VIOLENTE EXPLOSION DANS LE PORT DE CONAKRY : Un drame qui interroge
Dans la nuit du dimanche 17 au lundi 18 décembre 2023, une violente explosion a secoué Conakry la capitale guinéenne où la situation restait toujours confuse. Le souffle de la déflagration qui, à en croire certaines sources, a décoiffé des maisons et provoqué l’effondrement de certaines bâtisses, témoigne de la violence de l’explosion qui a embrasé le dépôt d’hydrocarbures de la Société guinéenne de pétrole situé dans le port de Conakry sis dans la presqu’île de Kaloum, centre administratif et des affaires de la capitale guinéenne. L’onde de choc a été ressentie jusque dans la banlieue où des habitants apeurés se demandaient ce qu’il leur arrivait. Au moment où nous tracions ces lignes, il n’y avait pas encore de bilan officiel. Mais plusieurs témoignages sur le sinistre, faisaient état d’un ballet incessant d’ambulances convoyant de nombreux blessés à l’hôpital dans un décor apocalyptique où se dégageait une immense colonne de fumée et de flammes. En attendant d’en savoir davantage sur les circonstances de la catastrophe, c’est un drame qui interroge d’autant plus que l’on se demande s’il est d’origine accidentelle ou criminelle. Des interrogations, somme toute, légitimes, qui se fondent sur le fait qu’au-delà des vicissitudes de la vie, la transition guinéenne conduite par le colonel Mamadi Doumbouya dans les conditions que l’on sait, est loin d’être un long fleuve tranquille.
Ce drame peut aussi être le fruit d’une négligence ou de l’incurie des dirigeantes
On en veut pour preuve, l’évasion spectaculaire, le 4 novembre dernier, de l’un des accusés emblématiques dans le procès des massacres du 28 septembre 2009 actuellement en cours, en la personne du colonel Claude Pivi qui reste toujours introuvable. Et ce, suite au raid d’un commando sur la Maison centrale de Conakry où étaient gardés d’autres prévenus non moins célèbres dont l’ex-président Moussa Dadis Camara ou encore le colonel Moussa Tiegboro Camara qui était l’un de ses fidèles lieutenants. Le tout, dans un contexte politique où après plus de deux ans de transition, la trajectoire des tombeurs du professeur Alpha Condé suscite de plus en plus des interrogations et des inquiétudes au sein de la classe politique et de la société civile, toutes désireuses d’avoir plus de lisibilité par rapport au calendrier de retour du pays à l’ordre constitutionnel. C’est dire si dans le contexte actuel, le régime de la transition guinéenne n’a pas que des amis. Bien au contraire. Au regard des frustrations exprimées ça et là, tout porte à croire qu’ils sont nombreux, les Guinéens, à souhaiter vivement la fin de la transition. Mais de là à s’attaquer aux dépôts de la Société nationale des hydrocarbures pour tailler des croupières aux autorités intérimaires, il y a un pas que l’on pourrait rationnellement se garder de franchir quand on sait que ce drame peut aussi être le fruit d’une négligence ou de l’incurie des dirigeantes. Toujours est-il qu’il n’est pas sans rappeler l’explosion au port de Beyrouth, au Liban, intervenue en août 2020, et qui avait fait plus de deux cents morts et de milliers de blessés. Et tout comme le nitrate d’ammonium à l’origine de la catastrophe de Beyrouth, l’explosion du stock d’hydrocarbures à la base du drame de Conakry, pose le problème de stockage des produits sensibles et surtout la nécessité, pour les pouvoirs publics, de prendre toutes les mesures de sécurité en pareilles circonstances pour ne pas exposer la vie des populations. C’est pourquoi il convient de mener une enquête sans complaisance afin de situer les responsabilités. Car, la tragédie du port de Conakry doit servir de leçon pour éviter à l’avenir d’autres drames du genre. En attendant que l’enquête nous situe davantage, cette catastrophe sonne comme une interpellation aux dirigeants africains qui vivent pratiquement les mêmes réalités dans leurs pays respectifs où l’observation des règles de sécurité en matière d’entreposage de produits dangereux, n’est pas toujours de rigueur.
Il appartient aux autorités guinéennes de gérer la crise de façon efficiente
Et quand ce ne sont pas les textes d’encadrement qui sont à revoir, c’est souvent le suivi qui laisse à désirer. Au-delà, cela pose de façon plus globale, le problème de la vétusté de certaines infrastructures et de leur entretien qui ne suit pas toujours le rythme d’extension des capitales africaines, soixante ans après les indépendances. Toute chose que l’on peut mettre sur le compte de l’incurie de la classe dirigeante qui ne se projette pas suffisamment dans l’avenir. Autrement, comment comprendre que l’on puisse stocker de tels produits dangereux, dans un rayon de maisons d’habitation ? Encore que dans le cas d’espèce, les habitants avoisinants avaient demandé la délocalisation desdits dépôts d’hydrocarbures. C’est le lieu d’invoquer le cas de toutes ces autres infrastructures comme les aéroports, les enceintes militaires et autres poudrières, qui se retrouvent aujourd’hui en plein milieu de certaines villes et de certaines capitales, et qui restent autant de dangers potentiels, en cas de catastrophe. Leur décentralisation se pose aujourd’hui comme un impératif. En attendant, il appartient aux autorités guinéennes de gérer la crise de façon efficiente, en apportant tout le concours nécessaire au confort et au réconfort des blessés et des sinistrés. C’est le moins qu’il leur revient de faire.
« Le Pays »