RENCONTRE POUVOIR ET OPPOSITION AU MALI Kankéletigui descend de son piédestal
« A quelque chose, malheur est bon », a-t-on coutume de dire. La débâcle de l’armée malienne à Kidal aura au moins eu le mérite de faire descendre le président malien Ibrahim Boubacar Kéita dit Kankélétigui, de son piédestal. Il est notoire, en effet, que depuis son élection à la tête de l’Etat malien, IBK vole de bourde en bourde : affaires de l’avion présidentiel acheté à prix d’or (autour de 20 milliards de francs CFA) et du contrat d’achat d’équipements militaires passé par le ministère de la Défense pour environ 69 milliards de nos francs pour lesquels le Fonds monétaire international demande encore des comptes au Mali, risque de « patrimonialisation du pouvoir » avec la présence de certains de ses proches parents dans les hautes sphères de l’Etat, etc. IBK s’était jusque-là comporté comme s’il avait été élu dans un contexte normal, apaisé.
IBK a enfin pris la vraie mesure de ses responsabilités
Magnifique au moment de la campagne électorale -ce qui a sans doute convaincu les électeurs maliens qu’il était l’homme de la situation- Kankéletigui comme l’appellent ses admirateurs, c’est-à-dire « l’homme à la parole unique, l’homme qui tient parole », a, malheureusement, multiplié les bourdes une fois au pouvoir, perdant manifestement de vue ce pour quoi il a été élu. Les quelques actions d’éclats au niveau de la Justice avec la fermeté affichée de sévir contre toutes les personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes, ne sauraient suffire à embellir un bilan jusque-là globalement négatif au regard des attentes. IBK avait tôt fait de jeter aux oubliettes ses promesses de campagne, notamment celle de rassembler les Maliens autour de la résolution du problème du Nord du pays. Ce faisant, le président malien a réussi la prouesse de s’engluer dans des problèmes domestiques, de polluer lui-même le terrain de son propre mandat. La déroute de l’armée malienne à Kidal aura été le coup de semonce qui l’aura rappelé à ses devoirs.
A présent, le président malien semble dire qu’il a compris qu’il faut vraiment mettre à contribution toutes les énergies et les compétences du pays dans la quête de solution à l’équation du Nord-Mali dont les mouvements rebelles, notamment le Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA), réclament l’indépendance. L’union sacrée des Maliens est plus que jamais nécessaire face à un tel défi. C’est la lecture qu’on peut avoir des rencontres qu’IBK vient d’avoir avec la classe politique dont l’opposition. C’est une façon de sonner le rassemblement autour de l’essentiel. Cela dit, tout porte à croire qu’IBK a enfin pris la vraie mesure de ses responsabilités. Il réalise à présent que c’est vraiment à lui que revient, au premier chef, la responsabilité de résoudre la crise du Nord du pays. D’où la nécessité pour lui de relancer les initiatives de dialogue avec les rebelles. Et au regard de la difficulté et de l’immensité de la tâche, le soutien et la contribution de l’opposition ne lui seront pas de trop. Il est même question de gouvernement d’union nationale. Si cette hypothèse venait à se confirmer, il faudrait bien admettre que le chef de l’Etat malien a accusé le coup. Si malgré la majorité confortable dont il dispose, il arrivait qu’il fasse recours à un gouvernement d’union nationale, ce serait pour lui une manière ou une autre de reconnaître que le défi dépasse le cadre d’un seul groupe, fût-il majoritaire.
Dans sa nouvelle dynamique, IBK dit soutenir les accords de paix de Ouagadougou. En rappel, ces accords ont été signés entre le gouvernement de transition d’alors du Mali et les rebelles sous l’égide du médiateur de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le président burkinabè Blaise Compaoré, et avaient entre autres, consacré le cessez-le-feu et permis l’organisation de l’élection présidentielle dans le pays. Pourtant, depuis son élection, IBK n’a pas vraiment montré une réelle volonté d’appliquer le reste des dispositions de ces accords. En fait, les nouvelles autorités maliennes rusaient avec ces accords. Dans son for intérieur, IBK a toujours rêvé d’être le nouveau Soundjata Kéita, le célébre empereur du Soudan français. Il nourrissait le secret espoir de remporter, à l’instar de son glorieux aïeul, la bataille décisive contre l’ennemi que sont les groupes rebelles.
L’environnement politique et militaire oblige IBK à mettre en berne son orgueil
Si l’armée malienne avait réussi son offensive à Kidal, nul doute que les accords de Ouagadougou auraient continué d’être malmenés. Hélas, l’environnement politique et militaire oblige IBK à mettre en berne son orgueil. Certes, sa méfiance vis-à-vis de la médiation de la CEDEAO au regard des accointances réelles ou supposées du médiateur avec les rebelles est compréhensible. Mais, la CEDEAO et la communauté internationale tiennent à cette médiation et aux accords de Ouagadougou. De plus, Bamako fait face à des ennemis qu’il n’arrive pas à battre par ses propres moyens. De ce fait, IBK est obligé d’avoir une autre grille de lecture de la situation. Il n’est pas en position de force et n’a pas vraiment d’autre choix que de se soumettre à la ligne de conduite de la communauté internationale.
En déclarant soutenir les accords de Ouagadougou, IBK fait donc contre mauvaise fortune bon cœur. Reste à espérer après tout que la nouvelle dynamique dans laquelle se trouve Bamako permettra de renouer le fil d’un dialogue franc et sincère sur la question du Nord du pays. La communauté internationale doit s’y impliquer à fond. L’Union africaine n’entend certainement pas être en reste dans la résolution de cette crise. C’est probablement la raison pour laquelle son président en exercice, le président mauritanien, vient de recevoir le MNLA. Mais, il faut également croiser les doigts pour que la démultiplication des initiatives ne mène pas à une dispersion des énergies, à une cacophonie préjudiciable à la quête d’une solution rapide et durable. En tout cas, si cette situation d’incapacité à restaurer l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du pays devait perdurer, il faudrait craindre pour la démocratie malienne. En effet, l’orgueil blessé des populations peut les amener à réclamer les têtes de leurs dirigeants et cela peut aggraver l’instabilité ou servir d’alibi à l’armée pour revenir sur la scène politique. Et même si le pays parvenait à échapper à tout cela, il faudrait craindre qu’à la fin de ses mandats légaux, IBK, atteint par le virus ambiant du tripatouillage constitutionnel, soit tenté de porter le coup de grâce à la démocratie en voulant se maintenir au pouvoir sous prétexte de n’avoir pas eu le temps nécessaire pour réaliser ses chantiers comme on l’a déjà vu sous d’autres tropiques. C’est dire l’étendue des risques qui guettent la démocratie malienne dans ce jeu trouble. Il faudra donc se hâter de trouver une solution durable à cette crise qui n’a que trop duré.
« Le Pays »