PASCAL ZAÏDA, COORDONNATEUR NATIONAL DU CED « Pensez-vous que je suis si fébrile pour que ma sérénité soit ébranlée par un pouvoir aux abois ? »
Son nom a fait plusieurs fois la Une des journaux burkinabè ! Et ce, pour ses multiples sorties médiatiques, notamment sur l’organisation de son meeting en octobre 2017. Il a même été arrêté et écroué à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Lui, c’est Pascal Zaïda, Coordonnateur national du Cadre d’expression démocratique (CED). Il nous a accordé une interview au cours de laquelle il donne son point de vue sur la situation nationale, la situation sécuritaire et économique du pays des Hommes intègres. Il a également bien voulu nous parler de son séjour carcéral. Lisez.
« Le Pays » : Comment se porte Pascal Zaïda depuis sa sortie de prison ?
Pascal Zaïda : Comme vous le constatez, je vais bien et je mène mes activités sans problème particulier. Et tout en vous remerciant pour votre démarche, je réitère mes remerciements à tous les démocrates qui ont manifesté leur solidarité à l’endroit de mes camarades et moi, lorsque nous avions été embastillés par le régime Kaboré.C’est un peu triste que je constate qu’aujourd’hui plus qu’en octobre passé (période de notre arrestation), les questions de libertés publiques et de bonne gouvernance demeurent sans bonnes perspectives!
On ne vous entend plus ; est-ce à dire que vous avez fait profil bas ?
(Rires). Sérieusement, pensez-vous que je suis si fébrile pour que ma sérénité soit ébranlée par un pouvoir aux abois? Je ne suis pas un acteur de la génération spontanée de “lutteurs” de la période 2014-2016.Depuis les années 98, je me suis résolument engagé à défendre des principes que je pense justes et utiles pour la construction démocratique. Il est arrivé que je sois incompris ou combattu, mais jamais je ne me suis dérobé à mes engagements.Notre organisation, contrairement à ce que vous dites, mène des activités. L’épisode des événements d’octobre est effectivement passé par là. Des politiques ont essayé d’infiltrer notre mouvement pour le déstabiliser, mais nous travaillons à contenir cette funeste entreprise. C’est peut-être pour cela et au regard de la sérénité que ce travail exige, que vous pouvez penser à un silence de ma part. Vous allez d’ailleurs bientôt nous entendre puisque le Burkina Faso appartient à tous ses filles et fils et non à un parti politique et ses militants. La gestion donc de la cité, nous concerne tous.
Parlez nous de votre séjour et des conditions de votre détention !
(Moment de silence). Je voudrais, avant de répondre à cette question, avoir une pensée pour ces milliers de détenus de la MACO. Si en liberté, nous exigeons le respect des droits humains, le combat doit être plus âpre dans les centres de détention. Les maladies, les injustices, l’alimentation, sont de véritables problèmes en milieu carcéral.Coté accueil, nous avons été bien accueilli dans les cellules par les détenus et ce fut un moment historique. La MACO dispose de 4 bâtiments, à savoir le bâtiment annexe, le grand bâtiment, le quartier administratif, le quartier féminin et le quartier des mineurs. Le premier est un passage obligé et il est surpeuplé parce qu’on était 22 dans ma cellule qui ressemble à une maison de 8 tôles. Et pire, ce bâtiment est en mauvais état. Quant au grand bâtiment qui date de la période coloniale, il est toujours en forme et là-bas, nous étions 10 dans la cellule. Nous avons fait seulement les deux. Chaque quartier a un chef et chaque cellule a aussi un chef. Tout se passe bien. Je ne veux pas citer de nom, mais les deux chefs des deux bâtiments que nous avons rencontrés, répondaient aux besoins des détenus. Côté alimentation, c’est vrai que la MACO prépare, mais j’ai pu constater qu’il y a moins de 10% des détenus qui mangent ce repas, parce que la qualité n’y est pas. Ceux qui ne mangent pas ce repas, s’organisent et préparent eux-mêmes. Bref ! Il y a trop à dire. Mais tenez-vous bien, le vrai problème, c’est la justice. Les dossiers traînent sans jugement ou pour un crédit que tu dois a quelqu’un, on te dépose et on t’oublie. Comment vas-tu payer en étant détenu ? Autre cas, on te condamne, par exemple, à 5 ans et tu fais appel, et on attend quatre ans pour t’appeler. Autre fait grave, dans le cadre de l’insurrection, une dizaine de militaires du RSP qui étaient de garde chez François Compaoré, croupissent à la MACO depuis bientôt deux ans, sans jugement. Pensez-vous que cela est normal ? Nous sommes dans quel pays? Un dernier élément ; on vous dépose à la MACO et vous passez 16 mois avant d’être jugé et au procès, vous êtes condamné à 15 mois de prison ferme alors que vous en avez déjà fait 16. Qui va supporter la charge des 1 mois de détention illégale ?
Pourquoi, malgré le refus des autorités communales, teniez-vous à organiser votre meeting ?
Vous savez, le refus illégitime et illégal du maire Béouindé n’a pas choqué que les amis de Pascal Zaida ou du CED. Tous les démocrates, les acteurs que l’on ne peut pas soupçonner d’être mes proches, ont dénoncé cette dérive démocratique du régime Kaboré. Nous ne voulons pas de dictature et nous allons nous battre pour cela. Soyez- en sûr.Pour le symbole, nous avons donc tenu à aller au bout pour faire passer notre message, comme d’ailleurs la Constitution nous le permet.Il s’agissait d’un message pour dénoncer la confiscation des libertés publiques et démocratiques et l’expropriation des populations de leurs terres.Le temps nous donne raison, au regard des dernières évolutions de l’actualité.
D’aucuns disent que la plupart des responsables des organisations de la société civile ont des positions partisanes. D’autres vont jusqu’à dire que ce sont des politiciens déguisés. Que leur répondez- vous ?
Effectivement, comme l’a dit un devancier, le Burkina Faso est un pays de savane où tout le monde se connaît. Mais cette façon de faire la politique, embusqué, ne me concerne pas. Depuis 2007, je n’ai plus milité dans un cadre partisan. Vous vous doutez bien qu’avec cette horde d’activistes mobilisés contre ma chétive personne, si j’avais un quelconque lien avec un parti politique, on ne se serait pas gêné de me livrer à la vindicte populaire. J’ai des amis politiques et ils se comptent dans tous les camps. Mais aujourd’hui, le crime qu’il ne faut pas commettre au Burkina, c’est de dire que Roch Kaboré et son pouvoir sont épris de toutes sortes de valeurs sauf celles de démocratie et de bonne gouvernance.Le ministère de l’Administration territoriale qui a été prompt à sanctionner le PITJ de Soumane Touré, sait très bien les OSC qui ont été créées pour faire la politique en étant masqué ou pour flatter les ego de politiques dépassés. On ne gouverne pas un pays de cette manière.
Pourquoi ne critiquez-vous pas les actions de l’ancien régime alors que vous n’êtes pas tendre avec le régime de Roch Marc Christian Kaboré ?
Vous me demandez de faire la communication du régime en place ? C’est-à-dire affirmer que tous les malheurs du Burkina sont liés à Blaise Compaoré alors même que les animateurs actuels ont été les mêmes qui ont porté Blaise durant 27 ans? Et franchement, si ce n’est pas ici, dans quel pays voyez-vous le pouvoir et ses partisans pleurnicher comme celui-là ? Les campagnes électorales sont finies depuis trois ans, Blaise Compaoré n’est plus aux affaires depuis quatre ans, et au lieu d’appliquer votre programme, c’est son nom qui est scandé tous les jours par le pouvoir en place avec à sa tête Roch Marc Christian Kaboré. Un chef doit avoir le sens du pardon. Un chef doit être un rassembleur. Un chef doit penser à demain. Mais si vous êtes incapable, il faut démissionner.
Quand Blaise Compaoré était au pouvoir, il a reçu sa part de critiques.
Que pensez- vous de la manière dont le procès du coup d’Etat manqué de septembre 2015 est menée ?
Le tribunal fonctionne sur des ordres et de qui ? Ça ne peut être que le Chef de l’Etat, le ministre de la Défense et le ministre de la Justice. Ce sont toutes ces raisons qui nous ont emmené à dire non aux tribunaux d’exception. La conduite de ce procès se fait au mépris des règles élémentaires de l’Etat de droit. Les gens ont leurs coupables qu’ils veulent tout de suite et maintenant clouer au poteau! Heureusement que les avocats de la défense se démènent comme ils peuvent pour assurer à leurs clients les chances d’être jugés dans les règles.Ceci dit et au regard de la situation globale du pays où l’impératif de la vérité et la nécessité de la réconciliation se côtoient, il n’est pas inutile de prospecter l’ensemble des pistes.
Après plusieurs rebondissements, le procès du coup d’Etat manqué est à nouveau renvoyé au 9 mai prochain. Quel commentaire en faites- vous ?
Il ne faut pas passer par pertes et profits les droits des accusés. C’est pour cela qu’à défaut d’imaginer une sorte de justice transitionnelle pour solder les différents problèmes de notre pays, il faut s’armer de beaucoup de patience pour permettre aux accusés de s’expliquer, même si certains ont déjà leurs coupables!
Depuis un certain temps, les responsables syndicaux multiplient sit-in et grèves. Quelles sont, selon vous, les causes de cette radicalisation du monde syndical ?
A l’image des partis d’opposition, le monde du travail aussi souffre le martyre avec le pouvoir et ses partisans. On demande aux travailleurs des sacrifices énormes, alors que le pouvoir en fait très peu ou pas du tout. L’avènement de l’insurrection est lié en grande partie aux questions sociales.L’ignorer ou feindre de l’ignorer, est irresponsable.C’est pour cela qu’avant les règlements de comptes politiques ou la course aux postes, il devrait être question de répondre aux préoccupations des partenaires sociaux en respectant les engagements de l’Etat et en assurant des gages pour aboutir à une trêve sociale.C’est pour cela et pour être conséquent, que le pouvoir doit revoir sa copie en ce qui concerne le monde du travail. Les tentatives de diviser les Burkinabè et dresser les travailleurs les uns contre les autres, ne sont pas bien inspirées. Il faut donner des gages de confiance et de bonne gouvernance et on obtiendra du monde syndical le répit souhaité.
Quelle lecture faites-vous de la situation économique actuelle du Burkina ?
La vie chère est une réalité de tous les jours. Vous venez, vous-même, d’évoquer le climat délétère du monde du travail. La question de la sécurité reste toujours posée. On est dans une situation vraiment difficile. Mais pour certains, il semblerait qu’en trois ans, tout est bouclé avant même que le mandat n’arrive à son terme. Si ce n’est pas pour se chatouiller pour rire, je ne sais pas à quoi cela ressemble.
Que pensez-vous de la situation sécuritaire actuelle du pays ?
C’est vraiment dommage que depuis un moment, notre pays soit la cible des terroristes. Avec les mécanismes comme le G5 Sahel, la coopération bilatérale avec certains pays amis, on peut faire des résultats dans cette lutte. Mais il faut travailler à rester unis, mieux organiser et motiver nos forces de défense et de sécurité et les équiper. A l’interne, il faut miser sur le renseignement et cherchons aussi à signer des pactes de non-agression, comme l’Algérie l’a fait. Car, depuis que Roch est au pouvoir, on a enregistré plus de 40 attaques et plus 140 pertes en vies humaines et presque tout le Nord est désert. Cela n’est pas acceptable.
Certains voient en ces attaques la main de l’ancien régime. Qu’en pensez- vous ?
C’est pathétique ce type de discours. Notre pays a connu les dossiers relatifs au Sahel, dans le cadre de mandats de la communauté internationale. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans ce dossier et nous sommes victimes d’attaques. Au lieu de chercher à se comporter comme si nous étions toujours en campagne électorale, il faut résolument affronter le phénomène et le combattre. Il semble que le Maire de Koutougou qui a été abattu devant sa porte, est du CDP. Vous pouvez imputer cela à l’ancien régime ?
Que fait Pascal Zaïda comme activité, en dehors des activités de la société civile ?
Je suis gestionnaire des projets de formation et à ce titre, je suis sollicité pour des consultations dans certains cabinets. Par ailleurs, je dirige une SARL dans le domaine des fournitures de biens et services.
Quelles sont vos relations avec l’ancien régime ?
Aucune relation particulière, juste des connaissances. Rien de formel.
Un mot sur la réconciliation nationale?
Il faut d’abord dire que la question de la réconciliation a été soulevée par le CED depuis le 1er septembre 2016, avant d’être portée par la CODER qui a vraiment travaillé sur le sujet jusqu’à ce que le président Kaboré lui-même reconnaisse la nécessité d’aller à la réconciliation. Et dans le processus, il a reçu le mémorandum de la CODER. C’est dire donc que le chemin est tracé pour aller au forum et à ce niveau, il y a un préalable qui est le retour de tous les exilés, Blaise Compaoré en tête. Que les gens le veuillent ou pas, c’est comme ça. Il appartient donc à Roch de donner le top- départ. Sinon, attendre 2020 pour en faire un élément de campagne, sera mal perçu parce que « niiba nina poukamè,gaam gaam paa lé toind gaam tond yée » (les gens ont les yeux ouverts. On ne peut plus nous embrouiller).
Propos recueillis par Issa SIGUIRE