RECONCILIATION NATIONALE EN COTE D’IVOIRE
Définitivement acquittés, le 31 mars dernier, par la Cour pénale internationale (CPI) au terme d’un procès marathon qui aura duré plusieurs années, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé peuvent savourer leur grande victoire en attendant de régler les modalités de leur retour au bercail. Et pour cause. Ce procès qui se penchait sur les événements douloureux de la crise post-électorale de 2010-2011, aura tenu la Côte d’Ivoire entière en haleine pendant plus de cinq ans. L’ex-président ivoirien et son ministre de la Jeunesse ayant été maintenus dans les liens de la détention à La Haye pendant près de huit ans pour le premier et environ cinq ans pour le second. Acquittés une première fois en 2019, ce qui leur a permis de bénéficier d’une liberté provisoire, le Woody et son acolyte attendaient toutefois d’être définitivement fixés sur leur sort suite à l’appel de la procureure Fatou Bensouda. Mais la patronne de la CPI se verra désavouée par l’institution qu’elle dirige, avec le verdict du 31 mars dernier qui sonne comme un échec personnel pour celle qui, à l’ouverture du procès en 2016, se promettait de faire « jaillir la vérité » et se disait « convaincue que les éléments de preuves que nous avons recueillis seront suffisamment convaincants pour prouver la culpabilité des accusés au-delà de tout doute raisonnable ».
L’acquittement définitif du 31 mars dernier sonne comme une double victoire pour Laurent Gbagbo
Cinq ans plus tard, c’est le caquet pratiquement rabattu pour une triste sortie de scène, que la magistrate gambienne qui a été propulsée en décembre 2011 à la tête de l’institution pénale internationale après le départ de l’Argentin Luis Moreno Ocampo, s’apprête à faire ses adieux à la Cour le 15 juin prochain. Cela dit, l’acquittement définitif du 31 mars dernier sonne comme une double victoire pour Laurent Gbagbo. Victoire sur la juge Bensouda qui était tellement dans son rôle que l’on se demandait si elle avait aussi instruit à décharge contre l’ancien président, et victoire sur son principal rival, le président Alassane Dramane Ouattara (ADO) qui l’a envoyé à la CPI dans les conditions que l’on sait. Mais le Christ de Mama et son disciple doivent avoir le triomphe modeste. Car, on voit déjà certains de leurs partisans brandir cette victoire devant la Justice internationale comme un blanc seing qui absout totalement leurs champions de toute responsabilité dans les trois mille morts de la crise post-électorale de 2010-2011. Mieux, dans ce conflit fratricide ivoirien où les responsabilités restent encore clairement à situer, il n’est pas exclu que certains prennent le raccourci du « si ce n’est Pierre, c’est donc Paul » pour rejeter la responsabilité des morts sur l’autre camp, oubliant que la Justice ne fonctionne pas par déduction mais sur la base de preuves solides et irréfutables. Ces mêmes preuves dont la faiblesse dans le dossier de crimes contre l’humanité, semblent, de toute évidence, avoir plus pesé dans l’élargissement de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé que leur innocence totale. C’est pourquoi, au-delà de ce verdict qui est un motif légitime de réjouissance dans le camp Gbagbo, les Ivoiriens, dans leur ensemble, doivent savoir rester mesurés dans leurs propos pour donner plus de chances à la réconciliation nationale.
Le verdict de la CPI doit contribuer à rapprocher les Ivoiriens
Mieux, en vertu du rôle historique qui peut encore être le leur dans ce processus de retour à la concorde nationale, Laurent Gbagbo et Blé Goudé ont l’impérieux devoir de se poser en apôtres de la paix dans un pays qui peine encore à se relever de ses blessures et autres meurtrissures. En tout cas, il faut éviter de remuer le couteau dans la plaie, encore plus, d’en arriver à une justice populaire car la majeure partie des principaux acteurs de la crise sont toujours là et chacun sait, en son âme et conscience, ce qu’il a joué comme rôle dans cette tragédie où bourreaux et victimes se connaissent et se comptent dans les deux camps. C’est dire si le verdict de la CPI doit contribuer à rapprocher les Ivoiriens plutôt qu’à creuser davantage le fossé de la division entre eux, en attendant de voir des gens du camp Ouattara aussi passer à la barre. Cela passe par une véritable introspection où chacun doit courageusement et humblement savoir battre sa propre coulpe et non celle de l’autre en reconnaissant sa part de responsabilité afin de déclencher la catharsis nécessaire au pardon et à l’apaisement des cœurs. Autrement, cette fameuse réconciliation serinée à longueur de journée sur les bords de la lagune Ebrié, restera pour longtemps encore un vœu pieux si elle n’est pas une façon, pour les Ivoiriens, de se chatouiller pour rire en attendant un retour éventuel des vieux démons.
« Le Pays »