministère, la dette fournisseur de la CAMEG s’élevait à plus de 15 milliards de F CFA et les différentes formations sanitaires devaient plus de 7 milliards de F CFA à la structure. Pour réussir la politique de gratuité des soins, nous avons fait un plaidoyer auprès du Président du Faso, du Premier ministre et du ministre en charge des Finances, afin de pouvoir améliorer la trésorerie de la structure. Le gouvernement a alors décidé d’octroyer 5 milliards de F CFA à la CAMEG, ce qui a été fait depuis le 13 mai 2016. Cette action a permis de passer à un taux de satisfaction des commandes de 86% par la CAMEG. Les estimations initiales faites par certaines formations sanitaires étaient en deçà de la réalité sur le terrain, ce qui fait qu’elles n’ont pas permis de satisfaire convenablement les patients aux premiers moments de la mesure. Cette situation est en train de se normaliser avec le temps puisque le taux  de rupture dans les formations sanitaires, qui se situait en moyenne à 30% au début, est passé actuellement à environ 22%. Il est important de savoir que la rupture est définie comme étant la non-satisfaction d’une ordonnance à 100% ; cela signifie que si une ordonnance médicale de 4 médicaments a été prescrite à un patient et qu’au sein de la même formation sanitaire, celui-ci obtient 3 des médicaments prescrits sur 4, nous considérons qu’il y a eu au moins une rupture dans cette formation sanitaire.

 

« Ce n’est pas parce qu’on n’a pas suffisamment de formations sanitaires ou d’officines qu’on va laisser n’importe qui faire n’importe quoi »

 

Avez-vous un plan d’action pour mettre fin aux pratiques de corruption dans les centres de santé publics ?

 

On a beaucoup d’instruments dans notre pays, mais  le problème était le manque de courage ou de volonté à tous les niveaux pour les mettre en application. Les textes règlementaires, la loi anti-corruption et toutes les productions de l’ASCE sont disponibles. Pour ce qui concerne mon département, nous sommes en train de dynamiser les conseils de discipline tout en exploitant les rapports de l’inspection technique des services de santé. Vous avez dû certainement constater dans les réseaux sociaux, que nous avons procédé à des suspensions d’une vingtaine d’agents de santé indélicats, en attendant que leurs dossiers soient traités selon la loi en vigueur en la matière. Nous allons poursuivre ce travail avec pour objectif,  zéro dossier de cette nature dans les casiers (ndlr : administratifs).

Dorénavant, nous procéderons ainsi pour des questions d’équité et de justice. Nous croyons fermement qu’en ne faisant rien contre les agents indélicats, nous découragerons avec le temps, ceux qui sont honnêtes parce que les fruits de leurs efforts seront sapés par les indélicatesses des premiers. Nous avons aussi accentué les contrôles et les inspections et utilisé de façon efficiente les résultats de ces investigations. Je voudrais donc profiter de cette occasion pour féliciter l’ensemble des Ordres professionnels de la santé et en particulier les Ordres des médecins et des pharmaciens. Ils font tous un travail formidable de veille et de dénonciation continue, ce qui nous permet d’agir en conséquence pour le bonheur de nos concitoyens. Et nous tenons à les rassurer que  tout dossier bien monté qui parvient sur notre table, sera traité avec la plus grande diligence. Des médecins ou pharmaciens qui ouvrent des centres de santé sans respecter les procédures, ne peuvent pas exercer car leurs centres seront fermés, conformément aux textes en vigueur. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas suffisamment de formations sanitaires ou d’officines qu’on va laisser n’importe qui faire n’importe quoi.

 

Nous constatons qu’avec toutes ces mesures rigoureuses prises, certains comportements ne cessent toujours pas. Qu’est-ce qui explique cela ?

 

Nous sommes un des rares pays de la sous-région où personne ne peut pratiquer la médecine sans demander l’autorisation de l’Ordre et cela est remarquable. A titre d’exemple, le conseil a fait fermer des centres de certains praticiens qui ne disposaient ni de compétences ni de diplômes pouvant justifier la pratique de l’art médical. Des médecins véreux ont été même traduits devant les juridictions compétentes. Du côté de l’Ordre des pharmaciens, c’est la même tendance qui est observée. 

 

Qu’allez-vous faire pour améliorer les conditions de travail des médecins et la prise en charge des malades, surtout à Yalgado ?

 

Vous avez à la fois raison et tort de faire une fixation sur l’hôpital Yalgado, parce que notre système de santé ne se résume pas à cet hôpital. Yalgado est simplement victime du fonctionnement anormal de notre système de santé. Le système de santé au Burkina Faso a été conçu pour que 80% des besoins de santé des populations soient pris en charge au niveau du district sanitaire, c’est-à- dire des CSPS, des CM et des CMA,  et  les 20% restants au niveau des hôpitaux tels que les CHR et les CHU. Malheureusement, le système ne fonctionne pas comme il se doit pour des raisons de méconnaissance, car bon nombre de personnes pensent que pour un mal de tête ou un panaris, il faut forcément se rendre à Yalgado. Par exemple, de nombreux accouchements sont faits à la maternité de Yalgado alors qu’ils auraient pu bien être réalisés dans un CSPS, un CM ou un CMA. Nous profitons de votre micro pour faire une sensibilisation afin que les populations comprennent que le premier recours aux soins, ne doit pas être l’hôpital Yalgado, mais plutôt le  CSPS le plus proche. Lorsque la situation l’exige, le personnel du CSPS procèdera à une référence du patient au CMA, au CHR ou au CHU. Nous avons plus de 1 600 CSPS, 45 CMA, 9 CHR et 4 CHU sur l’ensemble du territoire ; vous comprenez aisément que les hôpitaux seront toujours débordés tant que la pyramide sanitaire ne sera pas respectée.

Pour améliorer les conditions de vie et de travail des personnels de santé et la qualité de la prise en charge des patients, notre objectif principal est de renforcer les infrastructures, les capacités techniques dans les formations sanitaires, et de créer une Fonction publique hospitalière pour améliorer la motivation du personnel. Ces questions feront l’objet de discussions lors des états généraux des hôpitaux qui auront lieu en novembre prochain.

 

« Le budget annuel prévoyait une subvention de 900 millions de F CFA par an pour la prise en charge des personnes sous dialyse »

 

Succinctement, quelles sont les principales articulations de la politique quinquennale du ministère de la Santé ?

 

Les principales articulations de la politique quinquennale sont l’amélioration de l’accès aux services de santé dont l’un des principaux volets est l’accessibilité géographique à des soins de qualité, parce qu’au Burkina, on n’a pas suffisamment de formations sanitaires, mais le peu dont nous disposons n’est pas distribué de façon équitable sur l’ensemble du territoire. Il y a aussi la question de la barrière financière que nous pensons résoudre à travers la mise en œuvre de l’assurance maladie universelle. La politique de gratuité des soins en cours actuellement, constitue le premier pas vers l’accès universel des soins de santé.  La loi sur l’assurance maladie a été votée en 2015 ; il reste donc sa mise en œuvre effective. La loi dispose que l’assurance doit voir le jour dans les deux années suivant son adoption. Nous travaillons pour qu’il en soit ainsi.

 

Pourquoi cette lenteur dans  l’application de la loi de l’assurance maladie universelle ?

 

Nous avons l’excuse de ne pas être les premiers à avoir fait cela, et  voulons tirer des enseignements des expériences de  ceux qui nous ont précédés dans ce domaine. L’assurance maladie a été expérimentée dans de nombreux pays où certains ont réussi et d’autres non. Donc,  nous essayons d’y aller en réunissant toutes  les conditions nécessaires pour y parvenir. D’où la mise en application de la gratuité des soins chez les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes. Donc, l’assurance maladie universelle verra le jour bientôt.

 

Quelle suite a été donnée à l’affaire de la femme décédée après sa chute du lit d’accouchement à Yalgado ?

 

Nous avons tous constaté avec amertume et désolation ce qui s’est passé à Yalgado. A la suite de cet évènement tragique, nous avons fait ce qui est de coutume, en nous  rendant chez la famille de la défunte pour la soutenir moralement. Parallèlement à cette démarche, nous avons demandé à l’Inspection technique des services de santé, de nous éclairer davantage sur ce qui s’est passé. Il est ressorti de l’enquête que c’est une table qui s’est cassée et a occasionné la chute de la femme. L’Inspection technique des services de santé ne s’est pas arrêtée aux constats ; elle a formulé des recommandations que nous sommes en train de mettre en œuvre. Ces recommandations ont porté entre autres sur le retrait du matériel vieillissant et l’amélioration de la qualité de la prise en charge des malades. Le décès de cette dame nous interpelle tous, surtout nous, au niveau du ministère, pour que nous comprenions que la santé est une affaire sensible et nécessite une plus grande attention. Parallèlement aux instructions données pour la mise en œuvre des recommandations des inspecteurs, nous avons instruit le président du conseil d’administration de Yalgado de nous envoyer une lettre d’explication afin de nous éclairer sur certaines questions dont la résolution anticipée aurait pu nous permettre d’éviter le drame.

 

Quel est aujourd’hui  le statut de l’hôpital Blaise Compaoré ?

 

C’est un hôpital universitaire qui bénéficie d’une autonomie de gestion financière et de gestion de ses ressources humaines.

 

Qu’en est-il pour le changement de nom de cet hôpital ?

 

Ce dossier est en cours. Et très prochainement, vous serez tous appelés à faire des propositions de nouvelle appellation pour cet hôpital. Le ministère fera une synthèse des propositions pour décision du Conseil des ministres. 

 

« Dans ma stratégie managériale, je ne nomme pas au forceps un collaborateur de mon  Secrétariat général »

Est-ce qu’il y a des avancées dans la prise en charge des malades du Sida ?

 

Oui, il y a eu de très grandes avancées. Il faut noter que la prévalence du VIH/Sida est actuellement de 0,9% au Burkina Faso. Aujourd’hui, nous ne parlons pas d’épidémie généralisée du VIH, mais plutôt d’épidémies concentrées car le VIH constitue une épidémie dans des couches particulières de notre société que sont les professionnels de sexe, les prisonniers et les homosexuels. En matière de traitement, nous sommes à une file d’active de 52 248 personnes vivant avec le VIH/Sida qui reçoivent des traitements gratuitement. On a de moins en moins enregistré des ruptures de médicaments antirétroviraux. Plus de 80% des femmes enceintes infectées par le VIH, bénéficient systématiquement d’une mise sous traitements antirétroviraux afin de permettre que leurs enfants naissent sans être contaminés et améliorer également leur qualité de vie. Dans le mois de juin, lors de la rencontre de haut niveau sur le VIH, le Président Roch Marc Christian Kaboré, président du Conseil national de lutte contre le VIH/Sida et les IST (CNLS/IST), a animé plusieurs panels au siège des Nations Unies à New York.  C’était à la demande du directeur exécutif de l’ONUSIDA qui a voulu que le Burkina Faso partage son expérience en matière de lutte contre le VIH/Sida. Il faut noter que le budget national supporte 42% du budget total de prise en charge  des malades du VIH/Sida.

 

Qu’est-ce qui est fait pour améliorer la prise en charge des dialysés souffrant d’insuffisance rénale ?

 

Beaucoup de choses ont été faites et beaucoup reste toujours à faire pour améliorer la prise en charge des dialysés. Quand nous sommes arrivé à la tête du département, le budget annuel prévoyait une subvention de 900 millions de F CFA par an pour la prise en charge des personnes sous dialyse. Nous avons pu, grâce au leadership du Premier ministre,  porter ce budget à 1 800 000 000 de F CFA. Nous sommes également à pied d’œuvre pour l’ouverture, d’ici la fin de l’année, d’un centre d’hémodialyse à Bobo-Dioulasso. Parallèlement, nous avons le centre de dialyse de l’hôpital national Blaise Compaoré qui est en voie d’être opérationnalisé pour augmenter le nombre de services d’hémodialyse. Dans le cadre du partenariat public/privé, nous avons inscrit des projets pour la construction d’un autre centre de dialyse à Bobo-Dioulasso et à Ouahigouya. Pour réduire les ruptures en consommables et réactifs essentiels pour la dialyse, nous avons confié la gestion des approvisionnements des différents hôpitaux à la CAMEG qui est une structure disposant de l’expérience en la matière.

 

Ya-t-il un contrôle rigoureux qui est fait au niveau des hôpitaux pour l’acquisition des équipements ?

 

Au sein du ministère de la Santé, on a créé la Société générale de l’équipement et de la maintenance biomédicale (SOGEMAB) pour l’acquisition et la maintenance de tout ce qui est matériel biomédical. Je m’attendais à ce que cette structure soit la seule à réaliser les acquisitions et la maintenance du matériel biomédical dans les différentes formations sanitaires. Ceci aurait l’avantage de faire des économies à grandes échelles et surtout de réduire le nombre impressionnant de marques de matériels qui existent dans nos structures sanitaires et pour lesquels, il nous est souvent difficile, voire impossible de disposer d’une expertise locale qualifiée pour leur maintenance. Ceci n’est pas le cas. En conséquence, on se retrouve souvent avec des matériels qui sont achetés à des coûts très élevés et qui, après quelques mois d’utilisation, sont non fonctionnels. C’est pour toutes ces raisons que nous avons décidé d’inclure comme objectif à atteindre lors de la tenue des états généraux des hôpitaux, l’élaboration d’une politique nationale d’équipement et de maintenance du matériel biomédical. 

 

On vous reproche d’avoir fait des nominations de complaisance. Que répondez-vous à vos accusateurs ?

 

Le Premier ministre et le Président du Faso m’ont fait confiance en me confiant la responsabilité de conduire le département de la Santé. Cette confiance a été appuyée par une lettre de mission qui fixe les objectifs à atteindre. Il est de mon devoir et surtout de mon droit de  composer une équipe capable de m’accompagner dans l’atteinte de ces objectifs.  Ceux qui m’ont fait confiance, me jugeront sur la base des résultats que mon équipe et moi-même allons produire. Dans ma stratégie managériale, je ne nomme pas au forceps un collaborateur de mon  Secrétariat général. Cependant, j’ai le devoir (et je veille à cela) de vérifier si ce qu’il fait, me permet d’atteindre les résultats attendus. Certes, certaines personnes peuvent être mécontentes pour n’avoir pas été retenues pour un poste dont elles rêvaient. Je peux comprendre leur état d’esprit. Mais, je pense que leur mécontentement ne doit pas les aveugler au point de vouloir nier les évidences en inventant des incompétents, voire des monstres qui n’existent pas.

 

Avez-vous d’autres commentaires à faire sur le sujet ?

 

Je vous remercie et vous demande de continuer à faire ce que vous abattez comme travail. Vos efforts nous aident à informer le maximum de Burkinabè sur l’action de notre ministère. Vous avez été d’une aide précieuse pour la mise en œuvre des mesures de gratuité des soins dont l’optique est de réduire le poids de la barrière financière à l’accès à des soins de qualité. Je profite rappeler que ces mesures ne sont pas un signe de richesse de l’Etat, mais juste une option pour être en cohérence avec les engagements du Président du Faso de réduire de façon significative la mortalité maternelle et infantile. Nous souhaitons que tous les Burkinabè puissent jouir des fruits de cette solidarité et pour cela, chacun d’entre nous doit observer le minimum d’éthique et d’équité. Je félicite et encourage le personnel sanitaire qui se bat jour et nuit pour sauver des vies malgré les conditions de travail difficiles.

 

Propos recueillis et retranscrits par Valérie TIANHOUN

 

 

 


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