DEPLACEMENT DU JUGE HERBAUT A BAMAKO : C’est juste bon pour le moral
Plus de quatre ans après l’enlèvement suivi de l’assassinat de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, le mystère qui entoure le drame demeure entier. C’est pour contribuer à l’élucider que le juge français, Jean Marc Herbaut, s’est rendu sur les bords du fleuve Djoliba. Le déplacement de la capitale malienne a été effectué le mois dernier. Celui qui est censé faire éclater la lumière dans cette ténébreuse affaire, était accompagné de deux autres magistrats. L’un, chargé de l’enquête sur l’attentat contre le bar la Terrasse, l’autre, de celle sur l’attaque contre le Radisson blue. Durant une semaine, le juge français a travaillé avec ses homologues maliens du pôle anti-terroriste. Et la coopération avec les magistrats maliens a été jugée fructueuse, a-t-on appris. Ainsi, il a pu entendre plusieurs témoins qui ne l’avaient jamais été jusque-là.
C’est à dessein que Kidal a fermé ses portes
Ce fait, évidemment, vaut son pesant d’or, dans le sens de la manifestation de la vérité. Un autre point important de ce déplacement est qu’il a permis à la Justice française d’obtenir la certitude que les relevés téléphoniques des suspects présumés lui seront transmis. Il faut préciser que le juge Trevidic les réclamait vainement depuis quatre ans. La première question que l’on peut se poser est de savoir pourquoi ce qui a été refusé pendant tout ce long temps à Trevidic vient d’être accordé, comme par enchantement, au juge Herbaut. La réponse pourrait être la suivante : la pression des proches, des amis des deux journalistes assassinés, sur les gouvernements malien et français, a atteint un tel degré que les deux Etats n’avaient plus d’autre choix que de montrer des signes de bonne volonté. Et le fait d’avoir permis au juge Herbaut de se déplacer à Bamako, d’y travailler avec ses homologues maliens, d’interroger plusieurs témoins et d’obtenir la garantie de la transmission des relevés téléphoniques des suspects présumés, s’apparente, en réalité, à un service minimum qui, de surcroît, a été arraché sous la pression. Et c’est pour cette raison que l’on peut se demander si ce qui a été fait par le juge Herbaut à l’occasion de son déplacement à Bamako, est de nature à faire bouger véritablement les lignes dans l’affaire Ghislaine Dupont et Claude Verlon. L’on peut avoir des raisons d’en douter. La première raison est liée à l’impossibilité pour la Justice malienne et française d’investiguer sur le lieu du crime, c’est-à-dire Kidal. Et, tout permet de dire que c’est à dessein que Kidal a fermé ses portes à toutes enquêtes tendant à lever le moindre voile sur le drame. Cette thèse tient d’autant plus la route, que l’on connaît les accointances qui ont toujours existé entre l’Etat français et les maîtres absolus de Kidal, c’est-à-dire les rebelles Touaregs du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad). Et c’est justement cette proximité avérée et suspecte de l’Hexagone avec ce mouvement, qui a permis aux dunes de sable de cette localité, d’avoir tout le temps d’ensevelir tous les indices qui pouvaient conduire à la manifestion rapide de la vérité. Comment, dans ces conditions, ne pas croire à l’hypothèse qui avait été formulée à l’époque des faits et selon laquelle l’assassinat des deux journalistes serait une vengeance liée au non-versement d’une part de rançon lors de la libération des otages d’Arlit ?
Les proches des deux journalistes assassinés ne doivent pas tomber dans le piège des Etats malien et français
Et dans cette histoire de rançon, l’Etat français, jusque-là, n’a pas pu apporter la preuve irréfutable de sa non-implication. François Hollande s’en était toujours défendu. Et comme l’Etat est une continuité, son successeur, Emmanuel Macron, est dans la même logique. L’autre raison qui conforte d’ailleurs celle que l’on vient d’évoquer, est que plus de quatre ans après les faits, aucun des auteurs présumés du rapt n’a été arrêté vivant. L’on peut donc avoir l’impression que, quelque part, l’on a mis un point d’honneur à éliminer physiquement tous les suspects dont le témoignage pourrait embarrasser fortement la France et ses amis du MNLA. La troisième et dernière raison qui alimente le scepticisme de bien des gens quant à l’élucidation de l’assassinat de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, est liée au fait que les documents qui ont été déclassifiés dans cette affaire, brillent tous par leur clair-obscur. Ils ont été, en effet, caviardés par respect du secret-défense au point qu’ils ne sont d’aucune utilité pour la manifestation de la vérité. Et quand on évoque le fameux secret-défense, tous les Etats sont des monstres froids. Tous, autant qu’ils sont, le couvent de manière maladive. Et l’Etat français, quel que soit le président en place, ne fait pas exception à la règle. C’est pourquoi les proches des deux journalistes assassinés et de manière générale tous ceux qui militent pour que justice soit rendue à nos deux confrères, ne doivent pas tomber dans le piège des deux Etats, c’est-à-dire malien et français, tendant à faire croire que le déplacement du juge Herbaut à Bamako est le signe qu’ils n’ont rien à cacher dans ce drame. En réalité, ce déplacement est juste bon pour le moral. Il faut plus que ça, si les uns et les autres tiennent véritablement à lever toutes les zones d’ombres qui entourent encore, plus de quatre ans après, le drame. L’idéal serait que l’on mette en place une commission d’enquête indépendante. Et l’on peut parier qu’une telle formule a de fortes chances de faire bouger les lignes de manière significative, dans cette affaire qui n’a que trop duré. L’ONU (Organisation des Nations Unies) doit susciter une telle initiative; elle qui a déjà dédié une journée de la fin de l’impunité contre les crimes à l’endroit des journalistes, en hommage à Ghislaine Dupont et Claude Verlon. C’est à ce prix qu’on saura qu’elle ne leur a pas dédié cette journée par principe mais par conviction.
« Le Pays »