MORT DE IDRISS DEBY
Il a régné par les armes et il a péri par les armes. L’homme se croyait indispensable. C’était oublier que le « cimetière est rempli de gens indispensables ». « Vanité des vanités, tout est vanité » ! La nouvelle est tombée comme un couperet, aussi surprenante qu’incroyable. Le dictateur tchadien, arrivé par coup d’Etat au pouvoir et qui dirigeait son pays d’une main de fer dans un gant… d’acier depuis trente ans, est mort. Mort, selon plusieurs sources, de blessures reçues au front au cours de combats contre des rebelles qui avaient juré sa perte en lançant, il y a de cela une dizaine de jours, une offensive dans le Nord du pays, avec Ndjamena, la capitale, en ligne de mire. L’annonce a été faite le mardi 20 avril 2021 à la télévision tchadienne, par un officier supérieur de l’armée, le Général Azem Bermandoa Agouna, en ces termes : « Le président de la République, chef de l’Etat, chef suprême des armées, Idriss Deby Itno, vient de connaître son dernier souffle en défendant l’intégrité territoriale sur le champ de bataille. C’est avec une profonde amertume que nous annonçons au peuple tchadien, le décès, ce mardi 20 avril 2021, du maréchal du Tchad ».
Le Tchad saura-t-il tenir le même rôle et la même place dans la lutte contre le terrorisme au Sahel ?
Une nouvelle qui est venue éclipser totalement celle de sa réélection, tombée quelques heures plus tôt, à un sixième mandat avec un score de 79,32% des suffrages. Si le destin du maréchal–président était de ne jamais étrenner ce mandat de trop, reste que sa mort qui est une victoire ou à tout le moins, une consolation pour les rebelles, ouvre une période d’incertitudes pour son pays. Deby aurait fait plus tôt valoir ses droits à la retraite qu’il n’aurait pas quitté atrocement la scène politique tchadienne. Peut-être peut-on espérer que son cas serve de leçon à d’autres satrapes du continent qui refusent de s’imaginer une autre vie en dehors du pouvoir. Cela dit, quels lendemains alors pour le Tchad et, au-delà, quel peut être l’impact de cette mort sur la lutte contre le terrorisme au Sahel ? La question est d’autant plus fondée que nul n’ignore le rôle de pilier que le désormais défunt président tchadien jouait dans la lutte contre les forces du mal dans la bande sahélo-saharienne où ses troupes se sont fait une réputation non surfaite de « casseurs de djihadistes » et de combattants intrépides ne reculant pas devant le danger. Déby avait aussi fait parler de lui dans le bassin du Lac Tchad où il n’hésitait pas à traquer les troupes de Boko Haram jusque dans leurs chiottes. Ce n’est pas pour rien qu’après les hauts faits d’armes des soldats tchadiens dans les Ifhogas maliens, le récent redéploiement d’un fort contingent dans le « triangle de la mort », à la zone des trois frontières entre le Mali, la Burkina Faso et le Niger, a été accueilli avec enthousiasme. Et ce n’est pas pour rien non plus qu’en dépit des croupières qu’il taillait à la démocratie, le désormais ex-homme fort du Tchad restait un fidèle allié de Paris. Avec sa disparition, le Tchad saura-t-il tenir le même rôle et la même place dans la lutte contre le terrorisme au Sahel ? Au-delà, on se demande ce que fera à présent la France qui semblait compter beaucoup sur le Tchad de Idriss Deby dans sa volonté de voir les pays du G5 Sahel assumer le relais militaire voire politique de son engagement au Sahel, devenu de plus en plus pesant. On attend de voir. De voir surtout comment, au plan interne, la situation va évoluer au Tchad.
Le peuple tchadien est mal barré face à ce qui s’apparente à une succession dynastique du pouvoir
Car, aussi surprenante qu’ait été la nouvelle de la mort du Warrior, elle reste encore entourée de mystère. Tout comme le timing de l’annonce de sa disparition tragique sitôt sa réélection proclamée, reste aussi troublant. Toujours est-il que depuis l’attaque du domicile de l’opposant candidat Yaya Dillo, il s’était installé un vrai malaise au sein de l’armée tchadienne. Deby a-t-il pu être victime du pourrissement de cette situation ? Il n’était certainement pas militaire à se tourner les pouces dans son palais, certes. Mais quel besoin avait-il de se retrouver au front en plein milieu des combats, sachant le danger auquel il s’exposait ? S’il s’était senti pousser des ailes après ses derniers exploits sur le front, suite auxquels il s’était fait bombarder Maréchal, eh bien, la dernière expédition punitive du « guerrier du désert », cette fois-ci contre des rebelles, aura été, hélas, celle de trop ! Déby mort, pourquoi un Conseil militaire de transition, qui plus est sous la houlette de Déby fils, pour prendre le relais, au détriment de la Constitution ? Est-ce une décision prise à la hâte, sur le vif ou bien les choses étaient-elles préparées à l’avance ? Quoi qu’il en soit, la rapidité de la décision n’est pas anodine. Le pouvoir ne doit pas échapper aux mains du clan. Toute chose qui pousse à s’interroger sur l’avenir du Tchad avec cette forme de « confiscation » du pouvoir qui ne manquera pas de raviver les tensions. Car, en ne respectant pas la légalité constitutionnelle, l’autoproclamé Conseil militaire de transition qui vient de dissoudre les institutions de la République, prend en otage le pouvoir. Si ce n’est pas un coup d’Etat, cela y ressemble fort. En tout état de cause, en attendant de connaître les intentions de Déby fils, on peut dire que le peuple tchadien est mal barré face à ce qui s’apparente à une succession dynastique du pouvoir, dans des règles inconstitutionnelles. C’est bien dommage ! Dire qu’avec la disparition du dictateur, le Tchad avait l’occasion de repartir du bon pied, au moment où le destin semblait lui tendre la main pour l’installation d’un régime véritablement démocratique. Comme quoi, avec Deby, la démocratie était un leurre, après Deby, la démocratie va certainement devoir encore attendre. Mais tout dépendra de la capacité du peuple tchadien à mettre fin à ses souffrances endurées depuis plus de trois décennies.
« Le Pays »