DISSOLUTION DU GOUVERNEMENT ET DE L’ASSEMBLEE NATIONALE PAR LA COUR CONSTITUTIONNELLE AU GABON
Un courage qui s’arrête au seuil du Palais du bord de mer
Au Gabon, l’actualité est marquée par la dissolution, le 30 avril dernier, de l’Assemblée nationale par la Cour constitutionnelle qui a aussi fait démissionner le gouvernement pour n’avoir pas pu organiser les élections législatives dans les délais impartis. En effet, depuis deux ans, le mandat des députés est arrivé à échéance, mais cela ne semble gêner personne au niveau de la Représentation nationale, encore moins au niveau de l’Exécutif à qui incombait la responsabilité d’organiser de nouvelles élections. Mais jusqu’à la date butoir du 30 avril dernier, rien n’a été fait pour régulariser la situation. C’est donc en toute logique que la Cour constitutionnelle a pris ses responsabilités en décidant de sévir, et de manière forte.
Le Gabon fait office de pionnier
Pour un coup de tonnerre, c’en est vraiment un dans le ciel politique gabonais. Et pour cause. De mémoire d’Africain, sauf erreur ou omission, c’est la première fois qu’une telle institution de la République prend des sanctions aussi dures et aussi extrêmes à l’encontre à la fois de l’Exécutif et de la Représentation nationale sur le continent. C’est dire si en la matière, le Gabon fait office de pionnier. Et c’est à juste titre que la décision de l’institution de Dame Madeleine Mborantsuo, au-delà de la surprise, a été saluée jusque dans les rangs de l’opposition gabonaise qui a toutefois émis un bémol en marquant sa surprise «qu’elle puisse conférer au Sénat les prérogatives de l’Assemblée nationale ». Si ce n’est pas un acte de courage, cela y ressemble fort. D’autant plus qu’il s’agit de discipliner des institutions de la République qui ont un rôle de premier plan dans la bonne conduite des affaires de l’Etat, mais qui pêchaient visiblement par laxisme au lieu de travailler à donner le bon exemple. C’est pourquoi cette décision audacieuse de la Cour constitutionnelle gabonaise mérite d’être saluée à sa juste valeur, même si l’on est porté à croire que son courage s’arrête au seuil du Palais du bord de mer. Et pour cause. Jusqu’à preuve du contraire, l’on ne voit pas d’où une institution comme la Cour constitutionnelle gabonaise, pourrait tirer son courage pour prendre une décision qui aille à l’encontre des intérêts du maître de Libreville. Ce d’autant qu’on ne lui a pas connu le même courage lorsqu’il s’est agi de trancher le contentieux de la présidentielle de 2016. Ali Bongo était accusé de hold-up électoral, notamment dans son fief du Haut-Ogooué. Il aurait manœuvré pour remporter sur le fil un scrutin dont les résultats restent, jusqu’à nos jours, contestés par son challenger qui revendique toujours la victoire. Cette cour n’a pas osé prendre une décision au désavantage du prince régnant. Est-ce alors une façon pour cette institution d’essayer de redorer son blason ? Une telle éventualité n’est pas à exclure. Toutefois, l’on ne peut s’empêcher de penser que si le chef de l’Etat avait été contre une telle dissolution, la Cour constitutionnelle n’aurait pas pu prononcer aussi facilement une telle fatwa.
Mieux, l’on peut même se demander si cette décision n’a pas été prise avec l’accord du chef de l’Etat. Cela n’est pas à écarter.
Il n’est pas exclu que Ali Bongo veuille faire le ménage autour de lui sans pour autant se salir les mains
Car, quand on sait qu’au lendemain de sa réélection contestée, Ali Bongo a été contraint de lâcher du lest en allant à un gouvernement d’union nationale, il n’est pas exclu que maintenant que la crise est passée, il veuille faire le ménage autour de lui sans pour autant se salir les mains. Dans ces conditions, une telle opportunité serait pain-bénit pour lui pour parvenir à ses fins sans devoir mettre la main dans le cambouis. C’est pourquoi il y a lieu de rester prudent face à cet acte «héroïque» de la Cour constitutionnelle, car rien ne dit que la main du chef de l’Etat n’est pas derrière tout cela. A quelles fins ? Lui seul serait capable de répondre à cette question. Et qui sait si les récriminations de l’opposition contre le fait que la Cour constitutionnelle a conféré au Sénat toutes les prérogatives de l’Assemblée nationale, ne sont pas un début de réponse à cette question ?
En tout état de cause, si l’on peut saluer la décision de la Cour constitutionnelle gabonaise de siffler la fin de la récréation après deux prorogations du mandat des députés, il y a lieu de croire que cette décision n’est pas non plus le fait d’un hasard. Quand on sait que le fauteuil de président de cette haute institution de l’Etat est occupé depuis plus de vingt ans par la même personne, en l’occurrence Marie-Madeleine Mborantsuo, ceci pourrait bien expliquer cela. Par ailleurs, l’on ne saurait oublier la perche que le pouvoir de Libreville lui avait tendue alors qu’elle était dans le collimateur du Parquet financier français qui la soupçonnait de détournement de fonds publics et de blanchiment en bande organisée.
En tout état de cause, les jours à venir nous en diront davantage sur la question. Pour l’instant, l’on attend de voir comment Ali Bongo va combler le vide institutionnel créé par la dissolution de l’Assemblée nationale et la démission forcée de son gouvernement. Qui pour conduire le gouvernement de Transition ? Wait and see.
« Le Pays »