APPEL A LA MOBILISATION CONTRE LA REELECTION DE FAURE
Au Togo, l’annonce par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), de la victoire de Faure Gnassingbé, à la présidentielle du 22 février dernier, ne cesse de provoquer des vagues. Exception faite, en effet, des observateurs de l’Union africaine (UA) et de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui ont décidé de fermer les yeux sur les irrégularités du scrutin en délivrant, dès le 24 février, un blanc-seing au processus électoral, l’unanimité semble se faire entre certains leaders de l’opposition togolaise et de la société civile pour qualifier le scrutin de mascarade électorale. En effet, après la sortie du challenger malheureux du chef de l’Etat, Agbéyomé Kodjo, qui estime que les résultats ont été fabriqués, tronquant ainsi la vérité des urnes, c’est au tour de l’archevêque émérite de Lomé, Monseigneur Philippe Fanoko Kpodzro, de mettre en doute la victoire de Faure.
Le vieux prélat en a gros sur le cœur contre le satrape togolais
« J’ai suivi, dit-il, avec une grande indignation et vive consternation, la plaisanterie de mauvais goût que nous a servie la CENI sous ordre, la nuit dernière, en proclamant les soi-disant résultats du scrutin présidentiel du samedi 22 février 2020, qui ont donné gagnant le chef de l’Etat sortant, pourtant manifestement vomi par la population». Il appelle, de ce fait, le peuple togolais à se mobiliser de façon dynamique et décisive pour faire échec à la forfaiture qu’il a qualifiée de « manœuvre grotesque et répugnante ». Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en lisant le communiqué du vieux prélat de 90 ans, on sent qu’il en a gros sur le cœur contre le satrape togolais qu’il accuse de perpétuer une dictature vieille de 54 ans. Et l’on peut bien comprendre le ras-le-bol de l’homme d’Eglise. Et pour cause. Même si l’on peine à établir les preuves, il plane une forte odeur de fraudes sur ce scrutin organisé par le pouvoir togolais qui s’est fait une triste réputation en la matière. Et comme l’écrivait Ahmadou Kourouma, « le molosse ne change jamais sa manière éhontée de s’asseoir ». Ensuite, l’on peut comprendre la frustration et le fort ressentiment de l’archevêque du fait de l’exclusion de l’Eglise catholique du processus électoral par le régime togolais. Enfin, il faut inclure l’indignation de l’homme de Dieu dans le vaste mouvement de l’Eglise catholique qui, manifestement, s’accommode de moins en moins, des dictatures comme il a été donné de le constater en République démocratique du Congo ou même au Burkina Faso ou en Côte d’Ivoire. Peut-être est-il en train de naître, comme on l’a autrefois vu en Amérique latine avec « la théologie de la révolution », « une théologie de la démocratie » en Afrique noire. S’il faut saluer le courage du serviteur du Christ qui est monté au créneau sans porter de gants, l’on peut toutefois se poser la question suivante : ne prêche-t-il pas dans le désert ? Il existe, en tout cas, de sérieuses raisons de le croire. Car, les Togolais semblent essoufflés par la longue lutte qui a précédé les élections et qui visait à empêcher la modification constitutionnelle qui a permis à Faure Gnassingbé de se présenter à la dernière présidentielle.
On peut se poser des questions quant à la réaction du pouvoir togolais
Ensuite, face à un régime qui n’a d’autres arguments que l’arme de la répression et qui, de surcroit, peut s’adosser à une nouvelle légitimité que vient de lui conférer la victoire à une élection validée par les missions d’observations d’organisations africaines, l’on peut se demander s’ils seront nombreux les Togolais à vouloir offrir leurs poitrines comme chair à canon. Pire, l’opposition togolaise qui aurait pu saisir au bond la balle lancée par l’archevêque, ne présente pas un front uni. L’un dans l’autre donc, l’on peut douter que l’appel de Monseigneur Philippe Fanoko Kpodzro puisse soulever le tsunami qui emportera le régime togolais. Cependant, il ne faut pas totalement désespérer de la situation et continuer de croire au miracle. L’expérience des changements de régime, en Afrique, sous la pression populaire, montre que rarement, ce sont les partis politiques qui ont réussi à réaliser les insurrections mais plutôt l’action coordonnée de la société civile et de la jeunesse. De ce fait, l’on peut espérer que si l’opposition togolaise apparaît impuissante pour donner un vrai écho à l’appel du vieux prélat, la jeunesse togolaise prenne ses responsabilités. En attendant de voir de quoi sera faite la météo au Togo, l’on peut se poser des questions quant à la réaction du pouvoir togolais face à ce qui ressemble à une incitation à la révolte populaire. Va-t-il jeter aux fers le vieil homme au risque de lui attirer une forte sympathie populaire qui peut être fatale au régime ? Ou alors va-t-il lui assurer l’impunité au risque de lui faire des émules? En tout cas, tout laisse croire que le vieil homme a bien tissé son piège et espère être l’agneau du sacrifice dont le sang servira de ciment à la lutte pour mettre fin à la dynastie des Gnassingbé, en 2020, comme il l’annonce de façon prophétique dans son communiqué.
« Le Pays »