HomeA la uneCHRISTOPHE TAPSOBA, SECRETAIRE PERMANENT DE LUTTE CONTRE LA PROLIFÉRATION DES ARMES LEGERES : « La révolution d’août 1983 a encouragé la circulation illicite des armes à feu »

CHRISTOPHE TAPSOBA, SECRETAIRE PERMANENT DE LUTTE CONTRE LA PROLIFÉRATION DES ARMES LEGERES : « La révolution d’août 1983 a encouragé la circulation illicite des armes à feu »


Le Colonel Christophe Raoul Tapsoba est le secrétaire permanent de la Commission nationale de lutte contre la prolifération des armes légères au Burkina Faso (CNLPAL). Dans le contexte actuel marqué par l’insécurité et la lutte contre le terrorisme, nous sommes allés à sa rencontre pour échanger avec lui sur la circulation des armes au Pays des Hommes intègres. Lisez plutôt.

Le Pays : Quel est le rôle principal du secrétariat permanent de la commission nationale de lutte contre la prolifération des armes légères ?

Colonel Christophe Raoul Tapsoba : La problématique de la prolifération et de la circulation illicite des Armes Légères et de Petit Calibre (ALPC) est un véritable fléau et je vous remercie de me donner l’opportunité de parler de certains aspects de ce sujet dans les colonnes de votre journal. Au Burkina Faso, la Commission Nationale de Lutte contre la Prolifération des Armes Légères (CNLPAL) est une structure rattachée au Premier ministère. Suite à la Décision A/Dec./13/12/99 du 10 décembre 1999 des chefs d’Etats et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), imposant à chaque Etat membre la création d’une Commission Nationale Technique de lutte contre la prolifération des armes légères, leurs munitions et autres matériels connexes ; la CNLPAL a été créée par le Gouvernement du Burkina Faso suivant le décret n°2001-167/PRES/PM/DEF/SECU du 25 avril 2001, modifié par le décret n°2006-174/PRES/PM/MAECR/DEF/SECU du 20 avril 2006 portant composition, attributions, organisation et fonctionnement de la CNLPAL. Selon les dispositions du décret de 2006, la mission de la CNLPAL consiste à veiller, alerter, plaider et agir pour toute problématique relative à la prolifération et à la circulation illicite des armes légères et de petit calibre afin de préserver la paix et la sécurité au Burkina Faso.

Que pensez-vous aujourd’hui de l’ampleur de la prolifération et de la circulation illicite des armes au Burkina Faso ?
La prolifération et la circulation illicite des armes légères et de petit calibre est un phénomène préoccupant au Burkina Faso à l’instar des autres pays de la sous-région ouest africaine. L’insécurité qui sévit est favorisée, en grande partie, par la prolifération et la circulation illicite des armes à feu. Les conséquences qui en découlent sont lourdes et sont à l’origine de la psychose au sein des populations. Pour reprendre les propos de l’ancien Secrétaire Général des Nations Unies Koffi Annan tenus en Afrique, les armes de destruction massive sont les armes légères et de petit calibre. La prolifération et la circulation illicite des armes légères et de petit calibre constituent un phénomène qui a des connexions étroites avec diverses formes de criminalité transnationale organisée et autres actes criminels graves en lien avec le grand banditisme, le trafic des produits prohibés, le trafic d’êtres humains, les conflits armés et la violation des droits humains. C’est un fléau qui constitue une menace à la paix, à la sécurité et au développement. Combattre ce phénomène exige des actions concertées et coordonnées au plan national, sous régional et international.

Quelle est la démarche pour se procurer légalement une arme au Burkina Faso ?

La règlementation nationale permet aux citoyens d’acquérir une certaine catégorie d’armes mais il y a des procédures à respecter. En effet, pour acquérir légalement une arme, il faut s’adresser au service de police de son lieu de résidence où le requérant devra déposer sa demande. La police procède à une enquête de moralité sur le requérant. A l’issue de l’enquête, le dossier du requérant est transmis par voie hiérarchique au ministre en charge de la Sécurité qui a un pouvoir discrétionnaire pour délivrer ou non l’Autorisation d’Achat d’Arme (AAA). Le requérant pourra acheter une arme seulement lorsqu’il est muni de l’AAA qui n’est valable que pour l’arme pour laquelle la demande a été faite. Autrement dit, une AAA ne peut servir que pour l’achat de l’arme pour laquelle la demande a été faite.

Combien d’armes sont en circulation au Burkina Faso ?

Le nombre d’armes à feu en circulation illicite dans notre pays est estimé à plusieurs centaines de milliers. Cependant, de nouvelles enquêtes et études sont en perspective pour avoir des données exactes.

Qu’est-ce qui favorise la circulation des armes ?

Plusieurs facteurs concourent à la prolifération et la circulation illicite des armes à feu. Il y a, entre autres facteurs, la fabrication artisanale d’armes qui est une activité séculaire qui se transmet de père en fils, courante au Burkina Faso et existant dans certains pays voisins. Plusieurs fabricants, artisans locaux, travaillent conformément à la règlementation de notre pays mais un grand nombre exerce dans l’illégalité ou dans la clandestinité, ce qui échappe à tout contrôle des services compétents et favorise la circulation illicite des armes à feu. Ensuite, la Révolution d’août 1983 au Burkina Faso a favorisé la circulation illicite des armes à feu. A l’époque, un très grand nombre d’armes à feu avaient été distribuées aux Comités de Défense de la Révolution (CDR) à travers tout le pays. Après la révolution, toutes ces armes n’ont pas pu être récupérées. En plus, les différentes crises qu’ont connues des pays de la sous-région depuis les années 80 à nos jours ont également occasionné l’accroissement de la prolifération et la circulation illicite des armes à feu. Les révolutions arabes en général et celle libyenne en particulier ont fait de la zone sahélo-saharienne une vraie poudrière à ciel ouvert. A cela, il faut ajouter d’autres facteurs. La porosité des frontières est également un facteur déterminant dans la prolifération et la circulation des armes à feu. Le fléau des armes à feu ne connaît pas de frontières. Les armes légères et de petit calibre sont facilement camouflables et sont aisément transportées d’un pays à l’autre. Les crises sociopolitiques que notre pays a connues ces dernières années sont aussi sources de circulation illicite d’armes, dans une moindre mesure, malgré les stratégies de récupération opérées par les autorités en charge de la sécurité et de la défense. Enfin, les conflits intercommunautaires ainsi que la détention illégale d’armes à feu par un nombre de personnes de plus en plus croissant et dont l’usage échappe aux services compétents de contrôle, favorisent inévitablement la prolifération et la circulation illicite des armes à feu.
Quelle est la stratégie de la CNLPAL pour lutter contre l’ampleur de la circulation illicite des armes ?

La stratégie de la CNLPAL s’appuie, d’une part, sur le Plan d’actions pour une meilleure gestion, administration et un contrôle efficace des armes légères et de petit calibre à Ouagadougou et d’autre part sur le Plan d’Actions National Quinquennal. Mais compte tenu des différentes crises qu’a connues le pays, il n’a pas été adopté. Ce plan d’action national et quinquennal demande à être réadapté aux nouvelles donnes sécuritaires avant son adoption. Déjà, on peut décliner plusieurs piliers: la sensibilisation et la conscientisation des populations sur les dangers et les conséquences de la circulation illicite des armes ; la promotion de la participation communautaire pour la sécurité et la lutte contre les Armes légères et de Petit Calibre ; la promotion du dialogue avec les fabricants locaux accompagnée d’un processus d’encadrement approprié de ces acteurs ; le renforcement des capacités des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) en matière de lutte contre les Armes Légères et de Petit Calibre par des sessions de formation et la dotation en équipement ; l’adoption d’une approche intégrée pour l’efficacité dans la lutte contre les Armes Légères et de Petit Calibre.

Quel est le nombre de permis de port d’armes attribué dans notre pays ?

Selon le décret de 2009 portant régime des armes et munitions civiles, les permis de port d’arme doivent être délivrés par le ministre en charge de la Sécurité. Mais dans la pratique, les permis sont délivrés par les maires et notre pays compte 351 communes, d’où la difficulté de vous fournir au cours de cette interview des statistiques globales fiables. Cependant, en guise d’exemple, la situation de la mairie de Ouagadougou est la suivante : 2015 : 1246 permis de port d’arme attribués ; 2014 : 1270 permis de port d’arme attribués ; 2013 : 1190 permis de port d’arme attribués.

Qui peut posséder une arme aujourd’hui ?

L’article 7 du décret n°2009-301/PRES/PM/SECU/MATD/MEF/DEF/MECV/MJ/MCPEA du 08 mai 2009 portant régime des armes et munitions civiles au Burkina Faso stipule que nul ne peut, à quelque titre et pour quelque besoin que ce soit, fabriquer, transformer, importer, acquérir, détenir, collectionner, transférer, porter sur soi une arme à feu, ses éléments et munitions, construire ou exploiter un stand de tir s’il n’a pas atteint l’âge de la majorité. La majorité pénale étant de 18 ans au Burkina Faso, tout citoyen à cet âge peut faire la demande en vue d’acquérir une arme. La procédure qui s’en suit comme précédemment annoncée, c’est l’enquête de moralité de la police et l’octroi ou le refus de l’Autorisation d’Achat d’Arme (AAA) en fonction des résultats de l’enquête de moralité. Cependant, si l’obtention de l’AAA est la condition pour acheter l’arme, l’acquérant doit se faire délivrer une autorisation de port d’arme pour disposer librement de son arme.

Un citoyen a-t-il le droit de porter ostensiblement son arme ?

Le citoyen peut acquérir une arme pour se protéger et protéger ses biens et non pour intimider autrui. Le fait de porter une arme en vue d’intimider autrui ou de troubler l’ordre public constitue une faute répréhensible par la loi. L’article 540 de la loi n°43/96/ADP du 13 novembre 1996 instituant le Code pénal au Burkina Faso stipule qu’est puni d’un emprisonnement de deux à six mois et d’une amende de 50 000 à 150 000 francs CFA ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque, même ayant un permis de port d’arme, porte une arme dans un lieu ouvert au public et dans des conditions susceptibles de troubler la paix publique et d’intimider autrui. La même disposition a été reprise à quelques exceptions près dans le décret de 2009 portant régime des armes en son article 34. Aux termes des dispositions du décret, le port de toute arme à feu est prohibé même avec le permis de port d’arme, dans un lieu ouvert au public de façon à troubler la paix publique ou d’intimider autrui. Le port d’arme à feu de façon ostentatoire est donc prohibé et même condamné car c’est intimider autrui.

Faut-il dans ce contexte d’insécurité continuer à autoriser le port d’arme ?

Le Burkina Faso est un Etat de droit. Dans la règlementation nationale, notamment le décret de 2009 portant régime des armes, l’acquisition et le port d’une arme ne sont pas interdits si toutes les conditions sont réunies. L’interdiction de port d’arme pourrait engendrer des situations incontrôlables. Pourtant, toute personne qui se soumet à la procédure normale d’acquisition et qui obtient l’Autorisation d’Achat d’Arme (AAA) est censée être digne de disposer d’une arme au vu de l’enquête de moralité de la police de son lieu de résidence.

Quelle est l’évolution des demandes de port d’arme au Burkina ?

Sachez qu’au vu de la situation sécuritaire délétère que nous connaissons depuis un certain temps, la tendance est à l’accroissement des permis de port d’arme.

Quelles relations le Secrétariat permanent de la CNLPAL a-t-il avec les fabricants locaux d’armes ?

Les fabricants locaux d’armes à feu ou les armuriers artisans sont organisés dans une structure faîtière dénommée Association des Fabricants, Réparateurs, Importateurs de Munitions et d’Armes (AFRIMA). Cette structure a été créée en 2002 sous l’instigation de la CNLPAL pour une meilleure organisation des fabricants locaux d’armes à feu. Depuis lors, la CNLAPL travaille en étroite collaboration avec AFRIMA. En outre, AFRIMA est représentée au sein de la CNLPAL par deux membres qui participent à toutes les instances de décision de la Commission.

Quelles sont les contraintes de votre mission ?

Les contraintes du domaine d’actions de la CNLPAL sont diverses et multiples. Pour l’essentiel, il s’agit de la sensibilité du sujet à savoir la question sécuritaire ; la tendance des populations à vouloir assurer leur propre sécurité par l’acquisition d’armes à feu au vu des défaillances des institutions de l’Etat face à la recrudescence de l’insécurité (attaques et braquages à main armée sur les axes routiers et dans les domiciles et autres lieux publics, vols à l’arrachée, viols, attentats terroristes, etc.) ; l’insuffisance des ressources humaines, matérielles et financières. La CNLPAL a besoin de moyens appropriés en fonction des missions qui lui sont attribuées car il s’agit de susciter un changement de comportement en matière d’usage d’armes à feu et les actions devraient couvrir nécessairement le territoire national afin que les objectifs soient atteints.

Quel appel avez-vous à lancer à l’opinion publique burkinabè ?

En cette période de recrudescence de l’insécurité, j’interpelle l’opinion publique sur le fait que la question de la sécurité n’est pas de la responsabilité de l’Etat seul ni des Forces de Défense et de Sécurité. Toute situation suspecte relative aux armes légères et de Petit Calibre est à dénoncer auprès des acteurs du domaine de la sécurité, notamment la Police nationale au n°17, la gendarmerie nationale au n°16, le Centre National de Veille et d’Alerte au n°10 10 ou la Commission Nationale de Lutte contre la Prolifération des Armes Légères (CNLPAL) au n° 80 00 11 01. Par ailleurs, ceux qui détiennent des armes à feu de façon illégale, devront se rapprocher des services compétents de leur lieu de résidence pour savoir la conduite à tenir. Pour terminer, j’en appelle à tous les détenteurs d’arme pour une meilleure sécurisation de leurs armes car, le port ostentatoire d’une arme est condamnable et la détention d’une arme n’est pas systématiquement gage de sécurité.

Propos recueillis par Michel NANA en collaboration avec Afronline (Italie)

 


Comments
  • M. Tapsoba, ce ne sont pas les armes des CDR de 1983 qui sont utilisées par les braqueurs de route aujourd’hui.

    27 février 2016
  • Il y a un problème sémantique car il y a une différence notoire entre les assertions suivantes :
    « La révolution d’août 1983 a encouragé la circulation illicite des armes à feu » et
    « la Révolution d’août 1983 au Burkina Faso a favorisé la circulation illicite des armes à feu.»
    Qu’a t-il dit exactement ?
    Lesdites armes ayant été distribuées par l’Etat, M. Tapsoba doit pouvoir donner les chiffres sur combien ont été distribuées et combien n’ont pas été récupérées ? quel pourcentage ces armes représentent-elles dans le lot des armes saisies par les forces de sécurités auprès des délinquants ?

    Au-delà cela le diagnostic semble léger car plusieurs experts citent en bonne place les conflits au Liberia et en Sierra Leone comme des facteurs non négligeables dans la proliférations des armes légères dans la région. ajouter à cela la guerre civile ivoirienne… 1983 semble loin mais bon, seules des données chiffres pourront nous situer. SVP reposez la question à M. Tapsoba.

    27 février 2016
  • CA DU BLA BLA BLA ;COMBIEN DE BURKINABE SONT ALLÉS COMBATTRE EN COTE D’IVOIRE? AU LIEU D’ÊTRE PRAGMATIQUE ON EN EST TOUJOURS A CHERCHER DES POUX SUR UN CRANE RASE.JE NE PARLE MÊME PAS DE CEUX QUI Y AURAIENT ÉTÉ OFFICIELLEMENT ENVOYÉS MAIS CEUX QUI S’Y SERAIENT ALLÉS D’EUX -MÊMES .ILS DOIVENT ÊTRE NOMBREUX ET LE MAL A MON SENS DOIT ÊTRE Cherché DE CE COTE.

    28 février 2016
    • On a dit armes légères

      8 mai 2016

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