AN IV DE L’INSURRECTION POPULAIRE
L’impérieuse nécessité de se ressaisir
Ces 30 et 31 octobre 2018, les Burkinabè célèbrent le 4ème anniversaire de l’insurrection populaire qui a vu la chute et la fuite de Blaise Compaoré, consécutivement à sa volonté de modifier la Constitution pour briguer un autre mandat, après 27 ans de règne. Trop, c’en était trop et le peuple burkinabè a pris ses responsabilités pour dire non à la forfaiture. La suite, on la connaît. Plus que la chute de l’exilé d’Abidjan, cet événement a été vécu comme une libération par de nombreux Burkinabè. Et si la date du 31 octobre a été déclarée chômée et payée, c’est qu’elle marque un véritable tournant dans la vie de la Nation. Quatre ans après, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. En effet, après une Transition plutôt mouvementée, les Burkinabè ont réussi à remettre le pays sur les rails de la démocratie, avec des élections qui ont permis de revenir à une situation normale.
Le « plus rien ne sera comme avant », poignant cri de cœur des insurgés, sonne aujourd’hui comme un slogan creux
Cette année, la commémoration de ces chaudes journées d’octobre 2014, intervient dans un contexte de recomposition du paysage politique qui a vu l’ex-majorité au pouvoir rejoindre les rangs de l’opposition, aux côtés de partis qui l’avaient combattue en son temps. Dans le même temps, des amis d’hier sont en passe de devenir les ennemis d’aujourd’hui, dans un contexte de précampagne pour la présidentielle de 2020, au moment où le pays est plus que jamais dans l’œil du cyclone terroriste, avec des attaques à répétition tous azimuts. Malgré tout, les Burkinabè ont tenu à marquer l’événement. Mais c’est dans la désunion que les insurgés d’octobre 2014 vont à la commémoration de cet anniversaire, quatre ans plus tard. Car, à côté du programme officiel du gouvernement, les syndicats d’une part, et des organisations de la société civile, d’autre part, ont chacun visiblement leur programme propre. Quant aux vaincus de cette période de braise, ils continuent de ruminer leur rancœur dans le secret espoir de reconquérir le pouvoir en 2020. C’est dire si quatre ans après l’insurrection, les plaies sont toujours vives et la réconciliation toujours un chantier.
Cela dit, si, pour de nombreux Burkinabè, l’insurrection fut une bonne chose parce qu’elle a mis fin à une tentative de confiscation du pouvoir au profit d’un clan, la suite est moins flatteuse parce que la gestion de la période post-insurrection est loin d’avoir été à la hauteur des attentes des populations.
Et la désillusion est d’autant plus grande que beaucoup de citoyens pensaient peut-être naïvement que du jour au lendemain, les choses changeraient comme sous l’effet d’une baguette magique. Le « plus rien ne sera comme avant », poignant cri de cœur des insurgés, sonne aujourd’hui comme un slogan creux, en passe d’être jeté aux oubliettes. C’est dire si aujourd’hui, l’insurrection a comme un goût d’inachevé, eu égard aux nombreux espoirs douchés.
Toutefois, l’on ne saurait peindre tout le tableau complètement en noir car, des acquis ont aussi été enregistrés : notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation, des infrastructures où de nombreuses réalisations matérielles ont été faites et des mesures d’accompagnement des populations comme celle de la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans, ont été prises par les nouvelles autorités.
Le Burkinabè a aujourd’hui besoin de répondre véritablement à son qualificatif d’Homme intègre
La liberté d’expression, quoi qu’on dise, est aussi en net progrès. Mais ce qui reste à faire est immensément plus important car la rupture avec certaines mauvaises pratiques du régime déchu de Blaise Compaoré, tarde encore à se faire voir. En effet, il ne se passe pratiquement pas de semaine sans que la presse ne se fasse l’écho de cas de corruption, de détournements, de mal gouvernance voire d’impunité, au moment où l’autorité de l’Etat est mise à rude épreuve par l’incivisme galopant des populations. D’où l’impérieuse nécessité, pour les Burkinabè, de se ressaisir pour ne pas vendanger complètement les fruits de cette lutte dont l’aboutissement a marqué un tournant décisif dans l’enracinement de la démocratie au Faso.
Bien entendu, la responsabilité première revient aux dirigeants sur qui étaient fondés tous les espoirs et qui n’ont malheureusement pas pu combler les nombreuses et fortes attentes des populations. Mais ces dernières ne sont pas non plus exemptes de tout reproche. Car, il y a des Burkinabè qui se comportent en insurgés permanents et qui font dans l’incivisme constant. Ceux-là n’ont toujours pas compris qu’il y a un temps pour tout et que l’insurrection est bel et bien passée. L’heure doit être à la reconstruction de la Nation. Et cela nécessite que chacun y mette du sien, si l’on veut se donner des chances de tirer le pays de l’ornière. Surtout en ces temps difficiles où la question sécuritaire est devenue la principale préoccupation de tous. C’est pourquoi il est impératif de travailler à cultiver le patriotisme et surtout l’intérêt de défendre la Nation. Pour cela, un changement de comportement et de mentalité s’impose. Car, le Burkina a besoin d’avancer. Et il doit le faire en s’appuyant sur le civisme et la morale qui doivent être les vertus les mieux partagées par ses fils, surtout la jeunesse qui, aujourd’hui encore, continue de croire à la courte échelle, et pour qui les valeurs de probité, de don de soi et de partage sont un évangile sans contenu. En un mot comme en mille, le Burkinabè a aujourd’hui besoin de répondre véritablement à son qualificatif d’Homme intègre. Car, de Burkinabè, le pays en compte, mais d’Hommes véritablement intègres, il en cherche toujours. Notre développement doit absolument intégrer les dimensions civique et morale sans lesquels toute politique développementale ne serait que ruines et perdition.
En tout état ce cause, il appartient à chaque peuple d’écrire son histoire. Et les Burkinabè se sont engagés dans une aventure où ils n’ont pas droit à l’échec. Il revient donc aux gouvernants de savoir tirer leçon du passé pour éviter que les mêmes causes produisent les mêmes effets.
« Le Pays »