ELECTIONS GENERALES EN AFRIQUE DU SUD : Quand Cyrille Ramaphosa joue sa légitimité
Ce 8 mai 2019, les Sud-africains sont appelés aux urnes pour élire les membres de l’Assemblée nationale et ceux des assemblées provinciales des neuf provinces du pays. Sixièmes du genre après celles de 2014, ces élections générales mettent aux prises une cinquantaine de partis politiques qui iront à la pêche aux voix des électeurs. L’ANC (Congrès national africain) qui est au pouvoir depuis la fin de l’apartheid en 1994 et qui domine les débats depuis 25 ans, est encore dans les starting-blocks. Ses principaux challengers sont l’Alliance démocratique, ancien parti libéral blanc, et la jeune formation politique, les Combattants pour la liberté économique du truculent Julius Malema, transfuge de l’ANC et qui a réussi, en six ans, à positionner son parti comme la troisième force politique du pays.
l’ANC a aujourd’hui besoin de faire une véritable introspection
A l’issue de ces élections générales, les députés éliront, à leur tour, le chef de l’Etat. En cas de victoire de l’ANC, Cyrille Ramaphosa devrait être pleinement confirmé dans ses fonctions de chef de l’Etat. C’est dire si le nouveau leader du parti au pouvoir, joue sa légitimité ; lui qui, peut-on dire, assurait jusque-là l’intérim et a terminé le second mandat de Jacob Zuma contraint à la démission en février 2018, pour une succession de scandales qui ont fini par avoir raison de son trône. Et ce, dans un contexte où le parti au pouvoir est en perte de vitesse et en net recul d’estime au sein d’une population désabusée, n’engrangeant au passage que 61% des suffrages aux dernières élections, après un revers électoral qui a vu lui échapper de grandes métropoles comme Johannesburg, Port Elisabeth, Pretoria, jadis réputées pour être des forteresses inexpugnables du parti de l’icône de la lutte anti apartheid, Nelson Mandela.
Cela dit, malgré ces contre-performances passées et les scandales de corruption de l’ère Zuma, qui ont fortement écorné l’image et entamé la crédibilité du parti de Nelson Mandela, l’ANC reste largement favori, aux yeux de nombreux analystes. C’est dire s’il ne faut pas s’attendre à du suspense. Car, tout porte à croire que ce n’est pas demain la veille que le Congrès national africain risque d’être privé de la majorité absolue au parlement, dans une Afrique du Sud où la vieille génération fait montre d’un attachement atavique à la cause de l’ANC. La question semble plutôt se poser sur le score que ce parti va réaliser à ces élections générales. Va-t-il continuer sa chute, ou réussira-t-il à redresser la barre après la déculottée des dernières élections ? On attend de voir. Cependant, si l’on voit Cyrille Ramaphosa faire difficilement pire que son prédécesseur Jacob Zuma à la tête de l’Etat sud-africain, l’on est, par contre, fondé à croire que l’ANC a aujourd’hui besoin, pour se relever, de faire une véritable introspection et une autocritique sans complaisance. Car, au-delà de la gestion du pouvoir, le véritable défi est celui de l’amélioration des conditions de vie des populations. Et en 25 ans de pouvoir, l’on ne peut pas dire que les conditions de vie de la grande masse des Sud-africains qui avaient fondé leurs espoirs sur ce parti, ont véritablement changé.
L’apartheid social et économique semble avoir pris le relais de l’apartheid racial
Pire, l’espoir né de la fin de l’apartheid avec l’accession au pouvoir du célèbre prisonnier de Robben Island, n’a pas tardé à être douché, car l’héritage de Nelson Mandela s’est révélé tellement lourd à porter pour ses successeurs Thabo Mbeki et Jacob Zuma qu’ils ont tous été contraints de quitter le pouvoir avant terme. Aujourd’hui encore, le problème du chômage et des inégalités sociales se pose avec acuité dans une société sud-africaine gangrenée par la corruption, dans un contexte de paupérisation accrue des populations et où les défis se déclinent aussi en termes d’éducation, d’accès à l’eau potable et de lutte contre la grande criminalité. C’est dire si les défis demeurent nombreux et immenses, dans cette Nation Arc-en-ciel où l’apartheid social et économique semble avoir pris le relais de l’apartheid racial. C’est pourquoi l’on est porté à se demander si le président Ramaphosa, qui a fait, entre autres, de la lutte contre la corruption son cheval de bataille, a les moyens de lutter efficacement contre ce fléau qui s’annonce d’ores et déjà comme l’un des défis majeurs qui attendent le prochain président. Pour sûr, la simple volonté ne suffira pas. Il faudra aller au-delà des mots et de la simple profession de foi pour poser des actes forts allant dans le sens de la rupture. Mais cela est loin d’être gagné d’avance, dans un contexte où les scandales de corruption semblent coller à la peau de nombreuses personnalités du parti au pouvoir qui ont été épinglées, et où le chef de l’Etat est contraint de composer avec les partisans de son prédécesseur qui n’a toujours pas digéré son éviction du pouvoir dans les conditions que l’on sait. De quoi se demander si Ramaphosa aura suffisamment les coudées franches, dans la difficile mission de gestion du pouvoir et de restauration de l’image du parti.
En tout état de cause, l’Afrique du Sud est aujourd’hui à un tournant de son histoire et ces élections générales sont d’autant plus importantes qu’elles devraient non seulement permettre de tourner définitivement la page Zuma, mais aussi de jauger la popularité d’un parti, l’ANC, visiblement en manque de souffle et à la recherche de ses marques.
« Le Pays »