DÉCÈS DE JOHN FRU NDI AU CAMEROUN : Ombres et lumières d’un opposant politique controversé
Son nom sonne, au Cameroun comme ailleurs, comme celui de l’opposant le plus farouche au président Paul Biya qui dirige son pays d’une main de fer depuis plus de quarante ans. Lui, c’est John Fru Ndi, fondateur du SDF (Social Democratic Front), l’un des principaux partis d’opposition au pays des Lions indomptables. Natif de Bamenda dans la partie anglophone du Cameroun, l’illustre opposant a tiré sa révérence le 12 juin dernier à Yaoundé, à l’âge de 82 ans. Et ce, des suites d’une longue maladie qui l’avait quelque peu éloigné de la scène politique ces dernières années, et qui a même nécessité, il y a quelque temps, une intervention chirurgicale dans un hôpital suisse. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce géant de la scène politique camerounaise, qui envisageait, au congrès de fin juillet prochain, un passage de témoin à la jeune génération de son parti dont il est à la tête depuis sa création en 1990, laisse derrière lui l’image d’un personnage politique plutôt controversé. D’une part, celle d’un opposant qui aura brillé par sa fougue et son engagement total en faveur d’une alternance pacifique qui l’a vu affronter à plusieurs reprises dans les urnes, l’insubmersible Paul Biya, comme ce fut le cas en 1992, en 2004 et en 2011.
Son combat aura toujours ce goût d’inachevé
Et loin d’être simplement anecdotiques, les 36% de suffrages récoltés en sa faveur contre 40% pour le président Paul Biya déclaré vainqueur, à la faveur de la première élection pluraliste du pays en 1992, traduisent à suffisance l’espoir de changement qu’il incarnait aux yeux de nombreux Camerounais. D’autre part, John Fru Ndi laisse derrière lui, l’image d’un opposant dont l’opiniâtreté l’a amené à être de tous les combats contre le « Lion man » du palais d’Etoudi, mais dont le rapprochement, des années plus tard, avec un pouvoir qu’il aura combattu de toutes ses forces durant tout ce temps, restera comme une ombre aux allures de compromission au tableau de sa carrière politique. Un tableau davantage assombri par les accusations de corruption tendant à l’épingler dans un rapport du Comité catholique contre la faim et pour le développement, sur les biens mal acquis de 2009 ainsi que les révélations troublantes concernant une sombre affaire de mallette d’argent qu’il aurait reçue du pouvoir à l’effet de casser la dynamique de l’opposition lors de la présidentielle de 2004. Qu’ils soient avérés ou pas, ce sont autant de faits qui resteront à jamais collés à sa réputation d’opposant politique et qui le suivront jusque dans sa tombe au moment où son pays, le Cameroun, s’apprête à lui faire ses adieux. Mais son combat aura toujours ce goût d’inachevé, car John Fru Ndi est mort sans avoir pu réaliser son rêve de présider un jour aux destinées de son pays. Et l’on imagine combien grande peut être la déception d’un opposant de son rang qui, à défaut de battre personnellement son plus grand rival dans les urnes, n’a même pas vu le changement tant recherché se réaliser à la tête de son pays.
John Fru Ndi s’en va dans un contexte où la lutte pour l’alternance au Cameroun reste encore un défi pour toute l’opposition
Et comme bien des farouches opposants ayant échoué à conquérir le pouvoir d’Etat en Afrique, tout porte à croire qu’après tant d’années de combat couronnés d’autant d’insuccès face au chef de l’Etat qui a su verrouiller son système, le « Chairman » avait fini par être gagné par cette résignation susceptible de pousser un opposant à la collusion avec un pouvoir en place. En tout état de cause, au moment où fusent de partout les hommages à l’endroit de l’illustre disparu, se pose la question de son héritage politique. Qui pour prendre le flambeau ? Qu’adviendra-t-il de ses idéaux ? Que va-t-il devenir de son parti que l’on dit parcouru de différents courants ? Survivra-t-il à son fondateur ou sera-t-il appelé à mourir de sa belle mort après la disparition de celui-ci ? Autant de questions auxquelles l’histoire se chargera de trouver réponses. En attendant, John Fru Ndi s’en va dans un contexte où la lutte pour l’alternance au Cameroun reste encore un défi pour toute l’opposition. Et son combat pourrait inspirer la jeune génération. D’autant qu’après plus de quarante ans de pouvoir, le président Paul Biya ne montre pas encore de signes de satiété. En tout état de cause, avec le décès de l’octogénaire opposant, c’est une grande figure de la scène politique camerounaise, qui disparaît. Et ses trois décennies de combat politique acharné pour le renforcement de la démocratie dans son pays, sonnent comme une interpellation au nonagénaire président Paul Biya sur la nécessité de songer à passer le flambeau, au risque de laisser à la postérité et au Cameroun, plus de problèmes que de perspectives heureuses.
« Le Pays »