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SYSTEME DE REMUNERATION DES AGENTS PUBLICS : Les appréhensions d’un juriste


Ceci est la contribution d’un juriste dans la mise en œuvre des recommandations issues de la Conférence sur le système de rémunération des agents publics. Il fait quelques remarques sur la voie organique choisie pour l’adoption des principes fondamentaux de la Fonction publique. Lisez !

Le gouvernement burkinabè a initié une conférence sur le système de rémunération des agents publics, qui s’est tenue du 12 au 14 juin 2018. La conférence a formulé des recommandations visant à instaurer une équité dans la rémunération des agents publics. Parmi les recommandations, figurait l’adoption d’une loi organique portant principes fondamentaux applicables à l’ensemble des emplois et agents publics. Pour la mise en œuvre de cette recommandation, il a été initié un projet de loi organique portant principes fondamentaux de la Fonction publique. Ce projet de loi organique a passé le cap du comité technique de vérification des avant-projets de loi et il est soumis à l’appréciation officielle du gouvernement. Notre propos est de nous interroger sur la pertinence juridique de la voie choisie. En d’autres termes, la voie de la législation organique est-elle, au regard du droit en vigueur au Burkina Faso, la voie adaptée pour mener à terme le processus d’adoption des principes fondamentaux applicables à l’ensemble des emplois et agents publics ? L’objectif de notre démarche est d’apporter notre contribution sur la forme à emprunter par la réforme. Sans préjuger du contenu du projet d’exposé des motifs qui doit accompagner le projet de loi, nous nous contenterons de soutenir notre opinion qui consiste en l’affirmation d’une réserve sur le choix de la voie organique, au regard de l’ordonnancement constitutionnel en vigueur. Nous étayerons notre propos par deux assertions : (I) la Constitution a limitativement énuméré les matières organiques ; (II) la violation d’une loi organique par une autre loi organique constitue une violation médiate de la Constitution.

I- La Constitution a limitativement énuméré les matières organiques

Nous partirons du constat tiré de l’ordonnancement constitutionnel, à savoir la Constitution et les décisions du Conseil constitutionnel (CC) burkinabè (A), pour aboutir aux conséquences juridiques à tirer du constat (B).

A) Le constat tiré de l’ordonnancement constitutionnel

Chaque fois que le constituant a entendu faire régir une matière par une loi organique, il le mentionnait expressément. Ainsi en est-il des juridictions supérieures (article 127 de la Constitution), du Conseil supérieur de la magistrature (article 133), du statut de la Magistrature (article 135), du Conseil économique et social (article 141), du Conseil constitutionnel (article 160), du Médiateur du Faso (article 160.2), du Conseil supérieur de la communication (article 160.4) et de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (article 160.6).
Le constituant n’ayant pas prévu que les principes fondamentaux de la Fonction publique soient régis par une loi organique, toute tentative visant à utiliser la voie organique n’en ferait pas de cette matière plus qu’une loi ordinaire, quand bien même elle serait adoptée suivant la procédure d’adoption de la loi organique.
Cette lecture est du reste celle adoptée par le CC.
Ainsi, dans sa décision n° 2003-002/CC portant sur la conformité à la Constitution de la loi n°006-2003/AN du 24 janvier portant loi organique relative aux lois de finances, censée modifiée l’ordonnance n°69-47/PRES/MFC du 18 septembre 1969 portant loi organique relative aux lois de finances, le CC relève que les matières financière et budgétaire « n’entrent pas dans le champ d’application actuel de la loi organique selon la Constitution du 2 juin 1991 ». Par conséquent, il a déclaré que la loi organique relative aux lois de finances n’en est pas une ; il s’agit d’une loi ordinaire. Pour le CC, cette loi ordinaire a pu valablement modifier l’ordonnance n°69-47 « au regard de la nouvelle norme constitutionnelle rendant inutile le recours au parallélisme des formes ».
Par ailleurs, dans sa décision n°2005-002/CC relative au contrôle de constitutionnalité de la loi organique n°028-2005/AN du 14 juin 2005 portant création, composition, attributions et fonctionnement du Conseil supérieur de la communication, le CC émet également une réserve d’interprétation en rendant une décision d’annulation partielle de la loi à lui soumise, avec déclaration de séparabilité. Il « réserve la possibilité de promulguer la loi concernée à la condition sous-jacente qu’elle le soit sous la forme d’une simple loi ordinaire et non d’une loi organique ». En rappel, les dispositions constitutionnelles d’alors ne rangeaient pas le Conseil supérieur de la communication parmi les institutions devant être régies par voie organique.
La décision n°2005-002/CC du CC est une suite logique de sa décision n°2003-002 ; elles autorisent à parler d’une jurisprudence constante du CC en matière de loi organique. Cette jurisprudence peut se résumer en ces termes : interdiction est faite au législateur organique de créer des institutions ou de faire régir des institutions par une loi organique alors que la Constitution n’a pas prévu de les régir par une telle loi. En effet, pour le CC, le caractère organique d’une loi doit être conféré par la Constitution (Cf. décision n°2005-002/CC sur la conformité à la Constitution du 2 juin 1991 de la loi organique n°028-2005/AN du 14 juin 2005 portant création, composition, attributions et fonctionnement du Conseil supérieur de la communication). Dans la mesure où la supposée « loi organique portant principes fondamentaux de la Fonction publique » va devoir subir le passage obligé devant le CC, celui-ci ne manquera pas de réaffirmer sa jurisprudence en matière de loi organique, sauf cas de revirement jurisprudentiel. Un tel revirement contredirait du reste l’article 97, alinéa 2 de la Constitution qui dispose que : « La loi à laquelle la Constitution confère le caractère organique est une délibération du Parlement ayant pour objet l’organisation ou le fonctionnement des institutions. Elle est votée à la majorité absolue et promulguée après déclaration de sa conformité avec la Constitution par le Conseil constitutionnel. »  Cependant, le CC sème le doute concernant sa jurisprudence « loi organique » dans sa décision n° 2017-022/CC sur la conformité à la Constitution de la loi organique n° 043-2017/AN du 4 juillet 2017 portant modification de la loi organique n°20/95/ADP du 16 mai 1995 portant composition et fonctionnement de la Haute cour de justice et procédure applicable devant elle, ensemble ses modificatifs, en déclarant la constitutionnalité de la loi sans la réserve d’interprétation issue de sa décision n°2005-002/CC donnant la possibilité de « promulguer la loi concernée à la condition sous-jacente qu’elle le soit sous la forme d’une simple loi ordinaire et non d’une loi organique ». En effet, l’article 137, alinéa 2 de la Constitution dispose relativement à la Haute cour de justice que « la loi fixe sa composition, les règles de son fonctionnement et la procédure applicable devant elle ». Si l’on s’en tient donc à la Constitution, la Haute cour de justice ne fait pas partie des institutions devant être régies par loi organique, même si depuis le 16 mai 1995 c’est une loi organique votée qui régit la Haute cour de justice, même si la Chambre constitutionnelle d’alors avait validé cette méprise. On s’imaginait pourtant qu’au détour d’une modification de cette loi, le CC allait appliquer sa jurisprudence « loi organique », mais ce ne fut pas le cas. Cela nous conduit à considérer qu’il s’agit d’une décision de circonstance ou également d’une méprise. C’est pourquoi, nous estimons que juridiquement et logiquement, la loi portant principes fondamentaux de la Fonction publique devrait être déclarée ordinaire si elle venait à être adoptée comme loi organique. La portée juridique qu’on entendait alors imprimer à cette loi ne serait pas atteinte. En effet, elle ne pourra pas primer sans restriction sur les statuts régis par des lois ordinaires et pas du tout sur les statuts régis par des lois organiques, en l’occurrence le statut de la Magistrature régi par la loi organique n° 050-2015/CNT du 25 août 2015.

B) Les conséquences juridiques à tirer du constat

Les conséquences juridiques à tirer de ce constat sont notamment les suivantes : réviser la Constitution du 2 juin 1991 pour inscrire les principes fondamentaux de la Fonction publique comme matière devant être régie par une loi organique si l’on tient à faire adopter une loi organique dans cette matière dans les brefs délais ou faire inscrire une telle disposition dans le projet de Constitution de la Ve République et attendre que cette nouvelle constitution soit adoptée ou encore inscrire directement les principes fondamentaux de la Fonction publique dans la Constitution actuelle ou à venir.
Si l’on opte pour la solution de la loi organique, il va falloir éviter un écueil : la violation d’une autre loi organique n’ayant pas le même objet.

II- La violation d’une loi organique par une autre loi organique constitue une violation médiate de la Constitution

Dans cette partie également, il sera question du constat tiré de l’ordonnancement constitutionnel (A) et des conséquences juridiques y afférentes (B).

A) Le constat tiré de l’ordonnancement constitutionnel

Si par extraordinaire le CC faisait un revirement jurisprudentiel en élargissant le champ de la loi organique ou si l’on faisait figurer dans la Constitution que les principes fondamentaux de la Fonction publique sont régis par une loi organique, cette nouvelle loi organique ne devrait pas contredire une loi organique en vigueur n’ayant pas le même objet sous peine d’être déclarée contraire à la Constitution.
Cette observation a un intérêt majeur dans un système de réforme qui entend prendre en compte certains statuts autonomes et en particulier le statut de la Magistrature, régi par une loi organique. Si la nouvelle loi organique contrevient à une loi organique existante, le CC appliquera sa jurisprudence consistant à dire qu’il y a une violation médiate de la Constitution parce qu’ « il est de principe, que toute violation d’une loi organique par d’autres dispositions législatives, même de nature organique et n’ayant pas le même objet, est une violation de l’article de la Constitution qui renvoie à cette loi organique » (Cf. 8e considérant de la décision n° 2007-03/CC relative au contrôle de constitutionnalité de la loi organique n° 033-2006/AN du 21 décembre 2006 portant modification de la loi organique n° 014-2000/AN du 16 mai 2000 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la Cour des comptes et procédure applicable devant elle). Le CC a eu à appliquer plusieurs fois cette jurisprudence. C’est le cas de sa décision n° 2011-001/CC sur la conformité à la Constitution de la loi organique n° 047-2010/AN du 16 décembre 2010 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la Cour des comptes et procédure applicable devant elle, rendue le 24 février 2011 ; c’est également le cas de sa décision n° 2016-09/CC sur la conformité à la Constitution de la loi organique n° 017-2016/AN du 26 mai 2016 portant composition, attributions, organisation et fonctionnement de la Cour des comptes et procédure applicable devant elle, rendue le 12 juillet 2016.

B) Les conséquences juridiques à tirer du constat

La conséquence juridique à retenir de cet état de fait serait qu’une loi organique portant sur les principes fondamentaux de la Fonction publique ne saurait prévaloir sur une autre loi organique en cas de contradiction avec cette dernière si elles n’ont pas le même objet. La question se poserait alors de savoir si la loi organique portant principes fondamentaux de la Fonction publique  et la loi organique portant statut de la Magistrature ont un même objet. Il appartiendra au CC d’y répondre. Mais a priori, nous estimons que ces deux lois organiques n’ont pas le même objet ; d’où la nécessité, le temps venu, que ces lois soient élaborées en symbiose pour éviter toute contradiction entre elles. Dans le cas contraire, le CC pourrait appliquer sa jurisprudence qui dit que toute violation d’une loi organique par d’autres dispositions législatives, même de nature organique et n’ayant pas le même objet, est une violation de l’article de la Constitution qui renvoie à cette loi organique.

Conclusion

En clair et pour faire bref, la loi organique projetée, portant principes fondamentaux de la Fonction publique ne cadre pas avec l’ordonnancement constitutionnel en vigueur du Burkina Faso. Pour une réforme cohérente avec cet ordonnancement constitutionnel, bien sûr si l’on ne veut pas faire fi de la logique juridique et si l’on tient à ce que les principes fondamentaux de la Fonction publique s’imposent à tous les statuts des agents publics, il y a lieu, soit de prévoir dans la Constitution une disposition disant que les principes fondamentaux de la Fonction publique sont régis par une loi organique (laquelle loi organique sera par la suite adoptée), soit d’y inscrire directement ces principes fondamentaux qui s’imposeront dès lors sans ambages à tous les statuts d’agents publics.
Dans ce contexte, le rôle du CC apparaît déterminant. Certes, il est admis que le juge constitutionnel n’est pas lié par sa propre jurisprudence, mais il ne saurait prendre des décisions dénuées de toute logique ou manifestement contraires à la Constitution au risque de s’écarter de son office qui est de dire le droit.

P. Alain YAMEOGO
Juriste-Conseiller en Etudes et Analyses
Doctorant en Droit public
Adresse : [email protected]


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