HomeA la uneMALICK DJEBRE, DG DU CHUP-CDG « Quand je prenais service en 2012, j’ai trouvé des infrastructures qui étaient fortement dégradées »

MALICK DJEBRE, DG DU CHUP-CDG « Quand je prenais service en 2012, j’ai trouvé des infrastructures qui étaient fortement dégradées »


Il est à la fin de son mandat à la tête du Centre hospitalier universitaire pédiatrique Charles de Gaulle, et durant les 6 années passées comme directeur général du CHUP-CDG, la réalisation de plusieurs projets a permis à l’hôpital d’être distingué par le ministère de la Santé comme meilleur CHU du Burkina Faso et ce, pour la 4e fois consécutive. Dans cette interview qu’il nous a accordée, Malick Djébré, DG du CHUP-CDG, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’a pas eu sa langue dans la poche face aux différentes questions que nous lui avons adressées. Les difficultés rencontrées, les projets réalisés et ceux non réalisés, la collaboration avec ses partenaires, sont, entre autres, les différentes questions abordées dans cet entretien. Lisez !

Le Pays : Pouvez-vous nous parler de l’organisation, du fonctionnement et des missions du CHU Pédiatrique Charles de Gaulle (CHUP-CDG) ?

Malick DJEBRE : Le CHUP-CDG est organisé conformément aux textes portant statut des établissements publics de santé et par l’arrêté qui porte organigramme du CHUP-CDG. C’est un établissement public de santé qui est dirigé par un Conseil d’administration qui définit les grandes orientations de l’hôpital. Le directeur général, nommé en Conseil des ministres, est chargé de mettre en œuvre les délibérations du Conseil d’administration et assure la gestion quotidienne de l’établissement. Le DG a, sous sa responsabilité, l’ensemble du personnel avec bien entendu les directeurs et chefs des services administratifs, cliniques et médicotechniques.

Comme son nom l’indique, votre CHU a une vocation pédiatrique. N’y a-t-il pas de possibilité que d’autres personnes soient prises en charge, ne serait-ce que pour des urgences ?

Les statuts du CHUP-CDG disent que c’est un hôpital pédiatrique dédié à la prise en charge des enfants âgés de 0 à 14 ans. Mais il reste qu’ayant des instruments de diagnostic, l’hôpital prend en charge même des adultes sur sa partie diagnostic au niveau de l’imagerie médicale où nous prenons en charge les mères et même tout autre adulte qui viendrait à avoir un besoin de diagnostic. Il en est de même pour la partie laboratoire d’analyses où nous prenons en charge également les adultes.

Quels sont les projets dans ce sens et comment va-t-on appeler l’hôpital si vous entendez élargir la prise en charge aux femmes ?

Dans notre projet d’établissement, nous avons prévu d’agrandir l’hôpital en le complétant par le dispositif mère, c’est-à-dire la construction d’une maternité et dans ce sens, ce n’est pas pour accueillir les femmes qui viendront en couche, mais pour prendre en charge celles que notre projet concerne, notamment les grossesses pathologiques qui sont liées à l’accouchement. Au niveau du CHUP-CDG, nous ressentons durement les effets de la non prise en charge des grossesses pathologiques. C’est pour cela que nous nous sommes dit qu’il fallait compléter le dispositif. Pour ce qui concerne le nom, il va toujours rester hôpital pédiatrique. Mais tout cela dépendra de la vision des autorités sanitaires.

En matière de soins, est-ce que le CHUP-CDG dispose de toutes les spécialités et du plateau technique adéquat pour la prise en charge des enfants malades ?

Pour le moment, nous disposons d’une gamme variée de prestations. On a presque toutes les spécialités, notamment la chirurgie pédiatrique, l’ORL, l’ophtalmologie et nous avons en prévision l’ouverture du cabinet dentaire.

Comment se passe la prise en charge ?

Comme je vous l’ai dit plus haut, nous prenons en charge les enfants de 0 à 14 ans. Ceux de 0 à 5 ans sont couverts par la gratuité des soins. Mais pour le cas des prestations chirurgicales, ce ne sont que les urgences qui sont couvertes par la gratuité. La particularité, à l’hôpital Charles de Gaulle, est que chaque enfant qui arrive est enregistré par un service d’accueil qui fait de la gestion administrative des patients et concomitamment l’enfant est pris en charge par l’équipe médicale composée de médecins et de personnel soignant. Il faut noter que dès l’arrivée de l’enfant, il est examiné par un médecin qui pose le diagnostic et, par un paquet de laboratoire et d’imagerie, définit le diagnostic pour la prise en charge du patient.

Quelle est la situation de la gratuité des soins au CHUP-CDG quand on sait qu’elle est émaillée de quelques difficultés depuis son lancement en mai 2016 ?

Peut-être que les clients seraient mieux placés pour répondre à cette question. Mais, je dois dire qu’en dehors de certaines ruptures constatées à la CAMEG qui est notre centrale d’approvisionnement, nous assumons, dans notre établissement, la prise en charge au niveau des consultations et des médicaments.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans le cadre de la prise en charge des soins à la pédiatrie CDG ?

La première difficulté est la capacité d’accueil de notre hôpital qui est dépassée depuis 2005. Nous n’arrivons pas à trouver les lits d’hospitalisation nécessaires pour tous les enfants hospitalisés. Cela constitue un handicap sérieux pour l’établissement. Or, c’est le seul hôpital au Burkina Faso spécialisé dans la prise en charge pédiatrique notamment en chirurgie ; ce qui fait que pour certaines pathologies comme la chirurgie pédiatrique, nous avons de sérieuses difficultés à faire face à la demande. Nous en sommes conscients et avec les autorités, nous pensons que dans les années à venir, on devrait pouvoir agrandir l’établissement. A côté de cette difficulté, il y a aussi le manque d’équipement lié à la chirurgie. Comme vous le savez, nous sommes dans un milieu où la technologie avance très vite et pour une meilleure prise en charge dans la qualité et la sécurité, il faut disposer de moyens de diagnostic et de prise en charge adéquats. L’une des difficultés est que des malades nous viennent tard et face à cela, nous sommes obligés parfois de faire face à des situations désagréables. Donc, nous profitons attirer l’attention des hôpitaux qui nous les réfèrent. Je crois que c’est un aspect qui est lié d’une manière générale à l’organisation de la référence dans notre pays et je pense que cette situation sera corrigée probablement avec le développement de nos structures de santé.

A quel moment un enfant est-il pris en charge dans votre structure ?

Notre système de santé fonctionne en forme pyramidale et dès qu’on est malade, on devrait a priori s’adresser à un CSPS qui, s’il n’arrive pas à prendre en charge le malade, s’adresse à un hôpital de district ou un CMA qui, par la suite, réfère le malade à un CHR ou le CHU. Mais certains qui se disent riverains de l’hôpital Charles de Gaulle amènent leurs enfants directement dans notre structure et notre devoir est de les accueillir et de les soigner.

Pour permettre aux hôpitaux d’atteindre un développement optimal, le ministère en charge de la santé avait demandé aux différents responsables des hôpitaux d’élaborer des projets d’établissement. Qu’en est-il pour le CHUP-CDG et quelle observation avez-vous à faire par rapport à cette démarche du ministère de la Santé ?

Les hôpitaux, au niveau du Burkina, sont tenus d’élaborer et de mettre en œuvre un projet d’établissement qui est une exigence légale, car c’est la loi hospitalière qui prescrit cela et chaque hôpital se fait le devoir d’élaborer ledit projet. Mieux, après le recrutement de tout directeur général par appel à candidature, il lui est demandé d’élaborer un projet d’établissement. Et ce projet est la projection de la structure sur les cinq années à venir. Pour ce qui concerne le CHU pédiatrique Charles de Gaulle, nous l’avons élaboré pour la période 2015-2019, avec une projection de notre hôpital qui, nous souhaitons à l’horizon 2019, soit une référence au niveau du Burkina et de la sous-région ouest africaine pour la qualité et l’excellence de ses activités en matière de prise en charge au niveau de la santé de la reproduction, c’est-à-dire le couple mère-enfant. On était aussi conscient de tout ce que cela nous demandait ; l’Etat ne pouvait pas à lui seul nous offrir les moyens dont nous avons besoin pour la mise en œuvre de ce projet d’établissement. Donc, nous nous sommes, de façon consensuelle, engagés à aller dans les partenariats avec un certain nombre de potentiels bailleurs de fonds, pour nous aider à réaliser les infrastructures ou pour nous équiper. Nous avons rencontré des difficultés certes, mais nous avons aussi enregistré des succès dans bon nombre de domaines. Les projets d’établissement, il faut le dire, ne sont pas une invention du Burkina. C’est une stratégie qui nous provient de la France et dans ce pays, les projets d’établissement élaborés par les hôpitaux, ont montré leur efficacité car ils sont soumis à l’Agence régionale de santé qui voit leur pertinence et décide de les financer. Pour ce qui nous concerne, on demande d’élaborer le projet d’établissement, mais il n’y a pas une instance devant laquelle on va défendre nos propositions. Car on élabore le projet, on le soumet au conseil d’administration qui adopte et on l’envoie au niveau de la structure de tutelle, mais sans véritablement de suite. Donc, notre souhait est que les autorités aient un regard sur les projets d’établissement des hôpitaux, dans leur dynamique d’amélioration du système de prise en charge dans notre pays.

Pour l’exercice de l’année 2014, 2015, 2016 et 2017, votre structure a consécutivement été distinguée par les autorités sanitaires du pays comme meilleur CHU du Burkina Faso pour la qualité de ses activités hospitalières notamment le management, la sécurité des soins, l’hygiène hospitalière et la satisfaction des usagers. Quels ont été vos sentiments pour ces succès quand on sait que rien n’était gagné d’avance après votre prise de fonction en 2012 ?

Il faut dire que c’est le travail de l’ensemble du personnel du CHUP-CDG qui a payé. Depuis que les prix d’excellence ont été instaurés au niveau des hôpitaux en 2014, notre hôpital a toujours été distingué comme le meilleur CHU au Burkina Faso. Comme vous le savez, ce sont plusieurs paramètres qui sont contrôlés afin de décerner ce prix ; donc tout le monde est concerné. Quand on rentre à Charles de Gaulle, on sent que tout le monde a conscience d’un certain nombre de défis à relever et avec l’engagement des premiers responsables, cela produit de bons effets. Il faut donc que tout le personnel soit conscient de cet engagement. C’est le développement de cette intelligence collective qui nous permet de relever les défis liés à la prise en charge des enfants dans la qualité et la sécurité. C’est la preuve que quand vous êtes collectivement engagés, vous pouvez avoir des résultats satisfaisants.

Pouvez-vous nous révéler vos recettes et vos secrets ?

Je pense qu’il n’y a pas de secret particulier. C’est seulement l’engagement. En tant que DG, il y a un leadership à développer pour amener le personnel dans le relèvement des défis. Quand je prenais service au CHU Pédiatrique Charles de Gaulle en 2012, j’ai trouvé des infrastructures qui étaient fortement dégradées, des équipements obsolètes et tout cela avait fait qu’il y avait un hiatus entre les réalités des infrastructures et le potentiel des acteurs. Il faut reconnaître qu’à la création du CHUP Charles de Gaulle, on avait, par un mécanisme de test, sélectionné des acteurs de qualité au niveau de la santé pour animer l’établissement. Quelques années après, ces acteurs qui avaient un potentiel se sont retrouvés avec des équipements et des infrastructures qui ne suivaient pas. D’où la démotivation et le découragement de ces acteurs. Donc, il fallait travailler à remotiver ce personnel, voir comment il fallait engager ce personnel de façon collective à relever les défis. Ainsi, nous avons travaillé à réhabiliter les infrastructures, à rééquiper les services et à remotiver les ressources humaines. Etant donné que nous sommes dans un domaine où la force est inopérante, il fallait convaincre les gens et engager tout le monde pour l’atteinte des mêmes objectifs. Notre force est que nous comptons sur tout le monde ; chacun doit savoir que nous comptons sur lui. A ma prise de service, j’avais invité tout le personnel à mettre le malade au cœur de nos préoccupations dans la gestion collective et transparente des ressources. Quand on se met dans cette dynamique, la gestion des ressources est meilleure et avec le peu, on fait mieux.

Nombreux sont les hôpitaux du Burkina Faso qui éprouvent d’énormes difficultés par rapport au management des ressources humaines, à la gestion des infrastructures et des équipements, et mieux, au management de l’offre de soins de qualité. Au regard de votre riche expérience en tant que DG d’hôpital, quels remèdes ou quels conseils avez-vous à donner ?

Nous sommes dans un milieu où tout le monde compte ; il ne faut exclure personne. Cela est important quand on dirige une structure, surtout dans le domaine de la santé. Parce que vous ne pouvez pas, par exemple, obliger un technicien de laboratoire à faire des examens. Et si vous le faites, il peut rentrer et ressortir avec de mauvais résultats. Si vous obligez un médecin à faire une consultation, il peut rentrer avec un seul patient et passer tout son temps avec lui, ce qui n’est pas bon. Alors, pour pallier cela, il faut lui faire savoir que les patients ont besoin de lui, que l’hôpital compte sur lui pour offrir des soins de qualité aux malades qui viennent à nous et qu’il est important dans le dispositif. Donc, à mon avis, les idées de tous comptent et je trouve qu’il faut valoriser les ressources humaines pour que chacun se sente concerné, qu’il y ait une culture d’entreprise et que chacun se dise que la bonne marche de l’établissement lui incombe. Lorsque je suis arrivé, au début, il faut dire que je n’étais pas compris. Dans un centre hospitalo-universitaire comme vous le savez, il y a une certaine hiérarchie. Les gens se demandaient qu’est-ce qu’un DG a à faire avec un infirmier. Mais je pense que si les deux s’écoutent, ils devraient aboutir à des soins de qualité. Car l’infirmier a besoin d’être considéré dans le dispositif. C’est clair que l’individu donne le meilleur de lui-même quand il constate qu’on attend beaucoup de lui.
N’oublions pas que dans notre monde d’aujourd’hui, les gens ont beaucoup de potentiels, pas forcément liés à ce qu’ils font. Vous trouverez par exemple un infirmier qui a des compétences en gestion de ressources, qui a fait des études universitaires en sociologie et donc, à chaque fois que son avis est demandé, il donne le meilleur de ce qu’il sait.

Vous êtes à la fin de votre deuxième et dernier mandat à la tête du CHUP-CDG. Avez-vous le sentiment d’une mission bien accomplie ?

Je dois remercier Dieu que tout se soit bien passé. Le CHUP Charles de Gaulle est cité comme un hôpital où il n’y a pas de turbulences. Depuis que nous sommes là, on a constaté moins de bruit sur la gestion de l’établissement. Les autorités le disent et même la population. Sur ce point, c’est un sentiment de satisfaction, de reconnaissance envers mes collaborateurs et tout le personnel. Tout a été possible grâce à mes collaborateurs qui m’ont suivi et ont respecté le mot d’ordre lancé pour prendre en charge les enfants qui nous sont référés.

Quels sont les projets qui vous tenaient à cœur et que vous n’avez pas pu réaliser ?

Il y a la maternité qu’on n’a pas pu construire, surtout le développement de la chirurgie pédiatrique. Comme vous le savez, le CHUP Charles de Gaulle est le seul hôpital au Burkina Faso à évoluer dans la chirurgie pédiatrique et nous avons actuellement une file d’attente d’enfants qui ont besoin d’être pris en charge. Cela me touche vraiment de ne pas pouvoir développer, sous mon mandat, les services chirurgicaux. Cependant, je pense que ceux qui viendront après, relèveront le défi et travailleront à ce que les autorités aient un regard à ce niveau.

Pour terminer, quel souvenir garderez-vous du CHUP Charles de Gaulle après votre départ ?

Nous avons été une famille et je suis très heureux d’avoir été accepté. Comme je l’ai dit tantôt, depuis que je suis là, il n’y a pas eu de bruit ni de contestations ouvertes avec les partenaires sociaux, notamment les syndicats. Bien au contraire, on a travaillé main dans la main au point que certains se demandaient pourquoi le syndicat n’est pas en train de bousculer le DG. Je dois, au passage, remercier le syndicat pour cette entente cordiale et le climat social serein que nous avons eu au niveau de l’établissement. Cela me manquera parce qu’on est une famille et lorsque je traverse le couloir de l’hôpital, je me sens dans ma peau au milieu de mes camarades. Je n’ai pas eu d’animosité avec un service quelconque, ni avec le personnel. Dès que je sors de l’hôpital, c’est l’ambiance totale et je souhaite que cela demeure avec nos remplaçants et que l’hôpital continue de mériter sa place dans notre pays.

Avez-vous d’autres commentaires à faire?

Je félicite les Editions « Le Pays » pour l’intérêt qu’il porte aux questions de santé et surtout le fait d’avoir un journal consacré à la santé. J’en appelle à nos concitoyens à mettre la santé au cœur de leurs préoccupations. C’est vrai, on dit que c’est l’Etat qui doit travailler à promouvoir la santé certes, mais l’Etat ne peut pas tout faire. Donc, chacun de nous doit en être conscient et travailler à sauvegarder sa santé. Nous avons remarqué que les Africains ne sont pas sur ce chemin. Et beaucoup d’enfants arrivent à notre niveau totalement démunis, alors qu’on pouvait très vite avoir de quoi prendre en charge ces enfants. A chacun de consacrer une partie de ses ressources pour sa santé. Il faut être dans notre milieu pour savoir que sans la santé, tout s’écroule. Pour terminer, je tiens à remercier les autorités et mon Conseil d’administration pour la confiance placée en moi durant ces 6 années et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont aidé à gérer l’établissement. J’invite tout le monde à s’engager pour la réalisation du projet d’’établissement qui, sans doute, permettra à notre pays d’assurer des soins adéquats aux enfants.

Propos recueillis et retranscrits par Valérie TIANHOUN


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