ADAMA SERE, SG DE LA FEDERATION DES VERTS D’AFRIQUE: « Le jeu politique a été dénaturé dans notre pays »
Cette semaine, notre rubrique « Mardi politique » s’est intéressée au président de Rassemblement des écologistes au Burkina Faso, par ailleurs Secrétaire général de la Fédération des verts d’Afrique. Avec Adama Séré, directeur de la qualité et de l’audit interne à la SONATUR, puisque c’est de lui qu’il s’agit, il a été question, entre autres, du coup d’Etat mené par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) contre le régime de Roch Kaboré, de la durée de la transition et de la mise en place des fonds verts.
Le Pays : Que devient le parti des écologistes ?
Le Rassemblement des écologistes du Burkina est comme tous les autres partis. Les élections sont finies. Maintenant, le parti essaye de travailler au niveau des différentes provinces pour maintenir sa base puisque, comme vous le savez, les élections ne nous ont pas été favorables. Mais au-delà du processus électoral, les Verts, dans le monde entier, mènent un autre combat qui est celui de la conscientisation des communautés et des populations par rapport aux enjeux de l’heure, et c’est ce travail que nous faisons pour le moment.
Comment avez-vous accueilli le coup de d’Etat qui a mis fin au régime du Roch Marc Christian Kaboré ?
Comme pour tout parti politique engagé dans un processus démocratique, un coup d’Etat n’est jamais le bienvenu. Donc, nous condamnons pour le principe. En plus, en tant qu’écologiste prônant la non-violence, le jeu démocratique ne doit pas se mener par le biais des coups d’Etat. Comme je l’ai dit, c’est une condamnation de principe. Mais il faut avouer que dans certains contextes, ce sont des choses qu’on peut tolérer. Parce que quand ça ne va pas, très souvent, il faut quand même qu’il y ait une porte de sortie. Et nous, nous pensons que ce coup d’Etat peut être interprété ainsi.
Que devient Ram Ouédraogo, votre président d’honneur ?
Nous, les écologistes, nous avons une façon de fonctionner. Ram Ouédraogo a rempli ses mandats. Donc, il a cédé sa place. Il a travaillé au niveau des Verts mondiaux pour porter le plaidoyer des Verts à l’ensemble du monde. Maintenant, il a pris une retraite paisible. Donc, il va très bien.
Seriez-vous prêt à participer à un gouvernement de transition si on vous faisait appel ?
Comme je l’ai dit, le processus dans lequel nous (le peuple burkinabè) sommes engagés peut être une opportunité pour le Burkina Faso. Il faut voir au-delà des partis. Je pense qu’il faut que ce soit un processus inclusif qui intègre le maximum de personnes qui peuvent porter la voix pour qu’on puisse refonder ensemble la Nation. Si on nous fait appel, pourquoi pas ? Mais ce n’est pas du tout une priorité pour nous. Parce que nous sommes autant de personnes comme tous les autres Burkinabè. Donc, toute personne qui peut apporter une contribution pour qu’on puisse aller de l’avant, est la bienvenue.
Quel devrait être le format et la durée de la transition pour vous ?
Pour fixer une durée pour un travail, il faut connaître le contenu du travail. Ce qui est le plus important, pour nous, nous pensons qu’il va falloir d’abord définir le contenu. Dès que le contenu sera défini, on pourra ensemble regarder quel temps on pourrait mettre pour exécuter le contenu. C’est à partir de là qu’on pourrait définir un délai. C’est vrai que nous sommes talonnés par la communauté internationale, mais il faut qu’on arrive à mettre tout cela ensemble, tout en privilégiant l’intérêt supérieur de la Nation.
Avec le recul, pensez-vous que Roch Kaboré aurait dû démissionner avant d’être éconduit du pouvoir ?
Non, pas qu’il aurait dû démissionner. Peut-être qu’il aurait pu changer certaines choses un peu plus tôt. Je pense que cela aurait pu nous éviter cette situation. Parce que le président Roch Kaboré, comme tout le monde le dit, est une personne d’un certain niveau qui a apporté sa contribution à l’avancée du pays. Mais il faut reconnaître qu’il y a eu des déviances qu’il aurait fallu corriger.
A quoi faites-vous référence quand vous parlez de déviances ?
Déjà, la première chose qui vient à l’esprit, et cela a été constaté lors de la proclamation du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), c’est la question sécuritaire. Parce que quand vous êtes à la tête d’une nation, et que vous avez juré de préserver l’intégrité de cette nation et qu’à un moment donné, on constate qu’effectivement, ce n’est pas le cas, cela pose problème. Cela a eu des effets néfastes, notamment le déplacement des populations. On avait le sentiment que nous n’arrivions pas à proposer une riposte à ce problème. Et cela est un problème fondamental. Je pense que cela a beaucoup joué. Il y a eu aussi des problèmes comme la corruption. Je pense que le président Roch Kaboré en avait pris conscience. Il avait même promis une « opération mains propres ». Malheureusement, tout cela a tardé à venir. Je pense que c’est tout ceci qui a favorisé cette situation.
« Le MPSR pour refonder la Nation, devrait nous permettre de réfléchir à un système électoral qui permette la vulgarisation des idées et non élire des gens par rapport à l’argent »
L’écologie politique a des difficultés à s’enraciner au Burkina Faso. Qu’est-ce qui explique cela ?
C’est vrai, l’écologie politique a des difficultés à s’enraciner. Nous, nous voyons le problème à deux niveaux. Avant d’en vouloir aux autres, il faut voir à notre niveau d’abord. Nous pensons qu’à notre niveau, nous ne sommes pas suffisamment organisés pour pouvoir implémenter cette notion. Et à ce niveau-là, nous menons des réflexions pour voir dans quelle mesure nous pouvons nous réorganiser pour que la population puisse véritablement s’approprier ce concept. Parce que, comme vous le voyez, tout le monde est unanime à dire aujourd’hui que l’écologie est une nécessité fondamentale pour la survie de nos nations. Vous le voyez à travers le programme de tous les partis politiques. Les gens essayent de faire des ouvertures par rapport à cela en mettant l’accent sur l’environnement, le réchauffement climatique, etc. Mais nous disons que l’écologie va au-delà de cela. Donc, déjà, il faut que nous nous revoyions à notre niveau, c’est-à-dire notre propre organisation pour essayer d’implémenter cette idéologie qui est véritablement une nécessité pour les nations. Ensuite, au niveau national, il faut dire que le jeu politique a été dénaturé dans notre pays depuis un certain moment. C’est le « dieu argent » qui est mis en avant pour avoir les gens. Ce qui fait que le jeu politique a été biaisé. Lorsque vous partez vers quelqu’un et vous lui portez une idée, il vous écoute mais à la fin, il s’attend à recevoir quelque chose. Et dès qu’il n’a pas cela, il ne va plus dans votre orientation. Et nous, nous pensons très sincèrement que cette opportunité qui nous est donnée à travers le MPSR pour refonder la Nation, devrait nous permettre de réfléchir à un système électoral qui permette la vulgarisation des idées et non élire des gens par rapport à l’argent. A ce niveau-là aussi, il faut dire quelque part que le peuple est interpellé. C’est vrai qu’il y a des situations où les uns et les autres mettent en avant l’argent, mais nous devons arriver, à la fin de ce processus de refondation, à changer cela pour qu’en aucun cas, l’argent ne puisse être au-devant des choses.
Que pensez-vous de la mise en place des fonds verts ?
La mise en place des fonds verts est une opportunité. Une opportunité qui n’est pas très bien exploitée au niveau de notre pays pour qu’on puisse bénéficier de certains financements pour mettre en œuvre des projets visibles pour le bien des communautés. Nous, en tant que partis politiques, nous essayons de faire notre part de chemin pour que les gens puissent s’approprier ces concepts. Mais on pourrait faire beaucoup mieux pour qu’au niveau des communautés, à travers des associations, des organismes et des ONG, ce fonds puisse être implémenté. Du reste, au Burkina Faso, il y en a qui en ont bénéficié et qui essaient de mettre cela en œuvre pour le bien des communautés.
Pensez-vous que la junte peut ou doit ouvrir le front sur le foncier ?
Pas seulement sur le foncier, car il y a beaucoup d’éléments à refonder. C’est vrai qu’aujourd’hui, la problématique du foncier est posée depuis l’adoption de la loi sur la promotion immobilière qui a fait une ouverture que je qualifierai de liberticide, qui fait que pratiquement, toutes les terres sont accaparées. On n’a pas su maîtriser le processus. Du reste, le ministre Bénéwendé Stanislas Sankara était sur une bonne piste pour réformer tout cela. Nous pensons que c’est un processus à poursuivre pour ne pas que des gens prennent les terres alors qu’ils n’ont pas les moyens de réaliser les projets qu’ils ont proposés. Il faut effectivement avoir un œil ouvert sur ça parce que, comme d’aucuns l’ont dit, si nous ne faisons pas attention, le foncier risque de nous exploser entre les mains et ce ne serait pas bien.
« On ne pourra pas tout faire pendant cette période de transition. Il faut aller à l’essentiel. Et l’essentiel, c’est de refonder la Nation »
Qu’auriez-vous aimé ajouter que l’on n’a pas pu aborder au cours de cet entretien ?
Concernant la situation actuelle, il faudrait que le processus de refondation sur lequel nous sommes, soit inclusif. Parce que dès qu’on met des gens de côté, cela finit forcément par nous rattraper. Nous avons vécu déjà une transition. Donc, il faut qu’on arrive à faire l’état des lieux, pour pouvoir tirer des enseignements pouvant nous permettre de nous projeter. Deuxièmement, on ne pourra pas tout faire pendant cette période de transition. Il faut aller à l’essentiel. Et l’essentiel, c’est de refonder la Nation. C’est de ressortir avec une Constitution qui prendra en compte l’ensemble du peuple. Je me base sur le système électoral pour dire cela. Ce système électoral est inique et fait qu’il y a une catégorie de personnes qui bénéficient des privilèges de l’Etat et la majorité est laissée à elle-même. Il faut qu’on arrive à travailler tous ces mécanismes de sorte qu’à la fin, ce soit véritablement le peuple qui gagne. Autre chose : il faut que ceux qui vont conduire l’Etat plus tard, sortent de cette logique de se servir et non servir. Il faut qu’on arrive à ce que le pouvoir qu’on va mettre en place, puisse non seulement s’équilibrer, mais aussi s’auto-contrôler. C’est très important, parce qu’il faut que l’Exécutif sache qu’il n’est pas au-dessus de tout le monde. Cela ne peut se faire que s’il y a un équilibre entre le Judiciaire et l’Exécutif. Il faudrait aussi que la Justice joue son rôle parce que dans un système démocratique, lorsque la Justice ne joue pas entièrement son rôle, il y a des problèmes. Donc, il faut regarder quelles sont les difficultés qu’a notre Justice pour véritablement porter son pouvoir. En tout cas, il y a des choses qu’on aurait pu éviter si la Justice elle-même avait anticipé certaines choses. Il faut qu’on se regarde dans le miroir pour se dire la vérité afin de pouvoir refonder notre nation.
Propos recueillis par Rahinatou SANON