CRISE POLITIQUE AU TOGO : Le dialogue de sourds continue
Au Togo, le dialogue politique a pris du plomb dans l’aile au point que l’opposition menace de renouer avec la rue. Du moins, elle prévoit des manifestations de rue, allant du 11 au 14 avril dans différentes villes du pays, dans le cadre de ses revendications portant sur le retour à la Constitution de 1992, la révision du Code électoral, l’instauration du droit de vote des Togolais de l’étranger et l’accomplissement du reste des mesures d’apaisement et de confiance. Mais avant, elle a tenu à rencontrer le médiateur ghanéen, le président Nana Akufo-Addo, pour lui en dire un mot. C’est dans ce cadre qu’une délégation de la coalition des 14 partis de l’opposition s’était rendue le 9 avril, à Accra, la capitale ghanéenne. Mais du côté de Lomé, le pouvoir n’entend pas laisser faire l’opposition et brandit des menaces, face à la montée en perspective du mercure sociopolitique.
La volonté de l’opposition de renouer avec la rue, est le signe d’un malaise dans le dialogue politique
Aussi a-t-il déjà annoncé l’interdiction desdites manifestations, arguant du fait que leur tenue trahirait la promesse faite au médiateur de les suspendre durant toute la durée du dialogue politique. Comme on le voit, les couteaux sont à nouveau tirés au Togo où le dialogue politique peine visiblement à connaître des avancées significatives. En effet, en dehors des mesures cosmétiques, notamment la libération de quelques prisonniers politiques, qui étaient perçues par le pouvoir comme autant de mesures d’apaisement, les « dialogueurs togolais» peinent visiblement à aller plus loin dans le fond du problème dont le nœud, et tout le monde le sait, est la question du sort du chef de l’Etat au-delà de 2020. Pendant que l’opposition compte sur le rétablissement de la Constitution de 1992 pour espérer voir l’alternance se réaliser enfin au « Gnassingbéland », les soutiens du président Faure n’ont d’autre ambition que de voir ce dernier prolonger son bail au palais de Lomé II. Et le comble est que chacun semble camper sur sa position. D’où ce dialogue de sourds qui dure maintenant depuis plusieurs mois, et qui semble se prolonger avec la volonté de l’opposition de renouer avec les manifestations de rue, pour remettre la pression sur le pouvoir. Du reste, pourquoi s’en priverait-elle quand son adversaire lui-même donne le sentiment que c’est le seul langage qu’il comprend et qui est à même de lui faire reconsidérer sa position ? En tout cas, quand on voit comment ces manifestations ont fortement ébranlé le pouvoir de Faure au point de le pousser à initier ce dialogue, l’on comprend pourquoi l’opposition ne veut pas se priver d’une arme aussi redoutable. Et il y a lieu de croire qu’elle ne veut surtout pas être le dindon de la farce dans ce dialogue dont l’ouverture a permis au pouvoir de bénéficier d’une trêve qui était plus qu’une bouffée d’oxygène pour lui. En tout état de cause, cette volonté de l’opposition de renouer avec la rue, est le signe d’un malaise dans ce dialogue politique inter-togolais. Et l’on n’est pas loin de penser que l’opposition se sent flouée, au point de vouloir faire machine-arrière dans sa promesse de suspendre ses manifestations. En tout cas, l’on a le sentiment que les choses piétinent et c’est une situation qui profite sans aucun doute au pouvoir. Surtout, tant que la rue ne gronde pas. Et tout porte à croire que le président Faure cherche à avoir ses adversaires à l’usure. Par contre, du côté de l’opposition, l’on a dû se rendre compte du danger à rester dans la léthargie en attendant une hypothétique voie de sortie, au risque de voir la lutte s’émousser si elle ne se noie pas tout simplement dans un dialogue qui court droit à l’enlisement.
Faure connaît le problème du Togo qui se résume aujourd’hui dans le patronyme Gnassingbé
Ceci pouvant expliquer cela, l’on peut comprendre la décision de l’opposition de revenir à ses anciennes méthodes de lutte qui ont fait leur preuve sur le terrain, mais aussi sa démarche qui, d’un certain point de vue, vise à interpeller le médiateur afin qu’il donne un coup d’accélérateur au processus. Mais à l’étape actuelle des choses, que peut encore le médiateur ghanéen ? A-t-il encore toutes les cartes en main pour peser sur la situation à l’effet de trouver un consensus à cette crise politique qui divise ses voisins de l’Est ? Rien n’est moins sûr. Au contraire, face aux positions tranchées des protagonistes, Nana Akufo-Addo lui-même donne quelque peu l’impression d’être embarrassé. Entre volonté de se montrer à la hauteur de la confiance de l’opposition et celle de ne pas froisser un pair, le président ghanéen ne semble pas vraiment savoir par quel bout prendre le problème pour parvenir à un consensus entre les frères ennemis togolais. De là à penser qu’il cherche à gagner du temps, dans le but de refiler la patate chaude à quelqu’un d’autre à la moindre occasion, il y a un pas que certains ont vite franchi, quand ils ne le soupçonnent pas de faire le jeu de Faure Gnassingbé. En tout état de cause, ils sont peu nombreux, les observateurs de la scène politique au Togo, à croire véritablement en ce dialogue. C’est pourquoi la tournure que prennent les événements, n’est pas vraiment étonnante. Car, on savait plus ou moins que ce dialogue qui a démarré dans les conditions que l’on sait, n’irait pas loin. Et tout porte à croire que l’on n’y est déjà. Comment peut-il en être autrement, quand on essaie visiblement d’éluder la question essentielle qui est le sort du chef de l’Etat à la fin de son second mandat ? Faure lui-même connaît le problème du Togo qui se résume aujourd’hui dans le patronyme Gnassingbé dont les Togolais ont visiblement marre. Mais il fait dans la fuite en avant incessante et cherche visiblement à rester au pouvoir au-delà de 2020, malgré le fait que sur le plan de la démocratie, son pays est une « curiosité » en Afrique de l’Ouest où il reste le mouton noir. Au demeurant, d’aucuns pensent que si l’opposition est prête à des concessions en se montrant favorable à ce que Faure termine son mandat en cours au moment où de nombreux militants, en son sein, demandent son départ du pouvoir ici et maintenant, cela doit valoir son pesant d’or dans les mesures d’apaisement. Il appartient donc à Faure Gnassingbé de savoir entrer dans l’Histoire, en se montrant à la hauteur de ces hommes d’Etat qui ont eu ce supplément d’âme en renonçant au pouvoir, parfois malgré les supplications de courtisans zélés, dans l’intérêt supérieur de leur Nation. Est-il capable d’un tel sursaut ? Visiblement, non.
« Le Pays »