EXAMEN DU CONTENTIEUX ELECTORAL AU KENYA : La Cour suprême n’a pas droit à l’erreur
L’opposition kényane conduite par Raïla Odinga avait, on se rappelle, saisi la Cour suprême à l’effet de contester les résultats de la présidentielle du 8 août dernier. Il faut préciser que ces résultats, querellés et controversés, avaient donné pour vainqueur Uhuru Kenyatta avec 54,27% des voix contre 44,74% à celui qui se présentait pour la quatrième fois à la magistrature suprême, c’est-à-dire Raïla Odinga. La saisine a été faite le 18 août dernier. Et la Cour suprême, composée de sept juges, dispose de 14 jours à compter de cette date, soit jusqu’à ce 1er septembre, pour rendre sa décision qui, selon la loi du pays, est définitive. L’on peut se féliciter d’emblée de deux choses. La première est que l’opposant Raïla Odinga ait choisi la voie légale pour formuler sa plainte. L’on doit d’autant plus s’en réjouir qu’initialement, il avait pratiquement fait appel à la rue pour arbitrer le contentieux électoral au motif que l’indépendance de la Cour suprême de son pays était sujette à caution. A l’appui de cette posture, Raïla Odinga avait invoqué, entre autres, la présidentielle de 2013 dont les résultats, pour lui, avaient été manipulés par la Commission électorale et validés comme tels par la Cour suprême. Et comme chat échaudé craint l’eau froide, Raïla Odinga a donc longtemps hésité avant de recourir à cette instance pour faire valoir ses droits.
Les sages de la Cour suprême doivent travailler à mériter leur nom
Le simple fait que l’opposant soit revenu à de meilleurs sentiments en se tournant vers l’institution dont le rôle constitutionnel est de valider les résultats électoraux, est un acte hautement élégant et républicain qu’il convient de relever et de saluer à sa juste valeur. Par-là, il rend service à la démocratie et par-dessus tout, au Kenya sa patrie. En tout cas, et c’est le moins que l’on puisse dire, la contestation des résultats par la voie légale est un des prérequis à remplir si le Kenya veut intégrer le cercle fermé des démocraties civilisées d’Afrique.
La deuxième chose dont il convient de se féliciter, est liée à l’autorisation accordée à l’opposition par la Cour suprême d’accéder à tous les serveurs du système électronique de la Commission électorale (IEBC), ses pare-feux, les données GPS des kits de collecte et transmission des résultats ainsi que les copies originales des procès-verbaux du scrutin. Cela est, de toute évidence, un pas vers la transparence. Et par ricochet, ce pas pourrait contribuer à désarmer les esprits et les cœurs et in fine, cela pourrait épargner au Kenya de se livrer, comme il en a l’habitude, au spectacle affligeant qui caractérise les rues de Nairobi avant, pendant, et après chaque élection. Pour vaincre ce signe indien, la Cour suprême doit se garder d’enterrer le cadavre à moitié. Autrement dit, elle doit aller au-delà de l’autorisation accordée à l’opposition d’accéder aux documents de la Commission électorale pour examiner en toute indépendance et en toute responsabilité les griefs formulés par Raïla Odinga contre la Commission électorale. Si cette exigence est remplie, elle en sortira grandie. Pour sûr, elle n’a pas droit à l’erreur. Car, de son attitude dépendra l’avenir de tout le pays. Les 7 sages de la Cour suprême doivent plus que jamais travailler à mériter leur nom. S’il le faut, ils ne doivent pas avoir peur de faire reprendre le scrutin. Aux îles Comores, leurs collègues l’ont déjà fait. S’ils décident, après examen, de maintenir le statu quo, qu’ils apportent toutes les preuves matérielles et juridiques qui le fondent. C’est à ce prix qu’ils pourront se départir de l’image exécrable d’institution aux ordres qui colle à la peau de bien des Cours suprêmes et autres Conseils constitutionnels qui, sous nos tropiques, sont généralement à la solde des princes régnants. Au Gabon, par exemple, on se rappelle que « les sages » s’étaient assis sur leur conscience, peut-on dire, pour servir aux Gabonais un verdict démocratiquement indigeste, en validant sans autre forme de procès les résultats de la dernière présidentielle. Et ce, en dépit du fait que pratiquement tout le monde s’était accordé à reconnaître que le scrutin avait brillé par ses zones d’ombre. Et chose rarissime qu’il convient de relever, c’est que les observateurs avaient eu la même appréciation. Le résultat est que jusque-là, le Gabon ne s’est pas encore remis de ce scrutin chaotique et biaisé.
Le Kenya est à un tournant crucial de son histoire
Cela dit et pour revenir au cas du Kenya, l’on ne doit pas manquer de décerner un blâme à tous les pays qui se sont précipités, à un rythme de diarrhéique, pour féliciter Uhuru Kenyatta alors que le contentieux électoral n’était pas encore vidé. Si ces félicitations avaient émané exclusivement de pays qui ont la sulfureuse réputation d’être des cancres de la démocratie, cela ne représenterait pas un évènement, car s’inscrivant dans l’ordre naturel des choses. Mais que ces congratulations émanent de pays démocratiques séculaires comme la France ou encore la Grande Bretagne, cela est fort regrettable. Car, ce faisant, la probabilité est forte que leur attitude influence la décision de la Cour suprême du Kenya. Dans l’hypothèse donc où cette instance prononcerait un verdict à la Gondwana, qui susciterait la colère légitime des populations, les pays qui se sont déjà fendus de déclaration félicitant Uhuru Kenyatta, seront tenus pour responsables d’éventuels morts d’hommes. Cela dit, le Kenya est à un tournant crucial de son histoire. Il revient donc aux fils et aux filles de ce beau pays de l’Afrique de l’Est en général et aux acteurs politiques en particulier, de savoir le négocier avec la posture d’hommes et de femmes qui placent l’intérêt supérieur de la nation au-dessus des intérêts égoïstes des chapelles politiques. Ils doivent le faire pour deux raisons essentielles. La première est que l’Afrique et le monde les observent et s’attendent à ce que cette fois-ci, ils se comportent en adultes responsables. La deuxième est que le Kenya est déjà en guerre contre les Shebabs de la Somalie voisine, et que ceux-ci caressent le rêve de voir les enfants du Kenya s’entredéchirer pour en profiter y inoculer davantage leur poison. De ce point de vue, tous les Kényans sont interpellés. Mais le seul moyen susceptible de parer à ce scénario-catastrophe, est que la Cour suprême fasse son travail de manière responsable. Le fera-t-elle?
« Le Pays »