HomeA la uneSOUDAN : Peut-on croire à la rupture promise par le Général Burhan ?

SOUDAN : Peut-on croire à la rupture promise par le Général Burhan ?


La gestion de l’après-Béchir pose problème aujourd’hui au Soudan. En effet, l’opposition et l’association des professionnels soudanais, fer de lance de la contestation, ne décolèrent pas de voir l’armée jouer les premiers rôles dans la Transition. Ce point de vue a été clairement exprimé dès le lendemain de la destitution de Béchir par l’armée. En clair, l’opposition et l’association des professionnels soudanais persistent et signent dans leur volonté de ne pas permettre que le changement, pour lequel beaucoup de leurs camarades ont perdu la vie, accouche du Béchir sans Béchir. Ainsi, ont-ils exigé et obtenu le départ de Awad Ibn Awf, qui dirigait le Soudan depuis la destitution de Omar El Béchir. A cela, il faut ajouter la démission du patron du puissant service de renseignement soudanais, Niss Salah Gosh, qui a dirigé, il faut le rappeler, la répression sanglante du mouvement de contestation ces derniers mois.

Les acteurs majeurs du mouvement populaire ont raison de ne pas accorder un blanc seing au nouvel homme fort

Désormais, le nouvel homme fort s’appelle Abdel Fattah Abdelrahman Burhan. Son avènement à la tête de la Transition militaire semble ne pas irriter les croquants, puisque cela a été accueilli par des scènes de joie des manifestants à Khartoum. On dit de lui qu’il est consensuel et qu’il est susceptible de mettre les godasses dans les plats du système Béchir. En tout cas, le principal intéressé n’a pas eu besoin de beaucoup de temps pour annoncer les couleurs. En effet, quelques heures après avoir été porté à la tête du conseil militaire chargé de piloter la Transition, l’homme a fait une série d’annonces parmi lesquelles l’on peut retenir, en premier lieu, la rupture avec le régime d’Omar El Béchir. Il a aussi promis de traduire en justice les personnes responsables de la répression sauvage qui s’est abattue sur les acteurs de la contestation. Pour établir la confiance entre lui et les croquants, il a décidé de la libération des manifestants qui avaient été embastillés et a ouvert un dialogue avec les partis politiques et l’association des professionnels soudanais, pour examiner comment gérer la période transitoire. Ces annonces sont des signaux allant dans le sens du changement, mais peut-on pour autant croire véritablement à la rupture promise urbi et orbi par Burhan. L’opposition n’en est pas convaincue. Pour Rechid Saeed Yacoub, l’un des porte-parole du mouvement de la société civile, le vrai test est la mise en application de ces engagements. Pour préciser davantage son idée, il a laissé entendre ceci : « Pour le moment, ce ne sont que des promesses. On a des craintes que le conseil militaire essaie de gagner du temps pour essayer de grignoter le plus de pouvoir ». Ce scepticisme est partagé par l’ensemble des acteurs majeurs du mouvement populaire qui a contraint Béchir à rendre le tablier. Et ils ont parfaitement raison de ne pas accorder un blanc seing au nouvel homme fort bien qu’il ait juré, la main sur le cœur, qu’il est disposé à « éliminer les racines du système Béchir ». Les raisons qui peuvent justifier la prudence des opposants sont les suivantes : premièrement, le nouvel homme fort a été nommé à la tête du conseil militaire de transition par la hiérarchie militaire. Or, l’on sait que celle-ci a été façonnée par Omar El Béchir.

Béchir est parti mais son système est resté intact

Certes, ce dernier est parti, mais bien de ceux qui l’ont accompagné tout au long de ses 30 ans de dictature, sont toujours tapis dans la haute hiérarchie militaire et dans les services de renseignement. L’on peut donc légitimement se demander si le nouvel homme fort peut s’émanciper de ces gens-là au point d’avoir les coudées franches pour traduire en actes concrets ces engagements. On peut en douter, car l’armée ne se laissera pas faire au risque de se faire hara kiri. Deuxièmement, si l’armée avait voulu d’une rupture radicale avec l’ordre ancien, elle n’aurait pas décidé unilatéralement de la mise en place d’un conseil militaire chargé de la conduite des affaires de l’Etat pendant la période transitoire. Troisièmement, le nouvel homme fort du Soudan lui-même est un pur produit de la gouvernance Béchir, pour ne pas dire qu’il en a été au cœur. De ce point de vue, l’on ne voit pas par quelle magie il peut survivre à sa volonté d’éliminer les racines du régime déchu, puisque lui même est une de ces racines et pas des moindres.La dernière raison qui peut expliquer la circonspection de l’opposition et de l’association des professionnels du Soudan face aux promesses annoncées par le nouvel homme fort, peut être résumée ainsi qu’il suit. La promesse du Général Burhan de céder le pouvoir aux civils après la période de Transition, n’engage que ceux qui y croient. En effet, il n’est pas rare de voir en Afrique des militaires qui ont fait ce genre de profession de foi et qui ont fait par la suite un rétropédalage pour s’accrocher à leur poste. Le cas de l’ancien président ivoirien, le Général Robert Guei, peut être évoqué pour illustrer cela. Venu au pouvoir, en effet, pour « balayer la maison » et se retirer, il a fini par troquer le treillis contre la veste en se présentant à la présidentielle. Le Soudan n’est pas à l’abri d’un tel scénario avec le Général Burhan. N’ayons donc pas peur d’appeler le chat par son nom. La révolution du peuple soudanais a été confisquée par l’armée. On peut aussi soutenir la thèse du coup d’Etat militaire, comme l’ont déjà fait l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE). Ce point de vue a été également partagé par Idriss Deby, à la différence que ce dernier a été obligé, peut-on dire, de soutenir cette thèse pour que le cas du Soudan ne fasse pas des émules au Tchad. Cela dit, Omar El Béchir est parti mais son système est resté intact. Mieux, il a su choisir des hommes pour lui garantir une retraite paisible. La preuve est que les responsables militaires qui ont négocié son départ ont déjà affirmé haut et fort qu’il ne sera pas remis à la CPI (Cour pénale internationale). En tout cas, on ne peut pas donner le bon Dieu sans confession au nouvel homme fort du Soudan, car ce serait accompagner le voleur pour transporter son butin. Il revient donc à l’opposition et à l’association des professionnels du Soudan de ne pas abandonner la proie pour l’ombre. Pour ce faire, ils ne doivent pas tomber dans le piège que les militaires putschistes leur ont tendu en leur proposant un gouvernement exclusivement constitué de civils. Car, que vaut un tel gouvernement quand on sait qu’il a été conçu pour serrer les fesses devant le conseil de transition, qui, lui, est exclusivement composé de militaires et qui détient, sacrilège des sacrilèges, la réalité du pouvoir aujourd’hui au Soudan ?

« Le Pays »


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