ENQUETE SUR LA FRAUDE DES ARMES ET CARTOUCHES : « Quelles sont les conclusions du rapport ? »
Monsieur Adama Sawadogo, Directeur Général des Douanes
Cela fait plus de 16 mois que vos services spécialisés ont engagé une enquête sur des cas de fraude que nous avons dénoncés auprès de vous. Par lettre en date du 18/04/16, c’est précisément deux situations très suspectes de fraude que nous avons dénoncées. En réalité, la nature frauduleuse de ces cas était suffisamment claire mais nous disons « cas suspects », parce qu’il fallait que vos services puissent les confirmer. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé très rapidement pour l’un des cas. Dans la lettre-réponse en date du 03/06/2016, vous nous avez informés que AIMEE SERVICES, l’une des deux sociétés que nous avons dénoncées, était déjà dans votre collimateur et que « les investigations ont permis de redresser cette société, avec en sus des pénalités ». En réalité, nous pensons que c’est seulement après notre dénonciation et au regard du caractère non dissimulable des traces qui pourraient établir la complicité de certains responsables dans cette fraude, que le redressement a eu lieu. En effet, le timing de certaines actions et des faits sont là pour le prouver, mais là n’est pas le débat. Le redressement a eu lieu, c’est le plus important.
Cependant, pour ce qui concerne le cas de la société Cartoucherie du Burkina Ouédraogo et Frères (CAR-BU), votre lettre du 03/06/2016 nous a seulement indiqué que « les investigations étaient toujours en cours ». Cela fait plus de 16 mois. Jusque-là, aucun résultat.
C’est dans le cadre de cette enquête que nous avons eu à collaborer avec vos services. En juin 2016, nous avons eu un entretien, dans vos locaux, avec l’inspecteur Boureima Ouibga, Directeur des enquêtes douanières, et Monsieur François Ouédraogo. Mais la façon de ces enquêteurs de conduire les investigations, laissait déjà entrevoir leur volonté de démontrer que nous avons tort plutôt que de chercher à établir les preuves sur les éléments que nous avons soulevés. De façon perceptible, l’enquête était conduite à charge contre le dénonciateur que nous sommes, plutôt que d’aller vers le suspect et de vérifier les faits. Il nous est apparu clairement qu’ils ne voulaient pas faire la lumière sur ce cas.
Lors de l’entretien, l’inspecteur Ouibga a fait ressortir que la facture que nous avions apportée comme élément de suspicion, « n’était pas une preuve suffisante à même de faire avancer les investigations parce que cela portait sur un seul carton de produits et non sur une centaine voire un millier de cartons ». En rappel, cette facture donnée aux enquêteurs, est une facture de CARMA SARL MALI, le fournisseur de CAR-BU. Sur cette facture, on peut voir la réalité des prix tels qu’ils sont pratiqués. Ce qui est très différents des faux prix que CAR BU a déclarés à la Douane pour pouvoir faire un faux dédouanement. Les enquêteurs, au lieu de se servir de la facture présentée comme piste, ont plutôt demandé « si nous étions à mesure d’apporter une facture d’achat portant sur plusieurs millions de marchandises du même type et du même fournisseur, afin qu’ils puissent procéder à une comparaison des factures de CAR-BU. Cette demande nous a paru étrange car, ce n’est pas à nous de faire faire cette enquête douanière et en plus, nous n’avions pas les moyens de financer une telle démarche. Chose curieuse, les enquêteurs nous ont même suggéré de « consulter des amis commerçants nigériens qui exercent dans le domaine, pour avoir une facture de CARMA SARL MALI ». Nous ne pouvions pas les satisfaire parce que nous n’avons pas d’amis nigériens dans cette activité. Pour les aider, nous leur avons fait comprendre que les cartouches, objets de la fraude, ont été fabriquées en Turquie et estampillées CARMA SARL MALI. Donc, il y a du faux dans tout le circuit.
L’inspecteur Ouibga, qui s’est mis à imaginer les réponses de CAR-BU avant même de rencontrer ses responsables, avait poursuivi en disant qu’il était possible que cette société suspectée « ne reconnaisse pas le carton de cartouches comme étant sorti de leur magasin et qu’il pouvait demander et obtenir un certificat d’origine auprès des autorités maliennes ». Cette attitude nous avait vraiment surpris car, au lieu de chercher à découvrir la vérité, on semblait plutôt défendre la société incriminée. Surtout quand, à la fin, les enquêteurs ont déclaré qu’ils comptaient sur nous pour faire avancer le dossier. C’est comme si c’était à nous de faire l’enquête.
Au regard du silence que manifeste la Douane sur ce cas de fraude concernant CAR-BU, ce sont nos soupçons de départ qui semblent se confirmer. On ne veut pas faire la lumière sur cette affaire.
On a donc choisi de fermer les yeux sur un cas ayant entraîné un gros manque à gagner pour les caisses de l’Etat et de couvrir des personnes qui se sont illicitement enrichies. On a aussi fermé les yeux sur un circuit irrégulier de vente d’armes. De notre point de vue, les faits sont très graves. Dans un contexte économique très difficile où les autorités ne cessent de crier que les caisses de l’Etat sont vides, on a décidé de laisser s’évaporer de l’argent par la fraude. Par ailleurs, dans un contexte sécuritaire très sensible, on a accepté que des armes et des minutions d’origine incertaine, puissent circuler dans notre pays sans aucune traçabilité.
On aurait pu encore comprendre ces attitudes indignes si nous n’étions pas dans ce Burkina Faso qui a fait l’insurrection et qui a dit que désormais, « plus rien ne sera comme avant ». Quel message voulez-vous vraiment donner aux armuriers qui pratiquent leurs activités avec probité ? Nous n’osons pas imaginer que vous encouragez tout le monde à la fraude, étant donné que vous permettez à des fraudeurs d’avoir des marges de manœuvre pour tuer la concurrence.
C’est au regard de toutes ces incompréhensions que nous souhaitons vous poser ces questions :
- Les responsables de CAR-BU ont-ils pu vous apporter le fameux certificat d’origine ?
- Si oui, ce certificat d’origine est-il authentique et valable pour les cartouches qui ont été fabriquées en Turquie ?
- Ce certificat d’origine peut-il être introduit dans le dossier après dédouanement ?
- Les enquêtes engagées par vos services et qui étaient en cours ont-elles abouti ?
- Si oui, quelles sont les conclusions du rapport d’enquête ?
- Si non, pourquoi les services des douanes n’arrivent-ils pas à boucler l’enquête enclenchée depuis plus de 16 mois ?
- La société CAR-BU paiera-t-elle des droits et taxes éludés assortis de pénalités comme la société AIMEE SERVICES, au cas où les preuves sont établies ?
- Des investigateurs étaient sur le dossier et ont eu un entretien avec vous et vos collaborateurs le 4 juillet 2016 sur le sujet. Ces derniers ont-ils obtenu des réponses à leurs questions ?
S’il est vrai que dans ce Burkina, la lutte contre la fraude est une réalité, ce dossier devrait être traité avec toute la rigueur et la transparence.
Tout en vous renouvelant nos remerciements pour votre franche détermination dans la lutte contre la fraude douanière et fiscale dans notre pays, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Directeur Général, nos salutations distinguées.
Abdoulaye TRAORE