LEONCE KONE, A PROPOS DES TOURNEES REGIONALES DE EDDIE KOMBOÏGO « Je ne vois pas trop l’utilité de m’associer à cette forme de célébration du retour de “l’enfant prodigue ”»
L’ex-parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), semble retrouver un certain dynamisme avec les mobilisations que l’on constate lors des tournées régionales de son président, Eddie Komboïgo. Mais cela semble aussi mal cacher des dissensions au sein de cette formation politique quant à la façon de faire de son premier responsable. A travers cette interview qu’il nous a accordée dans le cadre de « Mardi Politique », Léonce Koné, président de la commission ad hoc du CDP, revient sur des aspects du fonctionnement du parti, qui laissent croire que ce n’est pas non plus la sérénité au sein de la formation politique de l’ancien président Blaise Compaoré.
« Le Pays » : Avez-vous démissionné du CDP comme l’annonce une dépêche d’un site d’information ?
Léonce Koné : Non, je n’ai pas démissionné du CDP. C’est une fausse information qui n’appelle pas d’autre commentaire.
Peut-on dire que le calme est revenu dans la maison CDP, après la tempête autour de la question du retour de Eddie Komboïgo à la tête du parti ?
La controverse au sujet de la réinstallation de Eddie Komboïgo comme président en exercice du CDP, a été tranchée par le Bureau politique national du parti, à l’issue de sa session du 25 février 2018. Cette décision a été prise par le Bureau politique, dans le but de préserver l’unité et la cohésion du parti, en attendant que le congrès ordinaire, qui doit se tenir les 5 et 6 mai prochains, statue sur la désignation des membres de la direction du CDP, à commencer par celle de son premier responsable. Cette décision est intervenue après que, suivant la recommandation du Bureau exécutif, Eddie Komboïgo a fait amende honorable au sujet du comportement qu’il a observé à l’égard du parti depuis septembre 2015, date à laquelle il s’est mis volontairement en retrait de la gestion du CDP, sans en aviser les instances du parti. C’était un manquement et vous pensez bien que si cela n’avait pas posé problème, son retour n’aurait soulevé aucune difficulté. Quoi qu’il en soit, cet épisode est clos, grâce à la sagesse et à la mansuétude du Bureau politique qui a préféré éviter une crise au parti, en regardant vers l’avenir. En effet, l’autre décision majeure qui a été prise par le Bureau politique, est la convocation du prochain congrès ordinaire du parti pour les 5 et 6 mai 2018. Ce congrès, comme c’est sa vocation statutaire, procèdera au renouvellement de la direction du parti.
Alors, comment se prépare-t-il ?
Je crois pouvoir dire qu’il se prépare dans de bonnes conditions, jusqu’à présent. Un comité d’organisation a été mis sur pied, avec à sa tête le député Blaise Sawadogo qui est le président du groupe parlementaire CDP à l’Assemblée nationale. Les différentes commissions de préparation du congrès sont à pied d’œuvre et, comme à l’accoutumée, les sections provinciales sont mises à contribution à travers la communication de réflexions et de suggestions pour améliorer la marche du parti. Donc, ce moment démocratique de la vie du parti se présente sous de bons augures. Cela n’exclut pas le débat, la confrontation des idées et des choix politiques qui participent à l’essence de la vie démocratique.
Y aura-t-il un candidat de consensus pour la présidence ?
Comme dans tout processus démocratique, les militants qui souhaiteront postuler à la présidence du parti, auront la liberté de le faire. Nous ne sommes pas dans la situation où le CDP aurait un leader naturel, investi d’une vocation prédestinée pour diriger le parti, en dehors de la fidélité au président Blaise Compaoré, dans laquelle se reconnaissent tous les militants de notre formation. A tout le moins, il y aura, sinon qu’il y a déjà, à ma connaissance, plusieurs candidats à la candidature. Il est vraisemblable qu’une procédure sera définie pour permettre à un organe constitué par la direction du parti, de départager les postulants, en vue de proposer à l’approbation du congrès, un candidat supposé consensuel. La pratique du parti est de rechercher ce type de consensus aléatoire, qui est manifestement sujet à caution. Mais c’est ainsi que les choses fonctionnent et peut-être qu’il vaut mieux se satisfaire pour l’instant de ce pis-aller démocratique, pour ne pas exacerber les divisions et tous les travers que pourrait entraîner une compétition ouverte soumise à l’arbitrage direct des congressistes. Néanmoins, j’ai bon espoir qu’il sera possible, à l’avenir, d’introduire davantage de démocratie dans ce processus, en donnant à un collège vraiment représentatif des militants, la latitude de choisir entre plusieurs candidats. Ce pourrait être le congrès lui-même, ou organe sui generis désigné par ses soins. Mais nous n’en sommes pas là pour l’instant.
Avez-vous quelques noms de candidats à la candidature ? Il se susurre que l’ancien Premier ministre, Kadré Désiré Ouédraogo, est dans les starting-blocks. Vous confirmez ?
C’est la première fois que j’entends citer le nom du Premier ministre, Kadré Désiré Ouédraogo, comme éventuel candidat à la présidence du CDP. Je ne sais pas d’où vous tirez cette information, mais elle est totalement dénuée de fondement. A ma connaissance, et j’ai la chance de le connaître, il n’a jamais manifesté la moindre intention de s’immiscer dans tout ce qui a trait à la gestion du CDP. En revanche, comme je vous l’ai dit, nous ne manquons pas de candidats potentiels de valeur. Je n’ai aucun mandat pour proclamer les candidatures, mais les noms dont j’entends parler le plus sont ceux de Jean Kouldiati, Boureima Badini, Juliette Bonkoungou et Achille Tapsoba, outre évidemment la candidature de Eddie Komboïgo. Il est possible que nous ayons d’autres postulants, parce que nous sommes un parti libre et démocratique. Lorsqu’ils l’estimeront opportun, ceux qui voudront se porter candidats pour cette responsabilité, se déclareront auprès de l’instance compétente.
En tant que président de la commission ad hoc, où en êtes-vous avec la mise en place des structures du parti ?
Le renouvellement des sections provinciales du CDP est pratiquement achevé, ou en voie de l’être. 44 des 45 provinces du pays disposent d’une représentation adéquate et opérationnelle du CDP. J’ai bon espoir que nous serons dûment représentés dans toutes les provinces, à la date du congrès. Le travail continue avec la mise en place des organes des départements, des secteurs urbains et des villages. Nous avons retrouvé l’envergure d’un parti de masse, présent et actif sur toute l’entendue du territoire national. Et le principal mérite en revient aux militants eux-mêmes, qui ont été les véritables acteurs de ce redressement.
Pourtant, il semble que certaines divergences subsistent concernant, notamment les structures du Houet et du Kadiogo.
Il n’est jamais simple de renouveler les instances d’un grand parti, ni même d’une formation de moindre envergure. La politique est le terrain de la rivalité, du choc des ambitions personnelles. D’une manière générale, je pense que cette opération de renouvellement a suscité globalement moins de divergences que celles qui ont été organisées par le passé. Principalement parce qu’il me semble que nous avons accordé une plus grande place au consensus et au choix démocratique des militants de base, à l’échelon local. Au demeurant, les compétitions qui se sont manifestées, sont une bonne chose. Elles montrent le regain d’intérêt des militants pour la vie du parti et l’accroissement de sa vitalité. Cela dit, nous sommes un parti démocratique. Une fois que les choix ont été opérés, dans des conditions régulières, démocratiques, tout le monde doit s’en accommoder et œuvrer pour le bien du parti, y compris ceux qui s’estiment insatisfaits des décisions de la majorité. Dans le Houet, la contestation à laquelle vous faites référence concerne la désignation du responsable de la mobilisation des jeunes de la section provinciale. Lorsque la Commission ad hoc s’est rendue le mois dernier à Bobo-Dioulasso pour aider à trouver une solution consensuelle à ce problème, nous nous sommes heurtés à une obstruction violente commanditée par certains responsables du parti, sur fond de querelles de leadership locales. J’ai dû suspendre la réunion pour éviter que cette confusion dégénère en des violences incontrôlables. La Commission ad hoc a pris la décision d’approuver la composition de la section provinciale du Houet, à l’exclusion des deux postes pour lesquels il n’a pas été possible de mener la concertation à son terme, à savoir celui de responsable de la mobilisation des jeunes faisant l’objet de contestation et celui de responsable de la décentralisation dont l’ancien titulaire était pressenti pour être nommé comme responsable des jeunes. C’est une mesure de sagesse et c’est cette formule que la Commission proposera à la validation du Bureau politique, en attendant que les conditions de sérénité soient réunies plus tard pour pourvoir les deux postes demeurés vacants. Dans l’intervalle, le Secrétaire général de la section provinciale s’organisera pour gérer au mieux les activités relevant de ces deux postes. Tout le tapage qui est orchestré autour de ce poste de responsable des jeunes, n’a pas lieu d’être et doit cesser, parce qu’il n’impressionne personne et dessert le parti, ainsi que ses commanditaires.Au Kadiogo, il y a eu également quelques remous. La Commission ad hoc, pour sa part, a validé la composition de la section provinciale qui lui a été soumise par le Comité d’action du Kadiogo. Il reste à soumettre ce dossier à la validation finale du Bureau politique. Donc, il n’y a plus, de mon point de vue, matière à contestation. Que certains militants se sentent frustrés par ces décisions, je le comprends et je le respecte. Mais je me suis attaché à faire en sorte que le processus de travail de la commission ad hoc soit largement participatif et démocratique. Ni moi-même, ni aucun autre de mes collègues de la commission ad hoc, n’avons pesé sur le choix des membres des structures territoriales du parti, décidé librement par les militants, à l’échelon de chaque province. J’en appelle donc au sens de la discipline et à l’esprit militant de tous pour surmonter les frustrations liées à ces opérations de renouvellement, afin que nous concentrions nos efforts sur le redressement du parti et sa mise en ordre de bataille pour affronter les défis électoraux de 2020.
L’on constate que vous ne participez pas aux tournées régionales de Eddie Komboïgo au cours desquelles les structures du parti sont installées. Pourquoi?
L’installation officielle des structures du parti à travers le territoire, est une manifestation symbolique. Comme chacun sait, ces structures provinciales existent et font leur travail militant depuis plusieurs mois. Certaines n’ont jamais cessé de fonctionner, malgré la tourmente. Le geste symbolique qui consiste à les installer officiellement depuis la récente opération de renouvellement, peut être utile, en ce qu’il donne l’occasion d’organiser une assemblée générale des militants, qui montre la capacité de mobilisation du parti. Cela a pour effet d’encourager nos membres, de les galvaniser. D’un autre côté, je suppose que Eddie Komboïgo y trouve une occasion propice pour rencontrer ceux qui ont fait vivre le parti pendant qu’il observait sa mise en retrait volontaire. Je ne vois pas trop l’utilité de m’associer à cette forme de célébration du retour du « fils prodigue ». Surtout quand celui-ci, d’après ce qui m’a été rapporté, se proclame déjà comme le porte-étendard du CDP pour les élections présidentielles de 2020. Tout cela est prématuré et est de nature à semer la confusion, à la veille du congrès. Chaque chose en son temps. Je pense que nous devons nous concentrer d’abord sur l’organisation du congrès dans l’unité, le respect des opinions différentes concernant la direction du parti, ses méthodes de travail. Après, viendra le temps de choisir un candidat sérieux et crédible pour l’élection de 2020. Enfin, sur le plan de l’éthique politique, dans un contexte où plusieurs candidats sont susceptibles de compétir pour la direction du parti lors du congrès qui aura lieu dans 3 semaines, il est un peu fâcheux que l’un de ces compétiteurs prenne prétexte de sa position dans la direction, pour réunir les instances à travers le pays, en menant ce qui s’apparente à une campagne personnelle. Rien, dans nos textes, ne fait formellement obstacle à cette pratique, mais c’est une question de morale politique. Là aussi, il y aura sans doute matière, dans le futur, à consolider nos pratiques démocratiques, pour mettre les candidats sur un pied d’égalité relative, sans créer une «prime» au sortant. Mais la démocratie se construit progressivement, à la lumière de l’expérience.
Quel est, selon vous, le profil du candidat idéal pour la présidence du CDP ?
Vous savez, en politique, il y a peu de place pour des choix idéaux, en ce qui concerne les personnes. On fait avec ce qu’on a. Cela dit, le CDP ne manque pas d’hommes et de femmes de qualité, capables de diriger le parti et de conduire son action avec clairvoyance ; d’abord dans cette rude bataille que constitue l’opposition politique, puis dans les échéances électorales futures. Je crois aussi que dans la phase actuelle de son existence, le parti a besoin de recentrer son fonctionnement sur une gestion collégiale de sa direction. Nous ne sommes pas à la recherche d’un homme ou d’une femme providentiel. Nous avons besoin d’une équipe composée de gens sérieux, qui ont fait leurs preuves dans l’action politique et dont la constance de l’engagement ne souffre pas de contestation. Enfin, le but ultime de cette action étant de servir au mieux le développement du pays et l’amélioration de la vie des citoyens, il va de soi que ces personnes doivent montrer des aptitudes dans la gestion de la chose publique. L’ampleur des défis à relever appelle à la modestie, à l’humilité, à la réflexion et à l’action collectives, plutôt qu’à l’autocélébration itinérante.
Propos recueillis par Drissa TRAORE
Carte de visite
Expérience
Politique : 2e Vice-Président du CDP. Président de la Commission ad hoc chargée de la réorganisation du CDP. Député à l’Assemblée nationale du Burkina Faso (Octobre 2012- Octobre 2014). Ministre du Commerce, de la Promotion de l’Entreprise et de l’Artisanat (2010-2011).Professionnelle : Associé, Consultant à Afrik Consulting (2011-2013). Directeur Général de la Banque Agricole et Commerciale du Burkina (BACB) de 1999 à 2009. Cadre de Direction au siège de la BCEAO à Dakar, Sénégal (1977-1999). Cadre au Staff Development Division au Fonds Monétaire International (FMI) Washington DC (1990-1991). Professeur Permanent à l’École nationale d’Administration/Abidjan, Côte d’Ivoire (1976-1977). Professeur Permanent à l’École nationale d’Administration (ÉNA) Ouagadougou (1975-1976).
Formation
- Faculté de Droit, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne (1974-1975)
Diplôme d’Etudes Supérieures (DES), Droit International, Diplôme d’Études Supérieures (DES)
- Faculté de Droit, Université Aix-Marseille III (1970-1974)
Maîtrise en Droit International et Communautaire, Droit International et des Communautés Européennes, Maîtrise.