HomeA la uneSORTIE DE SALIF SADIO SUR LA TUERIE EN CASAMANCE : Le mystère reste entier

SORTIE DE SALIF SADIO SUR LA TUERIE EN CASAMANCE : Le mystère reste entier


Salif Sadio, un des principaux chefs de la rébellion en Casamance, s’est enfin exprimé sur la tuerie de 14 hommes, partis chercher du bois dans la forêt protégée de Bayotte, proche de Ziguinchor, par des hommes armés non encore identifiés. Ce triste événement avait provoqué la désolation mais aussi la colère dans tout le Sénégal. A cette occasion, Macky Sall avait décrété un deuil national et promis à ses compatriotes que le gouvernement  mettrait un point d’honneur à retrouver les auteurs du drame et à les châtier à la hauteur de leur forfait. Depuis lors, la Casamance est le théâtre d’opérations de ratissage au quotidien, ponctuées d’arrestations de vingt suspects dont 16 ont été inculpés d’association de malfaiteurs,  assassinat, participation à un mouvement insurrectionnel et détention d’armes sans autorisation.

La sortie de Salif Sadio n’a pas permis de tirer des conclusions définitives

L’on peut se focaliser sur l’un des chefs d’inculpation, à savoir « la participation à un mouvement insurrectionnel », car il suppose que le Mouvement des forces démocratiques de Casamance  (MFDC) pourrait avoir quelque chose à voir dans le massacre des  bûcherons. Eh bien, Salif Sadio vient de balayer du revers de la main cette hypothèse. Et il l’a dit en des termes qui ne souffrent d’aucune ambiguïté : « Le MFDC que je dirige n’est pas impliqué dans cette tuerie, je veux que cela soit clair ». En outre, le chef rebelle a ajouté que ses hommes ont, par le passé,  « tabassé des coupeurs de bois » précieux et même brûlé des camions, mais n’ont « jamais tué ». Enfin, le rebelle casamançais n’a pas manqué de pointer la responsabilité de l’armée sénégalaise, estimant qu’elle était  « bien informée » des trafics de bois et que certains militaires « coupent » et « détruisent » eux-mêmes la forêt. Quelque part, la sortie du chef rebelle vient confirmer l’hypothèse selon laquelle il y aurait un trafic mafieux autour du bois précieux, dans lequel seraient impliqués des militaires sénégalais. Celle lecture, on se rappelle, avait été faite par  bien des observateurs, au lendemain du drame. Mais pour autant, la sortie de Salif Sadio n’a pas permis de tirer des conclusions définitives quant à l’identité des personnes qui ont tué froidement les 14 bûcherons. Le mystère reste donc entier. Seule une enquête digne de ce nom, pourra le dissiper. Le problème est que le gouvernement et les rebelles casamançais ne se font pas confiance. Déjà, ces derniers voient derrière les opérations de ratissage de l’armée sénégalaise sur « leur territoire » en vue de débusquer les auteurs de la tuerie et les arrestations de civils suspects, un prétexte pour casser du rebelle.  De ce fait, Salif Sadio ne se gêne pas de faire dans la menace : «Si les opérations se poursuivent, nous serons obligés de rompre  la trêve et cela peut mettre en cause tout le processus de paix» , a-t-il martelé, en faisant référence à la reprise des négociations en octobre 2017 à Rome, sous l’égide de la communauté catholique de Sant’Egidio.  Après donc des années d’accalmie, le risque est grand que la tuerie dans la forêt protégée de Bayotte, soit l’élément déclencheur de la reprise des hostilités entre l’armée sénégalaise et les rebelles du Mouvement des forces démocratiques de Casamance.

Il faut travailler à préserver la paix en Casamance

Le risque est d’autant plus grand que le MFDC est aujourd’hui divisé en plusieurs fractions. Et parmi elles, il y en  a qui n’ont pas intérêt à fumer le calumet de la paix avec Dakar. Et la raison est bien simple. Les zones de guerre et de non droit représentent de véritables cavernes d’Ali Baba. Toutes  les basses œuvres lucratives  y sont permises. Et la proximité de la Casamance avec ce narco-Etat qu’est la Guinée-Bissau, est un atout pour certains rebelles casamançais pour faire prospérer leurs affaires mafieuses. Cette donne n’est pas étrangère au fait que la crise casamançaise dure depuis 1982. D’ailleurs, dans l’affaire de la tuerie des 14 bûcherons, rien ne permet de dire que des éléments incontrôlés du MFDC  ou encore des éléments dissidents ne sont pas impliqués. Salif Sadio a feint d’ignorer cette possibilité, dans sa sortie. Cela dit, et en attendant que les jours à venir nous situent davantage sur les tenants et les aboutissants de cette macabre affaire, il faut travailler absolument à préserver la paix en Casamance. Car, la tuerie des 14 bûcherons a donné sur un plateau d’or, du grain à moudre à tous ceux qui ont fait de la crise casamançaise un fonds de commerce. Il faut absolument leur enlever toute possibilité de reprendre le dessus sur les hommes et les femmes de bonne volonté qui ont fait de la paix dans cette riche région du Sénégal, leur credo. L’on peut citer à titre d’exemple les membres de la communauté catholique de Sant’Egidio.  L’on peut aussi se permettre de citer le président sénégalais, Macky Sall. Dans son message de fin d’année, en effet, celui-ci avait lancé un appel à la rébellion pour faire « le pas décisif vers la paix définitive, une paix sans vainqueur ni vaincu ». Comme pour dire qu’il ne faisait pas dans la démagogie, Macky Sall avait fait libérer deux membres du Mouvement des forces démocratiques de Casamance. Dans le même registre, l’on peut citer le MFDC qui,  au lendemain de la tuerie, avait réaffirmé son engagement au dialogue, assurant qu’il ne se laisserait  « pas distraire ni désorienter par les fossoyeurs de la paix ». Ces messages de paix sont à encourager. Il faut  seulement souhaiter qu’ils ne soient pas du « blaguer tuer » pour reprendre l’expression de l’artiste ivoirien Tiken Jah Fakoly. Le défi est d’autant plus grand à relever impérativement que le Sénégal a besoin d’une Casamance pacifiée pour s’attaquer aux autres défis qui se posent à lui : celui du développement et celui du terrorisme qui rôde à ses portes.

« Le Pays »


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